Re-bonjour à tous pour ce second demi-package de juin.
Nous nous étions arrêtés à la lettre M avec Milhaud. Nous reprenons avec Mozart :up:
Les 6 Quatuors dédiés à Haydn de Mozart, présentés ici en intégrale, dans l'interprétation du Juilliard String Quartet. Ces six oeuvres figurent parmi les sommets de la musique de chambre mozartienne et peut-ête parmi les sommets de la musique de chambre en général.
Mozart les composa entre 1782 et 1785, profondément marqué par la découverte des derniers quatuors de Haydn, qu'il admirait sans réserve. Il les lui dédia d'ailleurs dans une lettre célèbre, avec la déférence d'un "fils" s'adressant à un "père spirituel".
L'interprétation des Juilliard, ici dans leur âge d'or (vers les années 1960), se distingue par sa clarté d'élocution, son équilibre rigoureux, et une intelligence du discours qui évite tout excès d'affect ou de romantisme déplacé. Le son est lumineux, sans surcharge, parfois presque austère - ce qui laisse toute leur place à la structure, à la polyphonie ... On est plus dans l'objectivité que dans la tendresse viennoise, mais jamais au détriment de la tension dramatique.
Ce n'est peut-être pas l'interprétation la plus chaleureuse ou la plus sensuelle au monde, mais elle demeure l'une des plus lucides et cohérentes ; un modèle de rigueur au service d'une musique d'une perfection formelle saisissante.
Voici pour suivre une large sélection des poèmes symphoniques de Richard Strauss : Ainsi Parlait Zarathoustra, Don Juan, Don Quixote, Mort et Transfiguration et Till Eulenspiegels. Point besoin de présenter ces oeuvres, bien connues de tous. Toutes sont interprétées cette fois par Rudolf Kempe et l'Orchestre de la Staatskapelle de Dresde - un cycle qui apparaît à certains comme légendaire et une sorte de « modèle » même si, pour chacune des oeuvres prises séparément, des versions isolées sont souvent citées comme d' « autres références absolues » (Reiner, Dorati, Karajan, Böhm, Krauss, etc.) - certaines d'entre elles déjà présentes ici d'ailleurs.
Pourtant, il est peu d'associations aussi étroitement identifiées à Richard Strauss que celle formée, dans les années 1970, par Rudolf Kempe et la Staatskapelle de Dresde. Ce n'est pas juste une belle entente chef/orchestre, c'est une sorte d'évidence. L'orchestre jouissait d'ailleurs déjà, du vivant même du compositeur, d'un rapport privilégié avec lui (c'est à Dresde que furent créés plusieurs de ses opéras), et Kempe savait en révéler toute la noblesse de timbre, la plasticité, la transparence chatoyante.
Dans ces interprétations tout est affaire d'équilibre : le lyrisme ne tourne jamais à l'emphase, l'éclat reste contenu dans des architectures d'une grande rigueur, la sensualité de la pâte orchestrale n'éclipse jamais la clarté formelle.
La sonorité noble et cuivrée de Dresde, alliée à la direction souple, claire et sans surcharge ni lourdeur de Kempe, donne à ces oeuvres une densité expressive qui ne tombe jamais dans le clinquant ni dans les écueils du sentimentalisme pesant ni de la brutalité tapageuse. Pas de grands effets, juste une maîtrise tranquille, un sens du phrasé, une respiration … qui font que l'on peut si l'on aime ces oeuvres (et comment pourrait-il en être autrement ?) toujours revenir à ces versions avec le même plaisir.
C'est une lecture classique dans le meilleur sens du terme, refusant toute tentation démonstrative, mais d'autant plus profonde qu'elle reste fidèle à l'esprit plutôt qu'à l'effet. Une approche qui ne vieillit pas.
Voici pour suivre une nouvelle version du Requiem de Mozart :
Je cite :
Citation:
Requiem, pour solistes, choeur, petit orchestre et orgue, KV 626, Gundula Janowitz, soprano, Christa Ludwig, mezzo-soprano, Peter Schreier, ténor, Walter Berry (basse), Gundula Janowitz (soprano), Christa Ludwig (mezzo-soprano), Peter Schreier (ténor), Walter Berry (basse), Orchestre philharmonique de Vienne, Karl Böhm (1971)
Or nous possédons déjà en BM ceci - je cite à nouveau :
Citation:
Requiem, pour solistes, choeur, petit orchestre et orgue, KV 626, Edith Mathis, soprano, Julia Hamari, contralto, Wieslaw Ochman, ténor, Karl Ridderbusch, basse, Hans Haselböck, orgue, Choeur de l'Opéra de Vienne, Orchestre philharmonique de Vienne, Karl Böhm (1971)
Et vous constaterez aisément qu'il s'agit de la même phalange, du même chef, et surtout qu'il s'agit de la même année d'enregistrement. Seuls les solistes diffèrent.
