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Discussion: Musique et Vin

  1. #1

    Musique et Vin

    « Je m’adonne à l’écriture ; j’associe, j’extrais la substantifique moelle des vins et d’œuvres musicales pour dégager l’alchimie qui se joue entre ces deux formes d’art.» Hugo Serres, L'Ecrit'Vin

    Bourgogne, Meursault, Leroy, "Les Narvaux" 1995 VS Geirr Tveitt Concerto No 2 for Hardanger Fiddle , 3 Fjords , Part 3 Nordfjord, Giocoso

    « En matière de vin, il faut savoir faire passer le plaisir avant le prestige » a dit Paul Claudel. Cette vérité reniée est transposable à la musique, harmonie des sens en émoi et de génies incompris. Le vin, le plaisir, le prestige, c’est Lalou Bize-Leroy. La musique, les sens en émoi, le génie incompris, c’est Geirr Tveitt. Elle vinifie un Meursault « Les Narvaux » 1995 pour sa maison de négoce Leroy, pour le panthéon du vin, il compose le Concerto No 2 for Hardanger Fiddle , « 3 Fjords », Part 3 : Nordfjord, Giocoso pour lui, pour l’éternité.

    Elle est connue pour ses grands vins de prestige : volumes en bouche inégalés, longueurs infinies, race bourguignonne du terroir. Il est méconnu pour la profondeur de ses œuvres, pour la finesse et la puissance de ces morceaux, pour son idiome national et folklorique de la Norvège. Bref, tout les rassemble : la fraîcheur du climat, une terre d’ancêtres lointains, un travail profond, pur et transcendantal. Chaque vin est une mélodie, une histoire, chaque mélodie est un vin, une histoire.

    A l’aveugle, dès le nez, le rythme est donné : je suis sur un légendaire chardonnay de Bourgogne, avec du vécu et encore une très belle acidité, et la patte du domaine je ne la reconnais pas ; je ne la connais pas. Tension, vivacité et jeunesse permettent de porter ce vin au firmament de la Bourgogne. En bouche, c’est encore le flou absolu : la trame acide étend le vin, le volume dantesque, la vitalité écrasante : mon palais reste coi devant ce sommet. « c'est un roc ! ... c'est un pic... c'est un cap !
    Que dis-je, c'est un cap ? ... c'est une péninsule ! » clamait Cyrano de Bergerac dans l’œuvre éponyme d’Edmond Rostand. « A l’ouïe », la résonance est elle aussi droite, tendue, déterminée. La mélodie est folklorique, concentrée et allongée : mes oreilles se figent, mon sang se glace, mes poils se hérissent, mon corps est en trans.

    Les rythmes sont soutenus et concordent. L’un est l’autre, l’autre est l’un. En japonais, déguster et écouter se traduisent de la même manière. Sagesse nippone. Durant toute la dégustation, durant les 9 minutes 40 de concerto, aucun affaissement ni relâchement, seulement un apaisement, un ressourcement, un recueillement. Chacun va puiser au fond de son terroir et de ses tripes pour offrir ce que mère patrie a de plus beau au fond de ses racines, de ses cordes. Commune droiture.

    La cadence est infernale, transcendantale. Le grandiose me donne le tournis. Joie pour mes sens et mon âme, elle m’enivre, et la musique, le vin me transportent dans leur jardin secret. Ils tentent de me hisser à leur niveau pour respecter les préceptes de l’art oratoire, dont mon inspiration s’enchante : plaire, instruire, émouvoir. Ivresse je ne crois pas encore, nous sortons à peine d’un beau Dom Pérignon « œnothèque » 1992, mais allégresse c’est certain. Lalou vient du latin Laetitia : « allégresse, joie ».. Boire est une hérésie, déguster une frénésie.

    « Si la musique nous est si chère, c'est qu'elle est la parole la plus profonde de l'âme, le cri harmonieux de sa joie et de sa douleur. » a dit Romain Rolland. La profondeur de l’âme de ce duo est démentielle, seule la bathymétrie pourra m’aider à en mesurer l’étendue. Quoique l’humilité, la curiosité et la patience pourraient être plus efficace ?

    L’un et l’autre en ont sous la pédale, tel Anquetil gravissant mes chères Pyrénées. Je n’ai désormais qu’un devoir : le déguster et l’écouter jusqu’à la dernière goutte, la dernière note. Sinon, je serai la seule fausse note. Geirr signifie « la lance » en norvégien, je saisis mieux cet aspect élancé, cet envol, cette longueur. Ils planent au-dessus de nous, en nous et on les suit du regard, du palais, de l’ouïe.

    Richesse, variété et générosité encadrent ces deux œuvres d’arts. Ces aller-retours incessants au violon, ce va-et-vient en bouche qui persiste : être complet, voilà leur qualité suprême et commune. L’aromatique est aussi exceptionnelle qu’extravagante : le jasmin, le beurre de noisette, la noisette grillée, l’amande fraîche, la rose. Extravagante, c’est aussi le cas de cette musique classique d’inspiration folklorique. La puissance et la finesse sont ici aussi complémentaire que différente. La puissance, ce gras divin comme la beauté d’une sirène, enveloppant comme sa main dans mon cou, chaleureux comme son souffle dans mon oreille. Ce gras, ce n’est pas la lourdeur, c’est la stupeur.

    Le solo du virtuose Geirr au violon hardanger est tout point semblable au solo que Lalou joue dans ses vignes, ses cuves, son chai. Le Fjord- vallée unique érodée par un glacier avançant de la montagne à la mer, envahie par la mer depuis la retraite de la glace- de Hardanger est la terre natale et enfantine de ce dernier. Quant à Lalou, si c’est à Paris qu’elle est « venue au monde » (comme disait Sacha Guitry en parlant de Mozart), c’est sur le terroir frais et bourguignon de Vosne-Romanée, Meursault, Auxey-Duresses et Saint-Romain qu’elle fait ses armes, et quelle artillerie ! L’un et l’autre nous livrent une texture différente, une densité profonde et une atmosphère surnaturelle. « Le Vin est d’inspiration cosmique, il a le goût de la matière du monde. » a dit la reine de la Bourgogne. Etrangement, c’est aussi dans les Fjord de Geirr que s’étendent les aurores boréales, un cosmos envoûtant.

    Durant son adolescence, Geirr décide de devenir compositeur, et c’est ainsi qu’en 1955 il commence le 1er concerto de cette œuvre magistrale. La même année, comme par hasard, Lalou décide soudainement de travailler dans la vigne comme elle raconte dans Bourgogne Aujourd’hui le 22 mars 2016 : « Si je restais avec lui (son père), il me laisserait faire de la montagne. Je n'ai pas réfléchi longtemps et j'ai dit d'accord. Nous avons fait demi-tour aussitôt ( de l’école hôtelière de Lausanne où elle postulait), et le lendemain, j'étais au bureau.» Dix un plus tard, en 1965, il achève son œuvre avec ce 2ème concerto en 3 parties, quant à Lalou, 33 ans, l’âge du bonheur, l’âge du Christ. Le cosmos..

    La préface du CD publiée pour sa réinterprétation en 2002 est modeste : écriture enfantine, « Geirr Tveitt » en haut à droite, suivi en dessous par le nom de l’œuvre. Puis un dessin, un homme, visage caché sur un cheval au galop surplombant un marécage et des nénuphars, ça pourrait être une étiquette de Dagueneau. Tout comme Geirr et cette réédition, Lalou fait preuve d’humilité. Etiquette épurée, simple et élégante : « Leroy » en bas à gauche, « Meursault Les Narvaux » en grand au centre, « Négociants à Auxey-Duresses » en bas à droite. Le vin en reste lui aussi humble, ce n’est que « le vin du négoce », pas du Domaine d’Auvenay, et ce n’est qu’un « Meursault Les Narvaux », pas un Criots, pas un Bâtard, pas un Chevalier. La musique et le vin en avant, pas les hommes.

    Il y a un avant, et un après Lalou, Geirr...

    Ma sincère gratitude,
    HS



    Leroy Meursault Les Narvaux 1995 1.jpg Geirr Tveitt concerto No2.jpgLalou-Bize Leroy.jpg
    Ma sincère gratitude,

    Hugo Serres

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  2. #2
    Administrateur Avatar de Philippe
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    Merci Hugo pour ce joli texte et bienvenue sur ce forum

    Pour répondre à certaines critiques qui nous sont parvenues suite à la publication de ce texte, j'ai demandé à Hugo de modifier sa signature pour que ses interventions ici, je l'espère, deviennent sources d'intérêt, de réflexion et d'échange, et afin que l'aspect à première vue « commercial » de sa démarche ne soit plus perçu comme tel comme cela a pu être le cas.
    Nous avons à mon sens affaire à un nouveau posteur souhaitant faire partager ses deux passions, la musique et le vin, et nous y lisons la manière dont il les associe toutes deux. Je ne crois en aucune intention mercantile ni malveillante. Seulement un sujet digne d'intérêt

  3. #3
    Bonjour

    Je suis amateur de vin et musicien. Je salue Hugo pour ce texte qui associe divinement les deux.
    Même si à la base il pouvait être ressenti comme mercantile, ce post a mérité toute mon attention, en particulier avec cette ouverture sur l'alchimie entre ces deux formes d'art.
    Chapeau bas l'artiste.
    Dernière modification par Black Chocobo ; 21/01/2020 à 12h17.

  4. #4

    Musique et vin

    Bonjour à toutes et à tous,

    Merci pour vos retours compréhensifs.

    Voici un nouveau texte, avec une musique légèrement moins classique en revanche :

    « Je m’adonne à l’écriture ; j’associe, j’extrais la substantifique moelle des vins et d’œuvres musicales pour dégager l’alchimie qui se joue entre ces deux formes d’art.» Hugo Serres, L'Ecrit'Vin

    Vouvray, Domaine du Clos Naudin "Goutte d'Or" 2011 VS Antonio Molina, Adios a España

    « La modestie, c’est la housse du talent. » a dit Aurélien Scholl. Modestie et talent sont les points communs de Philippe Foreau et Antonio Molina. Succès reconnus mais modérés « à cause » de la modeste Vallée de la Loire, du méconnu Flamenco ? L’un sort de son écrin un Vouvray « Goutte d’Or » 2011, l’autre une interprétation féerique d’« Adios a España ». Armand Foreau, le grand-père possède quelques vignes et établit la notoriété de la maison (premier à embouteiller ses vins à Vouvray à l’époque) en commençant à creuser la cave en 1910, qui s’achève en 1970. Le père, André, prend les commandes du domaine en 1969, la même année, dans « Galas del Sabado », Antonio, descendant d’une humble famille d’Andalousie, révèle « Adios a España », un chant lyrique espagnol racontant l’histoire d’un espagnol triste d’immigrer.

    En 1983, Philippe perpétue la coutume familiale : « Comme mon grand-père et mon père, je reste attaché aux méthodes traditionnelles et à une logique biologique pour la culture de nos 12 hectares situés en première côte et âgés en moyenne de 37 ans. » explique-t-il récemment. Quant à Antonio, il éblouit l’Espagne de son style andalous, inimitable et de sa voix cristalline. Durant ses tournées (théâtre, cinéma, chanson), il sillonne les routes avec une auto offerte par Franco. Philippe aussi sillonne ses vignes avec son tracteur, mais c’est bien à la main que la vendange se fait, à la voix que le chant s’exprime.

    Et même si les péripéties du temps tracassent Philippe, il reste immuable : « Les années sèches, c’est un beau millésime assuré, on est gagnant sur tout la ligne. Les années humides favorisent la pourriture grise et il faut se battre dans la vigne pour sortir quelque chose de correct ». assure-t-il. 2011, hiver froid et sec et printemps chaud et sec. Après 1947 et 1990, le tour de force de la cuvée emblématique du domaine, la « Goutte d’Or », est venu.

    Je carafe MA « Goutte d’Or » 2011 (ouverte soudainement après un piteux Condrieu 2015 d’un producteur dont je tairai le nom et l’insistance d’un copain dégustateur). Il arrive à la fin d’une trilogie sucrée de haute volée : Alsace Domaine Zind-Humbrecht « Clos Jebsal » Pinot Gris VT 2010, Vouvray Domaine Huet « Constance » 2003. Zind très bon, Constance excellente, Goutte d’Or … un superlatif que les mots extraordinaire, exceptionnel, magique, monumental, inoubliable ou encore immense ne sauraient suffisamment résumer. « Adios a España » connaît le même destin, entendu et dévoré par hasard, au fil de mes découvertes musicales.

    La robe est dorée telle une « Goutte d’Or ». Le nez est un peu fermé dû à cette ouverture précoce mais l’exotisme de la Loire est bien là, accompagné d’un parfum de foie gras, comme le Sauternes exhale la moutarde (si si c’est vrai). En bouche, c’est soyeux, sirupeux, une grosse matière me tapisse et me caresse le palais : « Bonita, alegre y graciosa como una rosa de abril » comme chante Antonio. « beso », c’est ce que ma bouche tente de déposer sur chacune de ces gouttes d’or qui « perfuma mi corazón » de ses arômes de rhubarbe, de fraise, de mangue, de pommes, de fruits mûrs, et de foie gras..

    Un « oración » serait salutaire pour espérer reboire ce nectar digne des dieux. « La Grande Pièce », c’est la parcelle plantée en 1970 au sommet du plateau du Clos Naudin (qui n’a rien d’un Clos ) et qui engendre les plus beaux vins. C’est aussi là où ont lieu les dîners de prestige et divin, car c’est bien à la table des dieux que doit se déguster cette merveille, aux côtés d’Yquem ou d’Egon-Muller. Son producteur serait sans aucun doute d’accord : « Philippe Foreau sait transmettre dans ses vins le bonheur qu’il prend à les projeter dans le seul et unique espace qui leur revient de droit : les grandes tables » écrit la RVF.

    En 1954, Antonio écrit la pièce de théâtre « Hechizo » (J’ensorcèle). Sa douce voix cristalline est assimilable à la potion magique de Philippe : un sort m’est jeté. « L’une des missions du vin est de satisfaire la soif et d’accompagner la nourriture comme une gourmandise supplémentaire. Il n’y a pas de véritable gastronomie sans le goût du vin. » déclare-t-il. Comme d’habitude, je déguste cet élixir avec un dessert « maison » de mon cuisinier préféré à base de rhubarbe, de fraise, de spéculos et de chantilly. Un sorte d’apothéose ?

    Philippe clame : «1947 était une année remarquable pour les liquoreux. Mon grand-père avait mis de côté toutes ses fins de presse, car elles représentaient la quintessence du vin. La couleur or donna son nom à la cuvée». D’enchaîner à propos de 1990 : «Ma meilleure parcelle bénéficiait d’un botrytis de grande qualité. Après avoir attendu fin octobre, j’ai décidé de tout vendanger en une seule fois, sans tri, et d’effectuer une presse très lente. Le jus qui coulait était d’un incroyable jaune soutenu ». Année d’Or, Juanito Valderrama remet un disque de platine à Antonio. Or, platine, leurs couleurs ne peuvent être que luxuriantes.

    Ce grain de voix, le même grain de qualité que Philippe tire de ce fameux botrytis (il attend que la pourriture noble s’établisse de 40% à 100% sur les grains) pour qu’ensuite la trie la plus riche soit utilisée pour la « GO ». La cuvée 2011 de 7000 bouteilles est « preciosa ». «Les grands vins doivent impérativement répondre à un triptyque immuable: la finesse, la digestibilité et la grande longueur en bouche» assène Philippe. Et quelle longueur ! Du jamais bu depuis le Meursault « Les Narvaux » 1995 de Leroy. Les 240 gr de sucre résiduel ont l’effet « chewing-gum » en bouche : collant au palais avec fraîcheur, persistance et complexité en plus. La longueur est kilométrique et aussi aérienne que l’envolée finale et lyrique d’Antonio de 20 « caudalies » qui tapisse la pièce et mes oreilles par son grain pur. Tiens, en 1942, il est tapissier à Madrid. Sur ces sols argilo-siliceux, le terroir se nomme « perruche ». Je parlerai ainsi de « vin perroquet » : qui disent beaucoup de choses.

    Le prolixe Philippe affirme : « Il ne faut pas avoir peur de l’acidité ». Tension fougueuse acidité maîtrisée, jeunesse enivrante, j’abonde dans le sens de cette « vérité ». L’avenir est prometteur et tout comme Antonio, lorsque l’on a l’élégance de la « mar serena », la finesse de la « brisa », l’équilibre de le « tierra » et l’air majestueux du « sol », on peut affronter le temps avec fierté et confiance. « Boire du vin, au-delà de la gorgée avalée, c’est s’interroger sur les mystères de son goût, c’est comprendre son origine, son cépage, sa terre, c’est comprendre les conditions climatiques qu’il a reçues, c’est aussi comprendre son potentiel. » déclare Philippe. Savoir d’où l’on vient, où l’on est et où l’on va. « Je veux quitter le port, j’ai l’âge des conquêtes, Partir est une fête, Rester serait la mort. » chantait Jacques Brel.

    « Terre inculte » et « broussailles », c’est la définition gauloise de vober qui a donné son nom à l’AOC Vouvray crée en 1936. « Les grands vins ont en commun avec les grands esprits de vous rendre intelligent. » écrit la RVF à propos des vins du Clos. La boucle est bouclée, la bouche jamais. En 1989, une fibrose pulmonaire s’empare d’Antonio et le met chaos en 1992. La grandeur d’âme ne suffit pas à rendre ses poumons invincibles. Un clin d’œil, en 1997, grande année liquoreuse en Loire, « Adios a España » d’Antonio est réédité en CD. Quant à MA deuxième « Goutte d’Or » 2011, elle patientera sagement en cave, et d’ici là j’espère goûter la 2015, la 1990, la 1947 ou encore la 1921, non estampillée GO mais vinifié pareillement…

    Ma sincère gratitude,

    HS

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    Hugo Serres

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  5. #5
    En attente de confirmation
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    6 885
    ... le met chaos ...
    .
    Dernière modification par The Fierce Rabbit ; 24/01/2020 à 15h43.

  6. #6
    Bonjour
    Merci pour ce 2e texte sympathique.
    "...le met chaos..." je reste dubitatif quant à l'emploi du terme ici, bien que l'analogie soit possible.
    En tout cas, bravo encore une fois.

  7. #7
    Bonsoir à toutes et à tous,

    Merci du compliment. Tout ceci n'est qu'une lueur littéraire...

    Voici un nouveau texte :

    « Je m’adonne à l’écriture ; j’associe, j’extrais la substantifique moelle des vins et d’œuvres musicales pour dégager l’alchimie qui se joue entre ces deux formes d’art.» Hugo Serres, L'Ecrit'Vin

    Bordeaux, Saint-Emilion GC, Château Tertre-Roteboeuf 2000 VS Astor Piazzolla « Café 1930 »

    « Les génies bien organisés savent réunir la profondeur dans le sentiment et la légèreté dans l'esprit. » a dit Delphine de Girardin. L’immense vigneron François Mitjavile au Château Tertre-Roteboeuf à Saint-Emilion et le bandonéoniste Astor Piazzolla en référence du tango en ont la carrure. L’un vinifie un Saint-Emilion GC dans son Tertre-Roteboeuf sur un millésime 2000, l’autre compose « Café 1930 » en 1986, un des 4 tableaux d’« Histoire du Tango » (Bordel 1900, Café 1930, NightClub 1960, Modern-Day Concert).

    1929. Le Château du Tertre (désormais Roteboeuf) est référencé dans l’édition du guide Féret, la « bible » du vignoble bordelais. Les prémices d’un terreau fertil ? Astor, né en 1921, reçoit pour son 8ème anniversaire son 1er bandonéon de son père. Déçu, il voulait un saxophone. Capricieux et exigeant, n’est-ce pas les points d’ancrages des talents ? Alors qu’Astor commence à se faire une notoriété à Buenos Aires, en 1948, François vient au monde dans la capitale. L’un et l’autre cherchent alors leur chemin : Astor est un bon tanguera mais bridé par une Argentine restée à la belle époque, quant à François rien ne l’attire sérieusement et certainement pas son bureau dans l’entreprise familiale de transport « Mitjavile ». 1969, François met au monde Louis (Domaine de l’Aurage en Côtes-de-Castillon) tandis qu’Astor perd son père et compose un de ses succès : « Adiós Nonino ».

    1978. François, déjà père de Louis et Nina (1975) fait les cents pas, jours et nuits, sur les terres de sa belle-famille alors qu’il travaille au Château Figeac. Il a enfin trouvé sa voie et reprend les vignes dont sa femme Emilie a hérité et renomme les 3.5 hectares : Domaine Le Tertre-Roteboeuf. Drôle de nom ? Tertre signifie « colline », et lorsque les bœufs arpentaient ces vignes en côteaux, ils éructaient. « Je vais mener tout seul ma barque et personne ne pourra m'emmerder. Au départ, je n'avais pas l'intention de faire un grand vin. J'aspirais simplement à une vie heureuse, avoir une propriété qui tourne, et surtout ne pas être jugé. Il se trouve que cette propriété commandait de faire un grand vin, parce que le cru et la qualité étaient là. » Colérique, visionnaire et rêveur ? Un génie ! Quant à Astor, l’orchestre qu’il recompose, Quinteto Tango Nuevo rencontre un succès international durant dix ans.

    1986. Astor compose « Histoire du Tango », dont ce sublime « Café 1930 » épouse ce millésime 2000 de François. Un rouge rubis, une larme suave, un nez fruité et poivré, mon verre est coruscant. La sensualité de ce vin ne m’est pas totalement inconnu, mon récent séjour au Château cet été me revient à l’esprit avec légèreté et nostalgie. Nous trouvons rapidement que c’est François qui est le père de cet enfant au visage d’Apollon. Délicatesse, tendresse et douceur n’ont que faire des 18 mois d’élevage en fût neuf de Radoux. Le toucher de bouche est une caresse de femme dans un dos dévêtu. Ce récital de merlot sur les fruits rouges flatteurs et confiturés enrobe mon palais et me laisse cette sensation « queue de paon » qu’un ami et moi évoquons souvent à propos de ces vins suaves, profonds et longs. « Je veux des raisins rôtis ! » martèle souvent François. Même romantisme et maturité dans l’œuvre d’Astor où mélancolie et légèreté s’expriment avec intensité à la flûte comme à la guitare.

    « Les vins issus de raisins cueillis au seuil de leur décadence vieillissent mieux que ceux vendangés primeurs et trop croquants. Il faut chercher la fraîcheur dans une légère surmaturation. » déclare François. Et quelle fraîcheur ! Le duo fraise-framboise, une pointe mentholée, une agréable note de poivron vert et des arômes de poivres frais me tapissent le palais avec vivacité, fougue et fraîcheur. François s’inspire beaucoup des préceptes de l’œnologue Emile Peynaud, notamment pour la taille en Cordon de Royat et non Guyot comme la plupart des viticulteurs font (méthode adopté pour lutter contre le phylloxéra, qui aujourd’hui n’a plus lieu d’être). Elle permet d’avoir une meilleure exposition au soleil tout en gardant la fraîcheur du sol comme l’affirme Nina qui travaille avec lui : « De vrais petits bonsaïs à 20 cm du sol ! On gagne 1 degré de température de différence. Les raisins plus proches du sol, plus au chaud peuvent murir plus vite. ». Ce travail minutieux et dans la lignée du maître bourguignon Henri Jayer a pour effet de produire un vin qui « fait croire aux dégustateurs que votre vin est vieux quand il est jeune, et jeune quand il est vieux.». Cette insolente jeunesse est époustouflante et se compare à la vitalité du morceau d’Astor qui transpire à travers le vent de la flûte et l’écume de la guitare. Variations des rythmes, alternance entre vitalité et sérénité, la musique me hérisse le poil, mon œil scintille.

    La finesse et l’élégance sont au rendez-vous de ce grand vin. Au Château, à Saint-Laurent-des-Combes, on sait comme chez tous les grands que le vin se fait à la vigne : un ouvrier par hectare sont donc requis. « Je privilégie la qualité du fruit ; l'élevage ne fait que développer ce potentiel. » assène François. Tout réside dans la qualité du grain pour obtenir une pureté digne des nectars des dieux. Ni vert, ni croquant, ni flétri, ni botrytisé. Juste « « après le sommet de la courbe, légèrement sur la descente » comme le veut François sur ses 5.8 hectares. C’est la même qualité de note que cherche Astor : la note juste, au bon moment. Savant assemblage entre instruments, rythmes, résonances et successions dont le tango méritait le dépoussiérage avec subtilité et liberté. « Il était nécessaire de libérer le tango de la monotonie harmonique, mélodique, rythmique et esthétique qui l’engonçait.» déclara-t-il.

    Comment ne pas avoir la longueur lorsqu’on a sensualité, fraîcheur, jeunesse, finesse et pureté ? C’est un corollaire ! A cette occasion, l’ami qui a amené ce flacon à l’aveugle, me fait inaugurer, enfin, mes verres à Bordeaux Grand Cru de Riedel. Le modèle est parfait pour donner l’ampleur que le nez exhale, approfondir la matière juteuse et étirer le nectar en bouche. Astor joue de même pour que droiture et rondeur se fondent harmonieusement durant plus de 6 minutes entre les aigus de la flûte et les graves de la guitare.

    Mon troisième Tertre-Roteboeuf, après 2015 et 2016 goûtés au Château, est une véritable initiation au voyage dans l’univers mitjvalien. « Je tiens à mettre en valeur l'expression du fruit qui ne mûrit jamais de la même manière selon les millésimes. » a-t-il à cœur. Souvent austère ailleurs, ce 2000 s’annonce excellent à Saint-Emilion, surtout sur ce terroir avec une exposition sud-sud-est, des vignes en amphithéâtre et un sol argilo-calcaire aride. « C’est le terroir le plus exotique de la côte sud, permettant de rôtir/confire les baies, tout en gardant la fraîcheur.» se réjouit François. Un soleil exotique et argentin qui inspire aussi Astor pour varier entre classique et jazz et représenter 4 périodes du Tango : au Bordel en 1900 qui se danse, au Café en 1930 qui s’écoute, en boîte de nuit en 1960 qui s’active et aux temps modernes qui s’interroge. « Quand on crée, il faut avoir son propre style. Sans style, il n'y a pas de musique. » assure Astor. En 1985, il est nommé Citoyen illustre de la ville de Buenos Aires, et obtient le Prix Konex de Platine du meilleur musicien de tango avant-gardiste de l’histoire d’Argentine. « Je suis considéré comme un type original, alors que la chose qui paraît aujourd’hui la plus originale dans notre monde, c’est le classicisme. » s’étonne François. Leur originalité: leur classicisme ?

    1992. Astor meurt et François avoue signer son pire millésime. Il en demeure pourtant encore aujourd’hui bon, de ma récente dégustation, je garde le souvenir « des saveurs plus élégantes, un peu décadentes » que François évoque à son propos. « La mode se démode. Le style, jamais » assurait Coco Chanel…

    Ma sincère gratitude,

    HS

    Ma sincère gratitude,

    Hugo Serres

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  8. #8

    Champagne, Champagne, Laurent-Perrier, Grand Siècle 1990 VS Asturias (Leyenda), Suite Espagnole No. 1 Op.47 Isaac Albeniz

    Bonsoir à toutes et à tous,

    Voici un nouveau texte :

    « Je m’adonne à l’écriture ; j’associe, j’extrais la substantifique moelle des vins et d’œuvres musicales pour dégager l’alchimie qui se joue entre ces deux formes d’art.» Hugo Serres, L'Ecrit'Vin

    Champagne, Champagne, Laurent-Perrier, Grand Siècle 1990 VS Asturias (Leyenda), Suite Espagnole No. 1 Op.47 Isaac Albeniz

    « La musique consiste à nous élever le plus loin possible au-dessus de ce qui est. » a dit Gabriel Fauré. Le « Grand Siècle » 1990 de Laurent-Perrier et « Asturias-Leyenda » de la Suite Espagnole Numéro 1 Op 47 d’Isaac Albeniz m’ont porté au-delà. C’est en 1887 que Mathilde Emilie Perrier, veuve d’Eugène Laurent, reprend les rênes de la prestigieuse maison champenoise. La même année, Isaac termine les Suites Espagnoles. Elle va internationaliser la marque, il va se produire un peu partout en Europe. C’est à elle que l’on doit le premier champagne non dosé, dit brut nature, c’est peut-être à lui que l’on doit la loi contre le travail des enfants puisqu’à 4 ans il donnait déjà son premier concert à Barcelone, embrigadé par son père, mode Léopold Mozart (« joue mon fils : nourris-moi »).

    Grand Siècle. C’est pas un nom, c’est un renom. Les ornements de l’étiquette ne sont pas sans laisser rappeler l’époque du règne du Roi Soleil, siècle de l’apogée des arts, de l’art de vivre et de la renaissance d’une nouvelle gastronomie. Vatel si bien ? « L’idée de Grand Siècle s’appuie sur une observation : la nature ne nous donnera probablement jamais l’année œnologique parfaite, en revanche l’art de l’assemblage peut permettre de la recréer. Bien au-delà des millésimes rares, Grand Siècle est le choix de non pas une mais trois années exceptionnelles, au profil œnologique complémentaire. » dit-on à Tours-sur-Marne. L’illustre Bernard de Nonancourt, qui après s’être introduit dans la cave privée d’Hitler avec l’armée française, dirigea la maison de 1948 à 2010. Cette cuvée qu’il visionna en 1955 : « C’est assembler, le meilleur avec le meilleur pour obtenir le meilleur. » disait-il. C’est à ce jour un 100% Grand Cru composé de 11 à 17 GC, un vieillissement de 7 à 8 ans en cave et un assemblage de 3 années : une année pour la structure, une année pour la finesse, une année pour la fraîcheur.

