Dowland et la mélancolie

[vernin]

J'avais, il y a de cela quelques jours, besoin d'écouter une musique mélancolique. Dans cet état d'âme je me tourne habituellement vers des sonates de Brahms ou du violoncelle. Mais là, j'ai écouté avec bonheur, et ma copine, les chants de Dowland par Deller. C'était exactement ce qu'il me fallait, et même ce qu'il nous fallait.

Pour moi, la meilleure définition de la mélancolie est celle qu'en a donné Savinio: « Au fond, la différence entre la tristesse et la mélancolie tient au fait que la tristesse récuse la pensée alors que la mélancolie s'en nourrit. » (Savinio Alberto. Encyclopédie nouvelle. Gallimard, Paris, 1980. p. 265)

La vie de Dowland s'est déroulée durant l'âge d'or de la mélancolie anglaise, Timothy Bright a écrit son "Traité de la mélancolie" en 1586, Burton son "Anatomie de la mélancolie" en 1621. Pourquoi le nom de Dowland est-il si intimement lié à l'idée de la mélancolie et vous fait-il le même effet qu'à moi ?

En dehors des disques de Deller et de Paul O'Dette, avez-vous des disques de Dowland à conseiller ? Sachant que je n'ai jamais entendu "Lachrimae or seven tears" et que le disque de Savall est depuis longtemps introuvable.

Avez-vous des disques de chevet à conseiller quand il s'agit de jouir de sa mélancolie?

Enfin, que pensez-vous de l'album de Christina Pluhar consacré à la tarantelle, une danse intimement liée à la mélancolie.

Bonne journée.

[thierry h]

Yves, tu vas nous filer le bourdon pour attaquer la semaine! J'écoute Dowland sur ton compte SM en ce moment! C'est vrai que c'est très mélancolique ( après je suis pas un grand gourmet concernant les musiques disons anciennes... )
Entretenir sa mélancolie je fais plus trop ça, ou alors comme monsieur Jourdain je le fais sans le savoir! Oui Brahms ou du violoncelle peut être! Après la frontière entre tristesse, mélancolie et même nostalgie est parfois ténue... Une musique qui est peut être tout ça à la fois c'est la seconde Rhapsodie pour orchestre d'Enesco mais qui joue peut être plus sur le registre de la nostalgie... Son antidote si j'ose dire est la Première Rhapsodie!!!

thierry

[Agamemnon]

Je crois que la mélancolie est très narcissique, on est dans une complaisance affectée et surtout aveugle, tout retourné sur soi-même... Une sorte de satisfaction morbide... Ce sont des mélancoliques pathologiques qui ont bien entendu tressé les lauriers de leurs symptômes (bien évidemment)... Melancholia de G.F. Haas qui fût créé ce printemps à Garnier a révélé cette vérité à mes yeux ! Je ne sais pas si c'était intentionnel de la part des auteurs, où simplement l'état d'esprit dans lequel je me trouvais... Je serai très curieux de savoir ce qu'une autre sensibilité pourrait en penser !

[Theo B]

En dehors des disques de Deller et de Paul O'Dette, avez-vous des disques de Dowland à conseiller ? .

Oui, celui-ci:

Sachant que je n'ai jamais entendu "Lachrimae or seven tears" et que le disque de Savall est depuis longtemps introuvable.
.

Effectivement, à défaut j'écoute celui-là depuis des années, mais il y a sans doute mieux...

[Tahar Mouslim]

Je serai très curieux de savoir ce qu'une autre sensibilité pourrait en penser !

Bonjour Aga,

Je n'en pense pas du tout la même chose. Pour moi, la mélancolie est un état nocturne non narcissique où l'esprit est en éveil.

Quelque chose d'assez proche de la définition donnée par Yves, mais qui couvre des aspects plus vastes et plus créatifs.

Les oeuvres qui me semblent illustrer le mieux cet état sont celle de Sir Harrison Birtwistle Melancholia et The Shadow of Night ainsi que Night's Black Bird.

Deux liens pour nourrir la réfléxion:

ici

ici aussi (notes de programme d'un concert de CVD à New York)

A noter que Birtwistle est un fin connaisseur et un admirateur de la musique de Dowland dans laquelle il a souvent puisé l'inspiration.

Je n'ai pas le temps pour un échange plus long aujourd'hui, malheureusement, mais le sujet me passionne.

[Agamemnon]

Dans Melancholia de Haas, que j'ai découvert au printemps, donc, les 20 premières minutes (environ) sont les arrogances du peintre ("je suis le meilleur, personne ne peint comme je le fais") avec dans la pénombre un choeur antique (5 ou 6 chanteurs je crois) qui ressasse ses doutes intimes, tout au fond de lui...

Ensuite quand il tombe amoureux de la nièce de son hôte, il ramène systématiquement tout à lui, ne pouvant voir l'amour qu'elle lui porte : même quand elle est là, il en doute, n'en croit pas les preuves qu'elle lui offre... En somme un agaçant égocentrique ! Le leurre de la mélancolie est de faire croire à une lucidité supérieure, mais qui est au contraire soumise, on le sait maintenant et depuis Freud, à l'inconscient...

Ooops, tahar, j'ai oublié d'ajouter que quand je parle d'autres sensibilités, c'est par rapport à l'oeuvre de Haas...

[Theo B]

Deux aspects, ou plutôt trois, de l'œuvre de Dowland pour essayer d'introduire.

La version instrumentale (Captain Digorie and his Galliard) de la son If My Complaints could Passions Move...(1)/(2)
- dont j'ai rajouté la seule voix haute en dessous pour le texte (3);
- Il s'agit de la song sur laquelle porte la Reflection qu'est le Lachrymae de Britten dont j'ai parlé sur le fil Britten. (4)

(1)
(2)

(3)

(4)

Sur cette page Yuri Bachmet parle du Lachrymae et analyse brièvement la première page, qu'il montre avec ses remarques portées dessus.

[Theo B]

(1is): Captain Digorie au luth:

(3bis) Et son homologue chanté donc:


(4bis) Les variation IV-X du Lachrymae de Britten: le thème de Dowland apparaît dans la dernière, qui commence à 4'50", le thème s'imposant progressivement à partir de 6'10" et définitivement à 7'..

[Bertrand]

En dehors des disques de Deller et de Paul O'Dette, avez-vous des disques de Dowland à conseiller ? Sachant que je n'ai jamais entendu "Lachrimae or seven tears" et que le disque de Savall est depuis longtemps introuvable.

Môssieur Vernin, pour vous et votre copine, je peux me fendre de mettre le Savall sous SM ce soir; pour le reste je suggère l'utilisation de la MP.
Me rappelle avoir acheté ce cd dans un coffret totalement par hasard il y a quelques années, c'était bonne pioche. Il y a aussi quelques petites friandises style Captain Tobias Hume que je mettrai avec. C'est pas dégueu.

[Philippe]

J'ai eu le même réflexe, Bertrand, car je possède également cet album

Toutefois, vérification faite, il semble qu'il se trouve déjà sur le compte SM d'Yves

[Bertrand]

J'ai eu le même réflexe, Bertrand, car je possède également cet album

Toutefois, vérification faite, il semble qu'il se trouve déjà sur le compte SM d'Yves

sacré Yves

[vernin]

Et bien oui, j'ai le disque de Savall, et n'ai pas eu le temps de l'écouter. Merci quand même à vous, Bertrand et Philippe.

Aga, je ne comprends pas bien le sens de votre tirade sur le narcissisme du mélancolique. Est-ce une accusation ? Je ne crois pas étaler mon narcissisme sur le site fréquemment. Je ne suis pas sûr que nous parlions de la même chose. Ce que la psychiatrie du dix-neuvième a qualifié de mélancolie ne correspond absolument pas à la mélancolie de Burton, ou à celle des médecins de l'antiquité.
Mais le trentième problème dit d'Aristote fait référence à l'image du miroir. (Je rappelle l'objet du problème en question: "Pourquoi les hommes de génie sont-ils tous mélancoliques ?") En gros Aristote, ou celui qui se fait passer pour lui, compare la mélancolie à ce qui trouble le miroir de l'âme. Comme un excès de pneuma dont des bulles qui en remontant à la surface de l'eau étale interdiraient de s'y mirer.

Un autre grand mélancolique, Gesualdo. Vous fait-il cet effet ?

[Agamemnon]

Aucune accusation contre toi, vernin, suis désolé si ce fût interprété comme ça... Par contre une accusation contre la mélancolie, en effet ! Mais c'est tout neuf, et à la suite de mon expérience avec Haas, son opéra et une de ses symphonies... Oui moi aussi j'ai ressassé inlassablement le soleil noir de la mélancolie de Nerval, ou encore me suis plongé dans celle de Musset...

"Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé," : voilà, il nous annonce la couleur, c'est de lui qu'il va causer... le monde trop petit pour l'ampleur de son désarroi...

Quant à Musset, c'est une symphonie du moi je... tout concourt à montrer que lui est bafoué ! Camille n'existe que par ce dont elle prive Perdican... Et c'est Camille qui est finalement punit, Perdican restant seul à savourer d'avoir eu raison !

Ce qui ne les prive pas d'intérêts : mais tout autre...

[Theo B]

Bref. Une idée qui me vient, on peut ouvrir un fil sur la musique de Dowland, peut-être?

[Agamemnon]

Histoire de contenir les épanchements d'humeur bileuse et noire ???

(ha ha lapsus humeur / humour)

[Theo B]

Histoire d'attirer les atrabilaires intéressés par la musique.

[Agamemnon]

la quoi ??

[Tahar Mouslim]

Bon, je n'ai pas vu l'oeuvre de Haas, mais j'avais répondu quand même.

Aga, les deux liens que j'avais donnés permettent un peu de qualifier le débat sur ce dont on parle lorsqu'on parle de mélancolie.

Yves parle de l'évolution des définitions médicales. Tu sembles faire référence à une définition plus poétique du concept. L'un des intérêts que je trouvais au premier des deux textes pour lesquels j'ai mis un lien, celui de Patrick Wright, c'est qu'il essayait d'élargir le propos, à la fois dans l'évolution temporelle et dans les différents aspects de ce qu'on nomme mélancolie.

Pour revenir à ton propos de ce midi, le point est de savoir si on définit la mélancolie comme une lucidité supérieure dans l'absolu, ou comme un état d'éveil supérieur relatif pour un individu donné.

The Shadow of Night et Night's Black Bird n'ont malheureusement pas fait l'objet d'enregistrements, ce qui fait que les éventuelles tentatives d'illustration de la mélancolie comme un éveil supérieur relatif pour un individu donné que je pourrais te faire vont tourner court jusqu'à ce que tu puisses aller entendre ces deux oeuvres en concert

[Bertrand]

Pauvre Théo, complètement atrabilaire, ce garçon. Ah ah ah, j'en ris encore.
Bon, les penseurs, j'ai mis pour ceux qui veulent se faire une idée un truc du captain Tobias Hume dont au sujet duquel j'avais causé, sous SM. Musicall Humors qu'y disent les anglois. Un peu plus viril que Dowland et vachement giga bien.

En édition, j'ajouterais bien que c'est justement beaucoup moins narcissique que Dowland (du peu que j'aie entendu: lachrimae or 7 teares), plus simple dans l'évocation de ce qui est vécu, et à mes oreilles, beaucoup plus efficace dans le titillage des cordes sensibles.

Aussi, j'ajouterais qu'à mes oreilles, Dowland, c'est la mélancolie au sens où Yves l'a décrite, c'est à dire dans son sens médical, humeur noire. Alors que, chez Hume (sans vouloir forcément jouer l'un contre l'autre, mais juste par effet de contraste), ca me semble être davantage, cette divagation de l'âme.

[Jacques]

Bonsoir .

En passant, et sans m'énerver () ni me lancer dans de grandes théories, je signale que du génial Dowland j'ai notamment ceci s'agissant des sublimes "Saeven Teares"...




..., et ceci (avec bien sûr les quatre autres albums de l'intégrale) en ce qui concerne l'oeuvre pour luth :



Sans compter toutes les oeuvres vocales figurant dans mes anthologies de musique élisabéthaine .

C'était juste pour révéler, à toutes fins utiles, que je ne m'intéressais pas uniquement à la musique du XXe siècle (). Il s'en faut même de beaucoup.

[Je me demande d'ailleurs si je ne vais pas une fois "changer mon fusil d'épaule", histoire de voir ce que ça donnerait ...]

Jacques