Il était donc légitime à mes yeux de s'interroger sur l'existence des ces deux enregistrements par le même chef et la même distribution orchestrale la même année (1971) :confused:
Quelques-unes de mes réflexions :
À cette époque, les chefs d'orchestre pouvaient être engagés par différentes maisons de disques pour des projets distincts. Böhm travaillait principalement avec DG, mais il n'était pas inhabituel qu'il dirige d'autres ensembles pour des projets spécifiques.
D'autre part, le Requiem de Mozart étant une oeuvre extrêmement populaire, il n'était pas rare que des chefs enregistrent plusieurs versions en peu de temps pour répondre à des publics ou des besoins différents.
Il est possible que l'existence de ces deux versions mette en avant un désir d'explorer diverses approches de l'oeuvre.
Cette double occurrence est un cadeau pour les mélomanes, car elle offre deux perspectives distinctes sur une même oeuvre.
PS : petite précision bien utile qui m'est fournie, après coup, par un membre de l'équipe :
Citation:
Pourquoi deux enregistrements du Requiem par Karl Böhm en 1971 avec deux distributions différentes ? Parce que l'un est un enregistrement audio pour DG (version Ochman) et l'autre un enregistrement vidéo pour Unitel (version Schreier). L'un devait donner un 33 tours vendu en magasin, l'autre un film vendu aux télévisions. Pas le même public, pas le même média, ça ne doublonnait pas à l'époque ...
Pour poursuivre, la suite (et peut-être pas la fin, l'avenir nous le dira) de notre « mini fil rouge » consacré à Pierre Monteux, un chef souvent décrit comme un modèle de clarté, d'équilibre et de respect scrupuleux du texte musical. Entamé la dernière fois, j'avais omis de le présenter.
Monteux n'a jamais cherché ni à surinterpréter ni à personnaliser à outrance. Il est connu pour avoir toujours voulu respecter rigoureusement les intentions du compositeur telles qu'indiquées dans la partition. Cela ne signifie nullement une lecture froide, mais plutôt une intégrité musicale constante, sans surcharge expressive.
Issu lui-même d'une formation de violonistes et d'altistes, il avait une prédilection pour le son homogène des cordes, souvent chaud, chantant et sans lourdeur. Il savait faire chanter les pupitres sans pathos.
Monteux dirigeait sans gestes théâtraux. Il était réputé pour son efficacité gestuelle et son autorité naturelle, acquise par le respect qu'il inspirait aux musiciens. Rien de spectaculaire - juste de la substance au meilleur sens du terme.
C'est lui qui créa Le Sacre du printemps en 1913. En-dehors de cela, je vous propose aujourd'hui de lui pour terminer (provisoirement ?) ce fil rouge : Mozart : Concerto pour piano n°12 et Concerto pour piano n°18 ; Rimski-Korsakov : Symphonie n°2 "Antar" ; Scriabine : Le Poème de l'extase ; Stravinsky : Le Sacre du printemps (version enregistrée en 1951 avec Boston) ; Tchaikovsky : Symphonie n°5.
Bref, que du TRÈS bon :)
Delusion of the Fury de Harry Partch, parfois décrite comme une « Une tragédie en deux actes - une antique et une moderne », consiste en fait en une sorte de rituel scénique, un théâtre total, mi-opéra, mi-mystère, avec chant, théâtre, danse, percussions ... Et bien sûr, toutes les inventions instrumentales délirantes de Partch. Il appelait ça lui-même une « total theatre production ». Il s'agit de sa plus ambitieuse oeuvre scénique, synthèse ultime de ses idées musicales, philosophiques et dramatiques. Il l'a conçue dans les années 60 à Los Angeles, avec une troupe d'artistes choisis par lui-même, tous formés à son univers très spécifique. C'est un peu la synthèse de tout Partch : philosophie, théâtre, instrumentarium, voix parlée et/ou chantée, et satire sociale ; aussi d'une critique de la colère, de l'orgueil, des malentendus tragiques ou ridicules, et d'une invitation au détachement. On y trouve une forme de spiritualité laïque, à la fois orientale (zen, nô …) et très ancrée dans l'absurde moderne.
L'oeuvre comporte deux « actes », deux histoires, mais une même morale : la vanité des querelles humaines. Dans l'acte 1 - Antique tragedy (inspiré d'un drame nô japonais), un samouraï assassiné revient hanter son meurtrier pour lui reprocher son geste. Un prêtre tente une réconciliation rituelle … mais les deux hommes restent figés dans leur orgueil et leur colère, leur incompréhension, leur rancune, leur obstination ; aucune paix possible …
Dans l'acte 2 - Contemporary comedy (inspiré d'un conte éthiopien), une querelle absurde entre un sourd et un vagabond devient procès kafkaïen, où tout le monde parle à côté. À la fin, tout le monde s'énerve pour rien, et on rit de cette fureur grotesque.