    Asturias. C’est pas un titre, c’est un voyage. Bien que voulant dépeindre les Asturies, il compose ici le paysage d’Andalousie avec toute la mélancolie catalane qui se plaint mieux à la guitare qu’au piano et lui redonne tout son langage sauvage, d’où les nombreuses transpositions pour la gratte. Dans les montagnes des Asturies, c’est l’ascension d’Isaac Albéniz, l’enfant solitaire et fugueur à la recherche de son devenir identitaire. Leyenda (Légende) pour sous-titre laisse interrogatif. Un morceau de Légende ? Une histoire ? Ou juste Légende dans la légende ? Légende romantique fut-ce incontestable. Le pianiste Francis Planté a dit « Il existe les grands pianistes... Et le grand pianiste Isaac Albéniz.»

    Grand Siècle passe après une Cave Privée Rosé 1979 de Veuve Cliquot. Rapidement, elle l’éclate, la torpille et renvoie ce rosé à sa macération, attention ça va saignée ! Ce vin est tout au long de la dégustation une « montée en grandeur » : typique des grands vins anciens (même si 28 ans c’est jeune) : le nez évolue à chaque fois que je le hume, allume et fume. Le chef de cave Alain Terrier vinifie chaque lot séparément et surveille les assemblages : la vinification parcellaire, c’est la signature maison qui nous donne cette très large palette d’arômes, de terroirs et de styles. Les notes inquiètes, entraînantes et lyriques d’ «Asturias » nous ensorcèlent dans un cante primitif et passionnel. En bouche comme à l’oreille, les arômes et les notes s’expriment, se complexifient et s’allongent sans aucune puissance, seulement de l’intensité. La majorité de chardonnay (55% environ) apportent cette minéralité et complexité et la minorité de pinot noir (45% environ) vinosité et structure. Tel un homme à la poursuite d’une femme dans une ruelle perchée et anachronique d’Andalousie que dépeint Isaac avec un rythme soutenu et nostalgique durant sa première partie.

    « Finesse, Fraîcheur, Elégance », c’est la devise chez LP ! A propos, la finesse vient survoler mon verre à Champagne Riedel : la délicatesse aromatique et le toucher de bouche placent ce Champagne dans la catégorie des grands. Amande fraîche, brioche toastée, noisette grillée, c’est subtil et précis. Le vin est un apaisement. Un appel au calme. Faites l’amour et du Champagne, merde ! Chez LP, l’on chuchote entre deux crayères « Dès les premières bulles, son long col chante un murmure qui ne ressemble à nul autre. ». La romance reprend ses droits dans les Asturies : la deuxième partie est plus fine, sensuelle et charmeuse. La nervosité du début s’estompe pour plus de tranquillité et de sérénité. La vitesse du coureur a laissé place à son bagout : jeux de regards et mots doux se bousculent avec tact et tendresse. Il est beau et adroit, elle se laisse séduire. Il la cherche, la trouvera-t-elle ?

    C’est au tour de la fraîcheur (de rafraîchir ?). 28 ans : une jeunesse radieuse, une rondeur ronde, une énergie revigorante et une splendeur dans une bulle fine et étincelante. De quoi faire pâlir tous les Marquis de Sade ! Ce bellâtre vigoureux a encore de quoi nous séduire quelques belles années pour le plus grand bonheur des dégustateurs, et des demoiselles… De grand l’on passe à très grand vin. En bouche, c’est fleurs blanches, jasmin et tilleul exhalent un vent de fraîcheur dans mon palais qui me rappelle celui de l’Alhambra de Grenade à l’aube, qu’Isaac pianote avec imagination dans son style flamenco andalous, musique populaire catalane et romantisme contemporain européen. Turina disait à son propos: "Catalán emmoulé en Andalou". A 28 ans, Isaac « concertait ses œuvres » pour le pavillon français de l’Exposition Universelle de Barcelone. Chacun son uni’verre, tant qu’il est au service du Beau, du Bien et du Vrai. Des mots et des jeux l’on passe aux actes, le rapprochement se veut corporel, il en devient sensuel. L’homme ne joue plus, la femme si. Elle provoque, est troublée mais soudain résiste et repart cheveux au vent.

    Et la fin de bouche, c’est tension et droiture. Une main de fer dans un gant de velours : la maîtrise quoi. Une véritable élégance qui termine la promesse d’un trio signée LP. Harmonie et fantaisie sont le résumé de cette fin de bouche qui avait un début. Isaac nous replonge dans les ruelles escarpées de Grenade ou Séville au crépuscule. C’est à en avoir le tournis mais la transcendance d’arriver au sommet et de cueillir la rose reste le défi. Cette fois-ci, ce sera la bonne. Savoir-faire et savoir-être toujours, pour parvenir à ses fins, car importent les moyens et la victoire n’est totale qu’avec la manière. Il court, accourt et fait la cour. Suffisant ou trop court ? La femme a toujours le dernier mot.

    La finale ? Une plénitude. Volume racée, typique de la cuvée mais ici dans un caractère affirmé, autoritaire, complimenterai-je même. Ample et généreux, ce vin est un dépassement de soi, de moi, de coi, de foi, de loi, de roi et de toi. Il est l’harmonie : « Finesse, Fraîcheur, Elégance ». De très grand vin, l’on passe à exceptionnel. Monumental. Autant que les Asturies, la finale est un déchirement en apothéose. Le retour aux sources, à la quiétude et à la mesure. L’un et l’autre s’étirent et s’estompent avec grâce et sourires aux lèvres. L’homme la tient désormais dans ses bras, sur ses lèvres charnelles se déposent les siennes.

    Militaire médiocre, président dictateur, il faut tout de même reconnaître à de Gaulle qu’il a très bien choisi le nom de cette cuvée ! Ce Grand Siècle reflète cette Grande Année, 1990, une Belle Epoque où avoir un Dom était inutile pour faire un Champagne du Millénaires et où Rares sont ceux qui ont échoué à la vigne comme au chai, on les Comtes désormais sur les doigts de la main à ne pas pouvoir déguster leur nectar en Cristal avec leur Grande Dame aux chandelles, n’est-ce pas Winston ?

    Ma sincère gratitude,

    HS

    Ma sincère gratitude,

    Hugo Serres

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  9. #9
    Merci Hugo pour ce nouveau texte.

  10. #10
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    Champagne, Champagne, Laurent-Perrier, Grand Siècle 1990
    Mazette. Une bouteille à largement plus de 100 € pièce. Y'en a qui ont les moyens de ne rien se refuser. Moi pas. Je me contenterai d'Albeniz, que je n'ai pas eu besoin de Laurent-Perrier ni de quelque "écrivain" - quelle que soit l'orthographe - que ce soit pour découvrir et apprécier depuis fort longtemps déjà.

    ["Volume racée" ... on est sûr de la terminaison ? "Nous ensorcèlent", "son style flamenco andalous" ... on est bien sûr aussi ? A tant faire d'être écrivain, autant savoir écrire.]
    Dernière modification par The Fierce Rabbit ; 12/02/2020 à 16h17.

  11. #11
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    Les textes de Hugo sont bons. La preuve, c'est que ce n'est pas lui qui le dit, c'est Black Chocobo.
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  12. #12
    Un billet d'avion pour l'autre bout du monde, une place à la Scala, un repas gastronomique, une belle auto, une bibliothèque bien remplie.. chacun choisit ses émotions avec son portefeuille. Ce n'est pas une question de moyens mais de priorité.

    Cette bouteille se trouve à 240€ chez le caviste actuellement. Mais 240€ prix caviste peut très bien avoir été acheté 10€ à un fournisseur, or là en l'occurrence ce fut la bouteille d'un ami marchand de vin et je ne l'ai pas payé, j'ai juste amené d'autres bouteilles lors de cette soirée vin haut de gamme entre pros et amateurs éclairés.

    Mon bonheur vous emmerde ? Personnellement je suis ravi si Albeniz vous enchante avec un verre d'eau, en salle de concert, ou seul dans le noir. Je n'ai pas la prétention de faire découvrir un compositeur, juste de paralléliser un morceau avec un vin qui lui ressemble.

    En effet, racé ne prend pas de e en finale, soit je me suis trompé soit j'ai changé texture par volume et oublié de modifier la terminaison de l'adjectif.
    "Les notes inquiètes, entraînantes et lyriques d’ «Asturias » nous ensorcèlent" n'est pas français ?
    "flamenco andalous" oui, andalous peut prendre un S.
    et "Champagne, Champagne" ça ne vous a pas choqué ?

    Si j'écris Ecrit'Vin et pas écrivain, c'est sans doute par souci d'humilité et par discernement, non ?

    La nuance est l'arbitre des élégances…

    Au plaisir de vous faire partager un nouveau texte, sans fautes…

    Tout ceci n'est que pure gratuité,
    Avant que ne tombe le couperet.
    Ma sincère gratitude,

    Hugo Serres

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  13. #13
    Bonjour à toutes et à tous,

    Voici un nouveau texte :

    « Je m’adonne à l’écriture ; j’associe, j’extrais la substantifique moelle des vins et d’œuvres musicales pour dégager l’alchimie qui se joue entre ces deux formes d’art.» Hugo Serres, L'Ecrit'Vin

    Bordeaux, Pessac-Léognan, Château Haut-Bailly 1962 VS « Polka », La Fiancée Vendue, Bedřich Smetana

    « L'avantage du pessimisme, c'est qu'on ne peut avoir que de bonnes surprises. » a dit Guy Bedos. Le Château Haut-Bailly 1962 avec un niveau basse épaule, j’en attendais rien. Pire. Je craignais « l’intoxication œnologique ». La « Polka » de La Fiancée Vendue de Bedřich Smetana ? Sans doute encore un de ces morceaux d’opéras lents et pompeux dont le répertoire classique regorge à en dégorger les goulots et à en égorger les commanditaires. La première gorgée sera peut-être buvable ? La première note m’aura un nœud dans la gorge ?

    Niveau très bas. Peut-on encore faire appel au vocable « niveau » à ce niveau ? Nous nivelons nos attentes à la hauteur de la bouteille : très bas ! Le niveau circoncis, l’air circonspect, l’espoir circonscrit : nous ouvrons le flacon. Une pauvre bouteille ouverte à la volée de l’insouciance, c’est un vin bohème ! C’est tout de même plus classe que « vin nature », n’est-ce pas les bobos (BOlchéviques-BOllinger comme disent les british) ? «Mais c’est pas dégueu on dirait ! » s’étonne le valeureux qui a racolé ce jus de raisins jusqu’à ma table pour affronter mon Pichon-Baron Longueville 1988 (à l’aveugle lui). Le nez étonne par son raffinement et sa vigueur. De là à être bon ?

    Prodaná nevěsta (La Fiancée Vendue), c’est une pièce de théâtre : l’histoire de Marenka, la jeune fille bourgeoise qui aime le pauvre jeune homme Jeník mais dont les riches parents préfèrent l’union avec Vašek, un bourgeois. La « Polka », danse originaire de Bohème à deux temps, de tempo assez rapide, aux rythmes bien articulés se montre haletante dès les premières notes. Alliage d’authenticité nationale, de puissance folklorique tchèque et de finesse mélodique. Comme une promesse d’une danse animée et élégante ? Ou ne serait-ce qu’une belle entrée éphémère dont l’écume a déposé son pur blanc sur mon ouïe fine ? Cette amour bohème ne semble-t-il pas mort-né à cause de l’autorité familiale ? Austérité et obscurantisme ne guetteraient-ils pas vin et danse bohème ?

    La bouche déroule fraîcheur, délicatesse et puissance. C’est un pléonasme que cette harmonie équilibrée de symbiose. Le vin se tient extraordinairement bien pour ses 48 ans et son bas niveau. Le tabac des Bordeaux, la rose sèche de la Bourgogne, le lardé-fumé de la Vallée du Rhône et les truffes (de Bordeaux, Cahors, Châteauneuf, ou Côte-Rôtie ?) donnent un caractère universel à ce vin. Il me devient insupportable de savoir ce que je bois avant de le deviner. La mélodie est un va-et-vient de grâce et de charme qui maintiennent une certaine tension et un folklore slave dont le mystère de la suite intrigue. Cet amour, interdit par les parents de Marenka, se contient pour nous donner flamboyance ou se dispersent dans les méandres humaines à résoudre des problèmes irrésolvables ?

    Après ce début en fanfare, sur les chapeaux de roue et autres expressions verbeuses, le vin va s’assoupir ! Se résigner ! Abdiquer ! Eh bien non, la reprise est énergique, le milieu de bouche est une montée en puissance, le vin s’étire après 48 ans de sommeil et s’élargit après tant de repos. Le chanceux qui a eu la bonne idée d’amener ce cadavre dit, désabusé, après une heure dans le verre : « J’ai peur qu’il baisse maintenant… ». Chaque gorgée, minutes passantes, devient un concentré de roses séchées (Romanée-Conti ?!). Bedřich intensifie le rythme par des oscillations de volume et amorce une grande finale ? Je ne suis plus à une surprise près. Marenka ruse de Vašek pour qu’il la renie tandis que Jeník dupe le courtier en mariage dans la discrétion pour préparer les fiançailles.

    La finale, car il en faut malheureusement une. Elle est longue, généreuse et énigmatique. Bouche bée hante désormais mon faciès. La joie de vivre et les étoiles dans les yeux nous admirons la nature, le temps, le vigneron, le vin. Remonter le temps, l’espace d’un instant, nostalgie rajeunit. Une allégorie de résistance et de persévérance. Un fantôme au visage d’ange et aux joues roses. Bedřich m’offre une apothéose, un feu d’artifices à Prague en hiver quand souffle la bise. La danse se densifie de densité. La grandeur « royalise » le morceau, l’union et la comédie. Jeník se révèle tardivement, à la surprise générale, le marié de Marenka, choisi par ses parents et le courtier dupés, comme le public.

    Ô Bordeaux ! Ton identité classique a encore frappé. Ô Bailly ! Ton terroir a encore parlé. Dès 1461, les archives locales font état de l’excellence de tes terres pour la viticulture. En 1530, tes terres sont cultivées par les familles Goyanèche puis Daitze jusqu’en 1630 où tu es racheté par Firmin Le Bailly et Nicolas de Leuvarde. En 1736, l'Irlandais Thomas Barton reprend le flambeau et te hisse au sommet avec le succès grandissant du « French claret » en Angleterre et en Irlande. Tout au long du 18ème siècle, des propriétaires puissants, connectés et ambitieux te mènent vers de nouveaux sommets. En 1872, Alcide Bellot des Minières acquiert le domaine et fait bâtir le château en pierre actuel. Nommée « Roi des vignerons » grâce à son approche scientifique et rigoureuse, il assoie ta notoriété et tes prix atteignent le niveau des Premiers Crus Classés. Il apposera même sur l’étiquette « Premier Cru Exceptionnel ». Comme Jeník, il ruse, car 1855 a gâté certains et délaissé d’autres. Mais après sa mort et une période instable, les Graves obtiennent leur classement en 1953 et tu y trônes.

    Ce 1962 restera intemporel. Ton secret repose sous les fenêtres du château, une parcelle de 4 hectares de vignes centenaires composées de 1/12 de Cabernet Franc, 1/12 de Carménère, 1/12 de Merlot, 1/12 de Malbec, 1/12 de Petit Verdot et 7/12 de Cabernet Sauvignon. Tu as la structure, le fruit, la finesse et surtout la puissance qui te permettent de durer, durer. Tu es la quintessence des vieux bordeaux, tes vieilles vignes te confèrent des ressources guerrières, tu n’as peur de rien, surtout pas du temps qui file. 1962, tu es un cavalier à la gueule cassée. Une expérience des millésimes, un savoir-faire historique, un terroir de graves, sable et argile surélevé de 20 mètres au-dessus de tes voisins, un sous-sol constitué de faluns et de sédiments marins et une patience légendaire ont permis ton éclosion ce soir. Frantz Malvezin écrit dans L’Œnophile de juin 1920 à ton propos : « une exposition est excellente de trois heures et demie à huit heures et demie du soir en été ; le soleil y verse ses flots d’or, de rubis et d’émeraude. » Tu as orné notre dégustation de ta plus belle parure. « Les vins de Haut-Bailly subliment toute la sensualité des Graves. » dit-on au Château.

    Comme cette traversée du temps en 70 centilitres, Bedřich, en 1882, tu n’as plus mémoire, parole, et raison mais tu composes encore. Ton opéra, ta polka sont increvables, identitaires et traditionnels. Créée en 1866, la centième représentation en 1882, une adaptation cinématographique en 1932 par Max Ophüls, un enregistrement studio en 1981, une entrée en 2008 à l’opéra de Paris et un enregistrement studio en 2011 : tu rivalises d’intemporalité. Malgré les critiques de n’être que trop modérément nationaliste et trop wagnérien, tu allies le style aristocratique de Prague et des villages Bohèmes dans le respect d’une élite et d’un peuple. « Avec l'aide de Dieu, un jour je serai Liszt pour la technique et Mozart pour la composition. » disais-tu.

    Depuis 1998, mon cher Haut-Bailly, tu es la propriété de Robert G. Wilmers, un américain francophile et passionné des grands crus de Bordeaux. Sous l’égide de Véronique Sanders, petite fille de Jean Sanders qui dirigea le château après le rachat par son père Daniel Sanders en 1955, tu es désormais entre de bonnes mains. Après le triste décès de Robert en décembre 2017, tes propriétaires restent fidèles à tes 30 hectares de vignes et entendent prolonger ton savoir-faire : « Pureté, charme et précision résultent d’une vinification en douceur. Chaque parcelle est vendangée à la main, sur-mesure, afin de garantir la parfaite maturité des cépages précoces comme tardifs. La technologie est mise au service de la nature, pour plus de précision, sans concession. » chuchotent les équipes.

    Tu singeais Beethoven, Mendelssohn, Chopin, Liszt à tes débuts, mais en 1848, lors des révolutions européennes, tu t’engages dans le mouvement national tchèque, fonde des écoles de musique et connais des succès en Suède. « Si fueris Romae, Romano vivito more » (A Rome, fais comme les Romains.). En Tchéquie, fais comme les Tchéques. Tu impulses une tradition musicale à ta patrie qui désormais te la doit. Parti en 1884, tu reposes en paix au côté de Dvořak. Dans ce cimetière, ou plutôt ce éden des talents : « Pravda vítězí » (« La vérité vainc », devise de la Tchéquie).

    Ô Bailly, Ô Bedřich : « Nous sommes notre plus grande surprise. » a dit Paulo Coelho.

    Ma sincère gratitude,

    HS

    Ma sincère gratitude,

    Hugo Serres

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  14. #14
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    Citation Envoyé par L'Ecrit'Vin Voir le message
    Mon bonheur vous emmerde ?
    Voilà qu'à la fatuité, à l'emphase boursouflée et au narcissisme s'ajoute la grossièreté. Vous avez décidément tout pour plaire au plus grand nombre dans l'actuel environnement culturel atterrant, dont vous vous révélez l'emblème parfait au fil des publications de votre prose de mirliton.

    Votre bonheur ne m'importe nullement, que vous soyez heureux ou pas me laisse de marbre.

    C'est votre verbiage 'lent et pompeux', plombant, interminable, qui ennuie - profondément. A deux exceptions près, jusqu'ici, manifestement. Les exceptions confirment les règles, n'est-ce pas ?

    S'il suffisait d'écrire ce que vous écrivez pour être un bel esprit et un écrivain, les rues seraient remplies de beaux esprits et d'écrivains. Ces bobos que vous affectez de railler au § 2 du nouvel opus que vous venez de commettre, vous en êtes l'archétype parfait.

    S'il est vrai que le ridicule ne tue plus personne, poursuivez sans retenue, vous avez une très longue vie devant vous.
    Dernière modification par The Fierce Rabbit ; 26/02/2020 à 15h58.

  15. #15
    Bonjour le Justicier des Lettres ou le Mozart assassiné, comme vous voulez.

    Combien d'années avez-vous supporté dans tant d'aigreur ?

    Ne prenez pas la peine de lire et de commenter ce qui vous ennuie, faites la même chose qu'avec votre tempérance, laissez en chemin.

    S'il suffisait… mais il faudrait déjà que les rues écrivent pour espérer suffire. Accorder des prétentions aux gens pour mieux les attaquer, bonne méthode.

    Se faire traiter de bobos alors que je suis un anar' de droite, cela me fait beaucoup rire.

    Dans la vie, il y a les seigneurs et les troubadours et permettez moi de vous dire que vous m'amusez beaucoup !

    A bientôt, pour un texte "en grande pompe"...
    Ma sincère gratitude,

    Hugo Serres

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  16. #16
    Bonjour à toutes et à tous,

    Voici un nouveau texte :

    « Je m’adonne à l’écriture ; j’associe, j’extrais la substantifique moelle des vins et d’œuvres musicales pour dégager l’alchimie qui se joue entre ces deux formes d’art.» Hugo Serres, L'Ecrit'Vin

    Vallée du Rhône, Côte-Rôtie, E.Guigal « La Turque » 1994 VS Ibrahim Maalouf « Run the World (Girls) »

    « L'amour comme dérobade, l'étreinte comme ultime argument, la jouissance en points de suspension.” a écrit Amin Maalouf. Le Côte-Rôtie « La Turque » 1994 de E.Guigal, c’est l’amour de la débauche. « Run the world (Girls) » d’Ibrahim Maalouf, c’est l’étreinte des voyages. L’ébauche initiatique est similaire. Parcourir les contrées lointaines d’un terroir, c’est mettre son paysage face à un miroir. Le, et pas la, Côte-Rôtie est un terroir légendaire. Le jazz est un exutoire du classique.

    Guigal, ce n’est pas qu’un nom, c’est 3 générations de talents. D’abord il y a ce fameux « E. » devant Guigal qui est toujours négligé mais si symbolique : Etienne, le fondateur du domaine, l’homme aux 67 récoltes. En 1946 à Ampuis, berceau historique de Côte-Rôtie, il rachète 10 hectares du vignoble de la maison J. Vidal-Fleury, dont il est maître de chai. En 1961, Marcel, son fils, prend les rênes de la maison (épaulé par son père), réencépage « La Turque » en 1985 et rachète le Château d’Ampuis en 1995 pour lui redonner ses lettres de noblesses. En 1998, son fils Philippe le rejoint et est aujourd’hui le maître de chai. Il a racheté et fusionné à la maison les domaines Jean-Louis Grippat et Vallouit en 2001 et séparément Bonserine en 2006. Aujourd’hui, la maison E.Guigal c’est Côte-Rôtie, Hermitage, Condrieu, Saint-Joseph, Crozes-Hermitage, Tavel, Gigondas, Châteauneuf-du-Pape et Côtes-du-Rhône. Le Rhône balayé de long en large dans des registres frais ou ensoleillés avec une notoriété incontestable dû notamment à cette cuvée phare. L’emblème du savoir-faire Guigal.

    1980, Ibrahim voit le jour dans un Beyrouth en guerre. A 7 ans, il débute la trompette avec son père, Nassim, qui a appris au côté de la référence en la matière : Maurice André, et à 9 ans, ils forment un duo familial en tournée. Au début des années 2000, il remporte de nombreux prix de trompettistes et est encouragé par tous à faire de sa vocation, son métier. Aujourd’hui, c’est un palmarès précoce et époustouflant : Victoire de la révélation instrumentale de l'année aux Victoires du jazz, Victoire de l'Artiste de l'année aux Victoires du jazz, Grand prix Sacem du jazz, Victoire de l'album de musiques traditionnelles ou musiques du monde, Prix Lumières de la meilleure musique de film, Victoire du spectacle musical, tournée ou concert, César de la meilleure musique originale. Un style jazz aux influences orientales, rock et électronique. « La création commence toujours par un énorme bordel, un genre de cacophonie. » dit-t-il. L’œuvre finale en reste toujours épurée, cohérente et sincère.

    « L'identité n'est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l'existence. » a écrit Amin Maalouf, l’oncle d’Ibrahim. Dès le nez, je sens, je sais. Le terroir de Côte-Rôtie impose ses doux diktats : lardé-fumé. Le duo incontournable et identitaire qui distingue les syrah rhodaniennes, ennoblit l’appellation et ensevelit ses vins de puissance et de justesse. Les coteaux pentus de Côte-Rôtie toisant à tout hasard le Rhône se dessinent dans mon esprit. L’esquisse se veut identitaire, le profil aride, l’origine gallo-romaine. L’orientalisme, c’est la bonne orientation de ce nectar. Boussole au sud ! Comment ne pas être oriental quand on arbore « La Turque » ? Les arômes sont épicés, à la fois forts avec des touches de poivres noirs, de piments rouges, de paprika qui confèrent virilité, à la fois doux avec des notes de cannelle, de cumin, de poivre blanc qui révèlent féminité.

    A l’ouïe, dès les premières sonorités de trompette s’impose la musique aux mille sous-genres : le jazz. Jazz fusion, swing, soul jazz et autres courants musicales : « Le jazz, c'est toute la musique. » disait le grand jazzman Duke Ellington. Ibrahim, le franco-libanais, apporte sa sensibilité orientale. L’atmosphère est saharienne, les premières notes aigües, c’est le soleil levant à l’aube lorsque l’homme rêve encore. Inventée par son père trompettiste, la « trompette à quarts de tons », sur laquelle il est le seul au monde à jouer la musique arabe, développe une sensualité et une profondeur singulière. Cette quatrième touche, c’est son supplément de gamme ; son talent, son supplément d’âme. Le jus et l’instrument se dévisagent, leurs traits reflètent leur appartenance géographique et musicale. La texture et le son regardent dans la même direction, vers l’horizon.

    L’étiquette, c’est le vin : originalité, expressivité et clarté. Mon interprétation personnelle de l’ouvrage de Raymond Moretti : une bande dorée rappelant une colline de sable qui tel un volcan fait jaillir une pléiade de points colorés dont la prose précise : unité et droiture du jus, complexité, pureté et précision des arômes via la large palette de couleurs. Cinquante nuances de gris. Des points divergents comme un grain de sable d’un désert dont la quiétude évoque le temps qui passe langoureusement dans cette paroi renfermant quelques centilitres éphémères de bonheur. Le tout tenu par un cadre doré évoquant les plus belles parures égyptiennes avant notre ère.

    Le clip, c’est la musique : chaleureux, confidentiel et mystérieux. A l’image d’Ibrahim qui est pourtant l’instrumentiste le plus vendu en France, en Europe et dans le Moyen-Orient. Le morceau est une reprise de celui de Beyoncé, l’élégance en plus. La danseuse française, Hajiba Fahmy, qui participe aux tournées de la diva incarne ici la dirigeante d’un groupe de résistance clandestine dans la France de 2027. Elle danse, ils jouent, les clandestins savourent tandis que deux policiers se sont infiltrés pour finalement prendre la main tendue des « dissidents ». Les projecteurs sont feutrés, les feux de camps crépitants, l’unique lumière, dans les visages, la seule clarté, dans le coffre instrumental.

    Ma première des LA-LA-LA (La Landonne, La Mouline, La Turque) est magistrale. La texture est démonstrative et généreuse grâce à ses 42 mois de barriques neuves. (#Jaimelebois). Le vin se donne à mon palais avec langueur et élégance. 93% syrah et 7% viognier, c’est précis et non négociable. 24 ans d’attente ont été bénéfiques, et non nécessaires. « Je ne fais pas dans l’utile, je fais dans le romanesque.» disait Bébel dans le Guignolo. La mélodie d’Ibrahim séduit, progressivement, lorsque je me pose pour l’envisager, la dévisager. La batterie et la guitare électrique enclavent la trompette dans un fauteuil royal et le rythme de croisière se rode autour de cette suprématie. En tête, toujours le Sahara, étendu et vaste. Il n’appartient qu’aux aventuriers. Si celui-ci est désertique, la musique d’Ibrahim ne l’est nullement : le style est personnel et impalpable. « J’ai parfois du mal à poser du vocabulaire, des explications 'textuelles' sur mes notes, mes harmonies… » avoue-t-il.

    La Turque est possessive. Elle s’approprie mon palais, l’envahit. Le concept de « vin colonisateur » vient de naître. Les arômes sont imposants : chocolat, truffe et réglisse me régalent de leurs saveurs envoûtantes. Je me laisse aisément faire : se donner mutuellement, c’est un mariage réussi. Le mistral rhodanien rafraîchit la parcelle de Côte Brune, exposée plein sud, où se situe « La Turque » et balaye tous les doutes possibles en bouche sur la qualité de ce vin malgré son millésime critique. La tempête du Sahara emporte tout sur son passage. La musique me séduit, surtout me convainc par sa même générosité, instrumentale ici, qui s’empare de la pièce et exalte mon âme. La guitare s’efface, la trompette s’évade, la batterie s’éclate et des voix cacophoniques se superposent puis s’arrêtent, nettement, quelques secondes après les timbales. Les instruments calment leur jeu, où le cache-t-il ? D’étranges secondes se passent dans l’introspection. C’est fini ? Ou l’artificier allume les mèches ?

    Pas encore remis d’une telle claque, le temps d’un songe, je m’apprête à engloutir « La Turque ». L’intrigue touche à sa fin et à ma faim. Le jus s’estompe, c’est stupeur et tremblement. La finale est un prolongement intègre de la pièce qui vient de se jouer : puissant et racé, le volume déroule des tannins polis et précis. Un aspect vintage réhausse ce vin de 24 ans au vécu respectable. La longueur force l’admiration, offre une finale gourmande et encense Guigal. La batterie donne puissance, la guitare électrique swing et la trompette profondeur. Elle vieillit le morceau, lui apporte harmonie et élégance à travers le solo admirable d’Ibrahim. La virtuosité à l’état pur. Le diamant à l’état brut. Le silence qui amorce la fin donne le vertige et offre une finale enjouée. Une courte respiration et la trompette m’envoie dans la stratosphère musicale où les grands noms de cet art trônent sagement.

    « Il faisait lentement le tour des fûts et des casiers en caressant du regard ces flacons qui triomphent de tous les démons, de la tristesse, de l'ennui et du temps. » dixit le domaine à propos d’Etienne.
    Ce soir, je m’incline.

    Ma sincère gratitude,

    HS

    Ma sincère gratitude,

    Hugo Serres

    https://cavealliee.fr/lecritvin/

  17. #17
    Bonjour à toutes et à tous,

    Voici un nouveau texte :

    « Je m’adonne à l’écriture ; j’associe, j’extrais la substantifique moelle des vins et d’œuvres musicales pour dégager l’alchimie qui se joue entre ces deux formes d’art.» Hugo Serres, L'Ecrit'Vin

    Champagne, Champagne Grand Cru, Agrapart & Fils "Blanc de Blancs Millésime" 1995 VS « Clair de Lune », Suite Bergamasque, Claude Debussy

    « Le style, pour l'écrivain, aussi bien que pour le peintre, est une question non de technique, mais de vision. » a écrit Marcel Proust. Les « artistes », Pascal Agrapart et Claude Debussy en ont fait leur apanage. A travers ses parcelles de grands crus plantées majoritairement en chardonnay, Pascal expose sa vision du vin et du monde. Quant à Claude, il excelle au piano pour livrer humblement ses émotions. Le Champagne Grand Cru « Blanc de Blancs Millésime » 1995 de Pascal et le « Clair de lune » de la Suite Bergamasque de Claude datant de 1905 ne décrivent pas, ils suggèrent.

    Le premier nez est accrocheur, il séduit progressivement, jusqu’à charmer. Graduellement, il trouve son assise, son expression, sa complexité. Pâtissier, toasté, des notes de biscuits et crémeuses donnent leur lettres de noblesse au chardonnay. D’éphémères arômes viennent, partent puis reviennent. En bouche, c’est coruscant, aérien, nuageux. L’éclat. Baudelaire : « aux nuages qui passent, aux merveilleux nuages ». Rien n’est figé. Ni volume, ni largeur, ni épaisseur mais rondeur.

    Les notes se cherchent, s’imbriquent, s’harmonisent. Le rythme Andante, qui signifie « allant », autrement dit modéré, amorce la partition. La « douceur moelleuse étonnante » qu’évoquait Pierné à propos de la musique de Claude prend tout son sens et fait écho à Pascal. La note grave précède les mille et une notes aigues alors que l’Andante devient très expressif. Aussi pianissimo (lent) que possible, le morceau est délicat, souple, digeste ? La théorie est fumeuse, la pratique nuageuse.

    La bulle de Pascal est l’une des plus fines de la Champagne. Son obsession pour la maturité du fruit, la matière et la minéralité offrent des saveurs sapides et salines. La droiture, la tension, la belle acidité qui étire le vin au lieu de l’oppresser révèlent le grand terroir d’Avize. Précis, net, cristallin. Les touches sableuses incisives trahissent ce terroir crayeux où l’argilo-calcaire et le marneux à moindre mesure sont rois. Cette énergie fraîche apporte une plénitude apaisante. « Géologiquement, la Champagne est à peu près construite pareil, alors ce sont les hommes qui sont dessus qui vont faire la particularité. Le terroir, c’est l’expression d’un sol, d’un sous-sol, et d’un homme. C’est le vigneron, avec ses idées, qui va mettre en évidence le terroir.» dit Pascal. Ce champagne, ce grand vin, est profondément un vin de terroir. Il race mon palais tel un lion qui griffe sa proie. Un style, doublé d’une identité, triplé d’une vérité. Ce n’est pas un hasard si la parcellisation opérée en 1995 a donné naissance aux cuvées « Minéral » (caractéristique du terroir), « Vénus » (nom du cheval qui labourait les sols) et « Avizoize » (expliquer représenterait un affront). Je suis désormais « avizé »..

    Les notes affutées vont et viennent du grave à l’aigu. Se déploient une vitalité et une énergie folle que l’improvisation en songerait le maître, or tout est réfléchi, calibré, millimétré, disposé telle la gouache sur une toile impressionniste. C’est du pointillisme. « C’est une fierté avec un charme ; ce charme-là hérissé de pointes. C’est une force avec son abandon. C’est une fidélité. C’est une élégance. C’est une allure.» écrivit Roger Nimier. Debussy ne succède et ne précède que lui-même en ce début de XXème siècle où le romantisme arrive à son terme. Il se revendique et signe ses œuvres « musicien français » à l’approche de la Grande Guerre pour affirmer sa fierté patriotique face à l’Allemagne, Beethoven et Wagner.« La musique française, c’est la clarté, l’élégance, la déclamation simple et naturelle ; la musique française veut avant tout, faire plaisir » clamait Debussy avec un anticonformisme qui résume son œuvre et sa vie. Dire qu’il est répertorié dans les « modernes »..

    La finesse, l’élégance, la délicatesse et autres marronniers du bon goût affluent en bouche. La vanille bourbon, le pain d’épice, l’anis dévoilent leur parfums à mon palais. Un grand vin signe sa grandeur par la patte d’arômes rares et originaux (Lafite a son cèdre, Haut-Brion son tabac, la DRC sa rose), Agrapart a ici sa madeleine. Elle fleure bon l’enfance chez ma grand-mère du Lot où pour le goûter je m’en empiffrais littéralement avec une tasse de thé. Agrapart a un côté proustien. Baudelairien : «Quand je vois la terre retournée qui fume, le matin, je trouve cela beau.» Et par sa quête esthétique et gustative où l’envie survole le besoin, un côté Wildien : « Tout art est parfaitement inutile. ».

    La désinvolture allurée de la lune, la lenteur des nuages, la quiétude du ciel illuminé, ce Clair, inspiré du poème de Verlaine, a une dimension « supérieur ». Claude, peintre sur les bords, ne compose pas seulement, il peint une atmosphère à la fois terrestre et divine, nocturne et lumineuse. « Que la beauté soit sensible, qu'elle nous procure une jouissance immédiate, qu'elle s'impose ou s'insinue en nous sans que nous ayons aucun effort à faire pour la saisir » disait-il. Il ne prend pas la tête, n’ouvre pas les yeux, il livre seulement ses émotions avec pudeur et humilité. « Tout ce que l’Europe a connu de noblesse, — noblesse de la sensibilité, du goût, des mœurs, noblesse en tous sens élevés du mot, — tout cela est l’œuvre et la création propre de la France. » écrivit Nietzsche. C’est à chialer..

    La longueur n’en finit jamais. Agrapart s’agrippe à la langue. La finale aux amers nobles, des notes salines, sableuses, d’agrumes et de jus de viande distinguent ses vins. L’élevage sur lies réductrices durant 7 mois permettent aux lies en demi-muids usagés de faire la micro-oxygénation et d’apporter ces arômes oxydatifs avec nuances et aucun boisé malgré des notes toasté-grillés. Pourquoi ? Les barriques ont déjà connu au moins cinq vins de ses amis Chidaine et Dagueneau (Loire). Aux lies « wood »… La structure est aérienne, tranchante, verticale. Un nuage qui trace sa route dans le ciel sans jamais perdre le cap, sans jamais se désintégrer, sans jamais s’attarder sur un paysage.

    Le finale est interminable. Retour aux thèmes précédents : les va-et-vient graves-aigus gardent leur dynamisme, combinant longueur et lenteur. La douceur persiste et signe la dernière minute d’une grande générosité dont certains compositeurs se seraient passés. C’est à se demander si ce Clair de lune a un début et une fin, ou si c’est seulement un fragment d’éternité qui traîne ses guêtres dans l’atmosphère vaporeuse. Wagner faisait dire à Parsifal : « Ici, le temps devient espace ». La boussole remplace l’horloge. Chez Claude, chaque note a un rôle dramatique en soi et prend toute sa profondeur verticale au lieu d’un déroulement horizontal qui primait auparavant. Si « les Grecs étaient superficiels par profondeur» a dit Nietzsche, « L’œuvre de Debussy est légère par gravité.» disait X.

    Tout est sujet à interprétation. Entre le fait-objet et l’homme, l’impression est le filtre. « L’épine dorsale du vin, c’est le travail du sol, le respect du produit, le raisin, mais aussi le respect des gens qui travaillent avec toi. Je ne fais pas des vins de mode, je fais des vins que j’aime, et mon souhait, c’est de les partager avec les autres. » prône Pascal. Aucun raisonnement superfétatoire mais une agriculture raisonnée sur ses 12 hectares plantés sur Avize, Oger, Cramant et Oiry majoritairement. Innovateur, Pascal est l’un des premiers à mettre la date de dégorgement et de mise en bouteille sur ses étiquettes. Face aux grandes maisons champenoises, cette cabane a un extérieur en bois précieux et un intérieur aux boiseries dorées. Pas d’impression là, une certitude. Diable l’apparence.

    Debussy n’a pas la prétention d’ériger sa musique au sommet ou précurseur d’un mouvement. Il est à peine le porte-parole de ses songes. « Concordances mystérieuses entre la nature et l'imagination » assenait-il. Impressionniste, peut-être, impressionnant sans doute. Fauviste, dans la forme, fauve, sans normes. Pointilliste par quelques points, pointilleux sur quelques notes. Points, de suspension, qu’il accolait avant ses titres en fin de pièces pour laisser l’auditoire s’imaginer où il venait de l’emmener. Le Clair de Lune suit le Prélude et le Menuet et précède le Passepied. Autrement dit, les points sont suspendus avant et après le Clair, comme s’il ne faisait que passer, tel un rêve qui la nuit endort, transporte et dépose au réveil. Les pieds dans la terre avizoize, un clair et c’est « une couleur orchestrale illuminée par l'au-delà » que Debussy me suggère d’admirer, bulle en bouche ? « Quand on n’a pas le moyen de se payer des voyages, il faut y suppléer par l’imagination » souriait Debussy.

    « Le style du hussard, c’est le désespoir avec l’allégresse, le pessimisme avec la gaieté, la piété avec l’humour. » poétisait Roger Nimier. Ils illuminent la nuit champenoise austère et fraîche par un séduisant clair de lune où une bulle de nuage s’évapore dans les abîmes de l’éternité tel le sourire d’une femme embrassée..

    Ma sincère gratitude,

    HS

    Ma sincère gratitude,

    Hugo Serres

    https://cavealliee.fr/lecritvin/

  18. 01/04/2020 09h38

  19. #18

    Sud-Ouest, Cahors, Château de Mercuès « Icône WOW» 2011 VS « Farandole », L’Arlésienne Suite Numéro 2, Georges Bizet

    Bonjour à toutes et à tous,

    Voici un nouveau texte :

    « Je m’adonne à l’écriture ; j’associe, j’extrais la substantifique moelle des vins et d’œuvres musicales pour dégager l’alchimie qui se joue entre ces deux formes d’art.» Hugo Serres, L'Ecrit'Vin

    Sud-Ouest, Cahors, Château de Mercuès « Icône WOW» 2011 VS « Farandole », L’Arlésienne Suite Numéro 2, Georges Bizet

    « Les défauts que je vous recommande sont la frivolité, la discrétion, la pudeur, la débauche et un peu de vieillesse sans excès... » écrivait Roger Nimier. La table est réservée au Bistrot du Sommelier, Paris 8, Boulevard Hausmann. Mon mentor en vin et moi voulions depuis longtemps découvrir cet antre œnologique, dont Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde 1992 est le propriétaire. La rencontre est faite avec un Cahors, du Château de Mercuès, cuvée « Icône WOW» 2011. En face la « Farandole » de la Suite numéro 2 de l’Arlésienne de Georges Bizet.

    Je choisis ce vin dont mon parrain caviste du Lot m’avait dit « Là, il y a du vin.. ». Mon ami n’a pas l’habitude des charpentes du Sud-Ouest, mais est toujours curieux de voir de belles ossatures. Il me fait confiance sur le choix de l’architecture. Je m’attarde rarement sur les robes, car il y a souvent peu à se pavaner dessus. Mais là, c’est un Cahors, la terre de mes ancêtres. Le « Vin noir » tient toutes ses promesses. Madame est vêtue d’un noir très foncé, obscur. Le Malbec a bon teint. Cette terre de causse et de campagnard qui a longuement souffert de sa proximité bordelaise, de son affrontement tel David contre Goliath avec Bordeaux, du phylloxéra et n’a eu son AOC qu’en 1971 a pourtant eu ses lettres de noblesse en Angleterre et en Russie. So « black wine » is back ! Le gros calibre est sorti, il faut s’attendre à de la matière. Ce pari sent le danger, le sulfureux. Ca me plaît.

    L’Arlésienne sent le soufre. Tiré de la nouvelle d’Alphonse Daudet, cette musique de scène de Georges orchestre le drame de Jan, fou amoureux d’une jeune arlésienne, que l’on ne voit jamais et dont on découvre qu’elle a un amant, ce qui donne lieu à l’annulation du mariage souhaité par le héros et qui se solde par le suicide de ce dernier. La Farandole est puissante et risque la lourdeur, les penchants wagnérien et militaires nous guettent. Mais l’aura de Georges ne peut se contester : « Son talent de pianiste est assez grand d’ailleurs pour que, dans ces réductions d’orchestre qu’il fait ainsi à première vue, aucune difficulté de mécanisme ne puisse l’arrêter. Depuis Liszt et Mendelssohn, on a vu peu de lecteurs de sa force » écrivait Berlioz. « En tant que musicien, je vous dis que si vous deviez supprimer l’adultère, le fanatisme, le crime, le mal, le surnaturel, il n’y aurait plus les moyens d’écrire une seule note. » disait Georges. On n’ouvre pas une bouteille, on part à l’aventure…

    Le nez est profond, expressif et d’une jeunesse vigoureuse. Paul Hobbs et Bertrand-Gabriel Vigouroux en sont les auteurs. Les notes vont immédiatement de l’avant, pas la peine de se concentrer pour déceler. Les arômes généreux de framboises, fraises, mûrs et griottes en imposent. C’est avenant, charmeur. La tonalité puissante et intense se manifeste avec des notes de cacao et de moka que les 24 mois de barriques neuves ont intégrées avec une finesse des plus admirable. C’est majestueux, royal.

    Le morceau commence par reprendre La Marche des rois, comme par hasard. Ce début en fanfare est prometteur, c’est un jeune soldat va-t’en-guerre. La sensation de grandeur est majestueuse grâce à l’intensité des violons. Sous ses attraits violents et offensifs, le raffinement et l’élégance sont sous-jacents avec les flûtes et les clarinettes qui sont ensuite complétées par le piccolo et le hautbois. La farandole commence, les mouvements perpétuels de l’ostinato du tambourin sont remplis de fougue et d’impertinence. Derrière ce soldat se cache un dandy distingué et élancé. La puissance est maîtrisée, le ton est sérieux. « De bon matin j'ai rencontré le train, De trois grands Rois qui allaient en voyage / De bon matin j'ai rencontré le train, De trois grands Rois dessus le grand chemin… » chantent en cœur les protagonistes.

    La bouche est un condensé de puissance et de finesse. Chocolat et café tapissent le palais pour lui donner sa race. Cette concentration est due à la plantation du vignoble du Château : 50% de la plantation à 6666 pieds par hectare soit 65% de plus que la norme locale, ce qui fait de Mercuès la plantation la plus étroite de l’AOC. La macération pré-fermentaire à froid et les fermentations longues pour des extractions sur mesure permettent de passer ce jus dans une dimension supérieure. Les éboulis calcaires du Causse enrichis d’alluvions très anciennes apportent quant à elles une fraîcheur mentholée et vanillée qui complexifie ce vin et l’envoie au niveau des grands. L’ensemble donne un côté « queue-de-paon », c’est à la fois long par le volume et large par les arômes.

    L’alternance entre puissance et légèreté dévoilent avec délicatesse et fougue une pudeur qui s’estompe au profit d’une danse effrénée et enivrante. Un groupe de deux mesures en Fa dièse Majeur s’oppose à un autre groupe en La Majeur. C’est désormais La danse du cheval fou que Georges reprend. La cadence de la Farandole trouve son rythme entre La Marche et La Danse, entre la virilité et la féminité. Cette danse provençale a une course cadencée, que plusieurs personnes exécutent en se tenant par la main. Elle était exécutée en cercle autour d'un feu puis se finissait en spirale pour appeler au retour du soleil. Dans la danse, le cercle symbolise le cours de la vie et synthétise toutes les oppositions : le début et la fin, la naissance et la mort, l'origine et l'éternité.

    La finale est longue, puissante, fine, racée, fraîche. C’est bodybuildé. La figure royale n’a pas besoin de salamecs, son autorité est naturelle : la force tranquille. Je prends la bouteille en main, elle ressemble à un Haut-Brion. L’étiquette épurée se résume à un blason doré, suivi en dessous de « Château de Mercuès » puis « 2011 » dessous et « Malbec, Cahors » en bas à droite. La contre-étiquette m’achève. 16 degrés d’alcool… Comment peut-on équilibrer la puissance, la finesse, la fraîcheur et la longueur avec un taux d’alcool digne des portos et sans ressentir un coté sucrailleux ? Georges, le père de Bertrand-Gabriel, qui nous a quitté en début d’année, évoquerait sans doute le terroir, le travail, le temps et la patience. Et je rajouterais le talent et le panache.

    Le final est virevoltant, exubérant, violent. Les Fa dièse Majeur s’opposent désormais à deux autres mesures en Si bémol Majeur. La Farandole superpose les deux airs, La Marche et la Danse, et prend tout son sens originel. Il n’y a plus de retenue, tout n’est que générosité et dons. Le fortissississimo (quadruple forte) est étourdissant et époustouflant. C’est le moment de monter le son à fond pour entrer en transe. Les cuivres et les percussions bouillonnent et brillent de mille feux au milieu des danseurs et des instruments. La Farandole fait plus que tourner sur elle-même, elle s’envole vers les hautes sphères.

    Cette « Icône » est iconoclaste. Il rompt avec les lieux communs, il déstabilise, il désoriente le spatio-temporel. Au diable la boussole et l’horloge ! Il rappelle que puissance est antonyme de fluet, maigre, creux et non l’opposé de la finesse. Il martèle que finesse est antonyme de lourdeur, grossier, barbarie et non l’inverse de la puissance. L’Icône est une image, un rêve, un songe d’un dandy-guerrier prêt à tout pour faire triompher l’équilibre : le vrai, le bien et le beau.

    « Ce drame d’amour se passant dans une cour de ferme » approfondit le registre classique. En mêlant la finesse Debussyste et la puissance Tchaikovskienne , Georges nous rappelle que la musique évoque par le son les images que le doigté phosphore. « Il y a des mélodrames de quatre mesures qui sont des tableaux, des paysages inouïs...» a écrit Massenet à propos de l’Arlésienne. « Ah, la musique! Quel bel art! Mais quelle profession misérable! » clamait Georges. Il rappelle aussi que tous ses condisciples vécurent dans l’opulence de leur succès autant que dans les bas-fonds de leur incompréhension.

    « A la sagacité de l'esprit appartient la finesse ; à la sagacité de l'âme appartient la délicatesse des sentiments et de l'expression » a dit Jean-François Marmontel. C’est avec la simplicité cossue et la rusticité délicate, que Georges et Bertrand-Gabriel nous ont livré une orchestration gorgée de soleil.

    Ma sincère gratitude,

    HS

    Ma sincère gratitude,

    Hugo Serres

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