La musique peut se résumer en un monde sonore qq peu « hypnotique », complètement hors du système tempéré. Partch utilise son échelle de 43 sons par octave et dirige lui-même un orchestre composé d'instruments créés par lui-même. La comparaison entre les deux actes est tout à fait intéressante, car Partch y utilise deux esthétiques musicales contrastées pour renforcer le contraste dramatique. Dans l'acte 1, la musique est quasi mystique, lente, voire cérémonielle. L'atmosphère évoque des rituels ancestraux. Le temps semble suspendu. La déclamation est grave, voire ritualisée. Le texte est peu, voire pas compréhensible, mais ce n'est pas le but : c'est une sorte de chant incantatoire. On y ressent l'impuissance des hommes à se comprendre malgré les rituels. Dans l'acte 2, la musique est plus saccadée ; les tempos sont plus vifs, la musique plus percussive, et le ton franchement satirique. Les personnages y semblent caricaturaux. Le but semble la mise en avant de la fureur grotesque, de la bêtise ordinaire, des procès absurdes … La colère ici n'est plus sacrée, mais ridicule. Mais dans les deux cas : l'incommunicabilité domine, et la seule échappatoire semble être … la musique elle-même.
Bref une oeuvre unique, troublante, qui ne ressemble à rien d'autre - et qu'on n'oublie pas.
Pour suivre, à ne pas manquer surtout : la Symphonie n°3 "Sinfonia del Mare" de Nystroem. C'est une symphonie en un seul mouvement, d'environ 25 minutes, mais structurée en plusieurs sections contrastées. Il s'agit de l'oeuvre la plus célèbre de Nystroem, compositeur suédois profondément influencé par la mer, qu'il contemplait depuis sa maison sur la côte ouest de la Suède. La mer est ici plus qu'un décor : elle est métaphore de l'existence, de la solitude, du flux et du destin.
Il s'agit moins d'un hommage à la mer qu'un dialogue intérieur avec elle - une mer silencieuse, sombre et fascinante, miroir des états d'âme humains.
Bien que très évocatrice, cette oeuvre n'est pas une peinture descriptive. Elle s'inscrit dans une logique symphonique moderne, avec développement de motifs, de tension dramatique, et d'un grand arc émotionnel. On y perçoit : l'immensité et l'indifférence de la mer, parfois menaçante, parfois apaisée ; l'angoisse existentielle, la mélancolie nordique, mais aussi une forme de résignation sereine ; un lyrisme retenu, jamais sentimental, avec peut-être des influences d'un Sibelius tardif, mais plus linéaire et fluide.
Le moment le plus marquant arrive dans les dernières minutes : une soprano solo entre en scène de façon presque irréelle, pour chanter un poème de Ebba Lindqvist, poétesse suédoise contemporaine de Nystroem - que voici d'abord en suédois :
Havet tog mig i sina armar,
Det vaggade mig länge.
Sen kastade det mig ifrån sig,
Lämnade mig ensam på stranden.
Och där blev jag stående,
Väntande på dess återkomst.
Men det kommer inte tillbaka.
Ce poème exprime une mélancolie amoureuse liée à la mer - un sentiment de solitude infinie face à une force cosmique.
La voix ne couronne pas l'oeuvre de manière triomphante, mais la dissout dans une méditation poétique, comme si elle retournait à l'océan.
Cette fois en traduction française :
La mer me prit dans ses bras,
Elle me berça longtemps.
Puis elle me rejeta,
Me laissant seule sur la grève.
Et là je suis restée,
À attendre son retour.
Mais elle ne revient pas.
Tout comme en suédois, c'est d'une pureté glaçante. Le rythme du poème épouse presque celui des vagues : vaggade mig länge ("me berça longtemps") est d'une douceur trompeuse, juste avant le rejet brutal : kastade det mig ifrån sig.
Sinfonia del Mare est donc moins un hommage à la mer qu'un dialogue intérieur avec elle - une mer silencieuse, sombre et fascinante, miroir des états d'âme humains. La soprano, tardive et presque fantomatique, donne à l'oeuvre une dimension existentielle unique dans le répertoire symphonique du XXe siècle.
Plus qqs oeuvres diverses de Smetana et de Telemann (deux Magnificats).
Liste complète ci-dessous :
- Mozart : 6 Quatuors dédiés à Haydn, intégrale
- Mozart : Concerto pour piano n°12
- Mozart : Concerto pour piano n°18
- Mozart : Requiem
- Nystroem : Symphonie n°3 "Sinfonia del Mare"
- Partch : Delusion of the fury
- Rimski-Korsakov : Symphonie n°2 "Antar"
- Scriabine : Le Poème de l'extase
- Smetana : Carnaval de Prague
- Strauss (Richard) : Ainsi Parlait Zarathoustra
- Strauss (Richard) : Don Juan
- Strauss (Richard) : Don Quixote
- Strauss (Richard) : Mort et Transfiguration
- Strauss (Richard) : Till Eulenspiegels
- Stravinsky : Le Sacre du printemps
- Tchaikovsky : Symphonie n°5
- Telemann : Magnificat en sol majeur "Deutsche Magnificat"
- Telemann : Magnificat en ut majeur "Anima mea"
Bonnes écoutes :coucou: