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Discussion: Debussy

  1. #481
    En attente de confirmation
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    "tellement mieux exécuté", ça me rappelle le compliment qui tue : "c'est bien peint"...
    Il s'agissait hélas souvent d'exécutions capitales du sujet.

  2. #482
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    À toutes fins utiles, quelques petites précisions concernant une ancienne photo...

    En page 36 de l'album de François Lesure sur Debussy paru en 1980 aux éditions Minkoff & Lattès, dans la série "Iconographie musicale", figure une reproduction de la photo (déjà montrée sous un autre aspect au post 477) où le musicien apparaît en 1885 parmi ses camarades pensionnaires de la Villa Médicis. Il s'agit en l'occurrence du tirage de cette photo que Debussy (qui signait encore "A. Debussy") envoya à ses parents en guise de "Souvenir Romain" et au bas duquel il avait mentionné, à la plume, les noms des personnages présents.

    Voici ce document :



    L'album de Lesure se contentant des seuls seuls noms écrits par Debussy, sans fournir d'indications plus précises, je n'ai pas pu déterminer qui était l'homme à barbe blanche assis à droite (sur la photo) de la statue qu'on aperçoit au centre; son nom n'est pas clairement lisible; mais vu son apparence, ce n'est probablement pas un "jeune Prix de Rome".

    Sinon, ces "illustres Premiers Prix" sont sauf erreur, de gauche à droite :

    - Georges Marty (composition musicale);
    - Paul Vidal (composition musicale);
    - Hector d'Espouy (architecture);
    - Achille Claude Debussy [= "L'Enfant Prodigue"] (composition musicale);
    - William Barbotin (gravure); dessous : Louis Édouard Fournier (peinture);
    - Henri Pinta (peinture); dessous : Henri Deglane (architecture);
    - ?;
    - Henri Patey (gravure); dessous : Henri-Édouard Lombard (sculpture);
    - Gaston Redon (architecture); dessous : Jacques Labatut (sculpture);
    - Marcel-André Baschet (peinture).

    Je signale que l'architecte Gaston Redon était le frère du peintre Odilon Redon, quant à lui mieux connu.

    Jacques

  3. #483
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    De la musique des deux compositeurs autres que Debussy présents sur la photo qui précède, Georges Marty (1860-1908, Grand Prix de Rome 1882) et Paul Vidal (1863-1931, Grand Prix de Rome 1883), je n'avais encore jamais entendu une seule note.

    Jusqu'à ce que je découvre tout à l'heure sur YouTube ces vidéos permettant d'entendre deux charmants morceaux, l'un de Marty (clarinette et piano), l'autre de Vidal (trompette et piano), joués semble-t-il par des musiciens amateurs :

    [/URL]

    [/URL]

    Ces pièces ne sont peut-être pas très représentatives, mais c'est déjà ça...

    Jacques

  4. #484
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    Une lecture récente des lettres adressées par Debussy entre décembre 1894 et octobre 1915 à Gustave Doret (1866-1943) ne m'a pas vraiment passionné; elles sont cordiales mais toujours très brèves, portant surtout sur des problèmes "techniques". Mais cette correspondance m'a au moins confirmé une chose : non seulement le chef helvétique a dirigé avec succès, à Paris le 22 décembre 1894, la première du Prélude à l'après-midi d'un faune, mais Doret n'a eu ensuite de cesse de promouvoir la musique de Debussy, que ce soit en France (reprise de Pelléas et Mélisande en 1908, etc.) ou dans d'autres pays (Suisse, Italie et Pays-Bas, plus particulièrement).

    Cela étant, vu ce parcours et sachant que Doret avait aussi composé mais en se bornant, pour l'essentiel, à enrichir le répertoire populaire de la Suisse romande, je me suis demandé, après avoir retrouvé des enregistrements des partitions (orchestre, voix soliste et choeur) qu'il avait écrites pour les Fêtes des Vignerons de 1905 et 1927 (cf., à propos de telles manifestations, les posts 166 à 176 du fil "Qui souhaitez-vous voir réévalué?", même section), s'il n'avait pas introduit dans ces partitions, consciemment ou pas, quelques "touches debussystes" (c'eût en effet été marrant de pouvoir écrire une note intitulée, par exemple : "De l'influence de Debussy sur la musique folklorique suisse" ).

    Mais un tel répertoire ne s'y prête guère. Et si cette influence n'est pas totalement absente (quelques tournures harmoniques un peu spéciales "colorent" certains passages), c'est d'abord à Massenet que cette musique fait penser.

    Un peu frustré (), j'ai tout de même mis sur YouTube la petite vidéo ci-dessous relative à Doret, où : 1/ dans une introduction de quelques secondes une photo le montre portant perruque et dirigeant l'orchestre de la Fête des Vignerons de 1927 (le son est un bref extrait du "Chant des Vanniers", capté à l'époque); 2/ il évoque à la radio, moins de deux ans avant sa mort, ce qu'il appelle "le destin d'une oeuvre musicale"; 3/ on entend sa célébrissime "Chanson du Chevrier", dont le soliste doit être un enfant et qui eut un succès si phénoménal que ma grand-mère maternelle en parlait encore des décennies plus tard (les photos montrent le gamin qui chantait cet air en 1927, mais le son, contrairement à celui de l'introduction, a été reconstitué en studio il y a une vingtaine d'années).

    "Touches debussystes" éventuelles ? () : a/ dans ce qu'on entend tout au début, Doret semble s'être souvenu du mystérieux et envoûtant accord qui revient à plusieurs reprises dans la Scène 2 de l'Acte I de Pelléas, quand Geneviève lit la lettre de Golaud; b/ à la fin du refrain de la "Chanson du Chevrier" (surtout quand il est repris par le choeur), un "changement de couleur harmonique" rappelle vaguement ceux qu'on trouve dans certaines oeuvres de jeunesse de Debussy, notamment dans La Damoiselle élue. C'est tout.





    Jacques
    Dernière modification par Jacques ; 14/08/2012 à 13h27.

  5. #485
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    Aux pages 210 et 211 de son livre sur Debussy paru tout récemment (Gallimard, 2012, série "Folio biographies"), Ariane Charton écrit ceci :

    "(...) Sa musique franchit peu à peu les frontières, d'abord avec une hostilité qui n'a rien à envier à celle qu'il a connue dans son propre pays. Le Prélude à l'après-midi d'un faune est créé en novembre 1903 à Berlin par Ferrucio Busoni. La critique est sévère. En 1904, Vincent d'Indy, chargé de diriger quatre soirées musicales en Russie, imposa le Prélude, alors que l'organisateur trouvait cette musique incompréhensible et ennuyeuse. La première représentation fut un échec, mais d'Indy récidiva (...). Debussy avait cependant un admirateur en la personne d'Aloÿs Mosser, qui donna la partition du Prélude à Rimski-Korsakov. Celui-ci la lui rendit une semaine plus tard en lui disant : «Prenez cette ordure ! [...] Est-ce que c'est de la musique ? Mais c'est de la prostitution !» (article paru dans La Suisse, 4 août 1963, repris dans Cahier Debussy 16, 1992, p. 67). Debussy ne sut sans doute jamais que ce membre du Groupe des Cinq dont il admirait tant l'oeuvre, notamment Antar, avait repoussé avec une telle violence son Prélude. (...)"

    Toujours est-il qu'il y a aujourd'hui 22 août () exactement 150 ans que venait au monde à Saint-Germain-en-Laye un enfant de sexe masculin qu'on prénomma Achille-Claude et qui, né d'un couple de modestes boutiquiers sans intérêt pour la musique, allait à sa façon "chambouler" cette dernière et laisser son nom dans l'histoire. Personne, à coup sûr (), ne s'en doutait à l'époque où furent prises ces deux photos, l'une le montrant encore tout bébé, l'autre assis sur son tricycle à l'âge de cinq ans :




    Côté musique, en revanche, je crains de ne rien avoir de bien original à montrer pour l'occasion. Sauf peut-être les deux vidéos ci-dessous, dans la mesure où elles présentent des versions rarement enregistrées d'oeuvres par ailleurs très fréquentées (surtout la seconde).

    1/ "La Damoiselle élue, cantate sur des paroles (traduites en français) tirées du poème intitulé «The Blessed Damozel» du peintre et poète anglais Dante Gabriel Rossetti [1828-1882], est le troisième «envoi de Rome» de Debussy. Composée en 1888, donnée en première audition le 7 avril 1893, elle fut publiée en juillet de la même année sous la forme d'une réduction chant-piano à la librairie de l'Art indépendant. Revisée à plusieurs reprises, la version orchestrale de l'oeuvre parut en 1902 aux éditions Durand.

    C'est la réduction chant-piano que permet d'entendre la vidéo. Elle est interprétée par Jean-François Heisser (piano), des voix féminines du Choeur de la Radio Flamande, Sophie Marilley ("La Récitante", mezzo-soprano) et Guylaine Girard ("La Damoiselle", soprano)."

    [/URL]


    2/ "Composés entre 1897 et 1899, les trois Nocturnes de Debussy (pour orchestre, avec adjonction de voix féminines dans «Sirènes») ont été révélés au public pour la première fois en entier à l'occasion d'un concert qui eut lieu à Paris en 1901. L'année suivante déjà (1902), Ravel en avait réalisé une transcription pour deux pianos, qui fut publiée en 1908. C'est cette transcription, interprétée par les pianistes russes Alexeï Lubimov et Alexeï Zuev, que permet d'entendre la vidéo.

    [00:00] Nuages;
    [06:49] Fêtes;
    [12:38] Sirènes."

    [/URL]


    Jacques

  6. #486
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    Je viens d’acquérir ce DVD pour pas cher (une production autrichienne filmée au Festival de Bregenz 2006) et avoue en avoir été "soufflé" :





    En plus de la "reconstruction" par Robert Orledge du bref opéra inachevé de Debussy La Chute de la Maison Usher (d’après Edgar Allan Poe), le programme annonce le Prélude à l’après-midi d’un faune et Jeux. Or, s’agissant de ces deux dernières œuvres, ce n’est pas un "banal" orchestre que l’on voit mais des danseurs, se pliant à des chorégraphies autres que celles de Nijinsky (cf. les Ballets Russes). Tout se passe en effet à l’intérieur de la mystérieuse et sinistre "Maison Usher", où par une pluie battante arrive l’ami de Roderick, qui d’abord voit évoluer ces danseurs. Puis l’opéra commence…

    Avec justesse, un membre d’un forum concurrent et ami (où Debussy ne fait pas l'objet de l'indifférence un peu blasée qui prévaut actuellement ici ) avait présenté cette production ainsi :

    "La beauté des décors, et plus encore leur expression énigmatique autant que suffocante, ajoute à la réussite globale. Dans un vaste écrin fermé, dont les parois vitrées reçoivent la pluie, Roderick ne paraît en effet avoir aucune issue. Violence, asphyxie, sacrifice, anéantissement... Spectacle mémorable.

    Le Festival de Bregenz semble connaître sous la direction de David Pountney (...) une évolution étonnante, a contrario de ce qu'il était il y a quelques années : un événement potache pour touristes sans exigence.

    Après une Bohême de Puccini avec Rolando Villazón (2002), déjà remarquable, voici dans le même sillon audacieux et totalement maîtrisé un spectacle debussyste tissé en plusieurs étoffes distinctes, dont la justesse de la réalisation et l'onirisme artistique composent la plus belle surprise en DVD (…). Saluons l'intuition de la firme Capriccio d'imposer dans le paysage vidéo un vent nouveau (…).

    Les deux premiers volets réunissent deux pages à la poésie symphonique totale : Prélude à l'après midi d'un faune et Jeux. Cette incursion dans l'onirisme et le rêve est cohérente car elle cite déjà le registre propre au héros de l'opéra qui suit, Roderick. Lawrence Foster dirige le Wiener Symphoniker avec tact et élégance, soulignant les multiples effets de miroitements et de transparences captivantes. Sur la scène, la caméra accompagne l'indiscutable beauté du couple de danseurs, dans une chorégraphie qui mêle grâce et érotisme. La «passion» dérisoire des deux corps est d'autant plus forte qu'elle se détache dans un décor lugubre et monumental, qui transpire le poison et la mort. Ce parti pris s'épaissit davantage encore dans les deux scènes de l'opéra proprement dit.

    Dans une ambiance kafkaïenne, aux sombres angoisses, le héros Roderick Usher (Scott Hendricks) ne résiste pas mentalement à la malédiction qui hante les pierres de la maison familiale où sont morts tous ses parents, sa mère et plus récemment sa soeur, Lady Madeline. Dans cette fresque surnaturelle et fantastique, parfaitement respectueuse des climats de Poe, la perversité du médecin fait figure de principe moteur. Agent du mal, l'homme à lunettes cache une action perverse qui entend achever lentement le clan Usher jusqu'à son ultime rejeton, Roderick. Celui-ci est terrassé et terrifié, c'est une jeune âme seule, vouée à la mort, fascinée aussi par les visions morbides qui l'habitent sans répit.

    Ici, l'innocence et la pureté sont sacrifiées sans scrupule. On rêverait dans cette réalisation très soignée de chanteurs à la diction française plus agissante et articulée. Mais la violence de la partition musicale de Debussy éprouve sans les ménager chacun des caractères scéniques. Preuve que l'impressionnisme musical du compositeur, transparent et flamboyant par ses multiples éclats, diffuse un dramatisme ardent dont l'intensité est constamment irrépressible.

    Le geste de Foster garde dans cette évocation brumeuse une précision stimulante qui renforce la confrontation des caractères, animant le contraste central (rapport sadique du médecin harcelant son patient trop fragile) en une danse macabre au dramatisme noir et fantastique. La beauté des décors, et plus encore leur expression énigmatique autant que suffocante, ajoute à la réussite globale. Dans un vaste écrin fermé, dont les parois vitrées reçoivent la pluie, Roderick ne paraît en effet avoir aucune issue. Violence, asphyxie, sacrifice, anéantissement... Spectacle mémorable."


    Quant à Robert Orledge, voici comment il présente La Chute de la Maison Usher et le travail nécessité par sa "reconstruction" (brochure jointe au DVD) :

    "La fascination de Debussy pour les Histoires extraordinaires d'Edgar Allan Poe remonte à la fin des années 80 du XIXème siècle. Cependant, Rodrigue et Chimène et Pelléas et Mélisande ont été composés avant même que Debussy n'ait entamé son projet pour Le Diable dans le beffroi (1902-1903). Souhaitant unir cette œuvre à un autre opéra en un acte, La Chute de la Maison Usher, il vend les droits de la création des deux opéras en juin 1908 au Metropolitan Opera de New York. A cette date pourtant, Debussy - et cela est caractéristique de sa manière de faire - ne s'est même pas encore attaqué à la rédaction du livret de Usher, fondé sur une traduction de Baudelaire. En 1910, il crée deux projets en trois scènes, qui ne stimulent que très modérément son désir de création musicale durable. Ce n'est qu'en 1915-1916, lorsqu'il transcrit le livret en deux scènes et situe le long monologue de Roderick Usher dans la seconde scène, qu'il lui est possible de progresser dans la partition.

    C'est ainsi que naissent l'ébauche ininterrompue de la première scène et le début de la seconde scène, ainsi qu'une musique étrange, d'un charme plutôt particulier pour la fin sanglante du mélodrame, lorsque Lady Madeline surgit de sa tombe et expire, couverte de sang, dans les bras de son frère. Lorsque j'ai retravaillé les esquisses des Œuvres Complètes de Claude Debussy (Durand, VI/3, 2005), j'ai compris qu'en adaptant les projets existants du compositeur à des situations, des caractères et des émotions similaires, et en ajoutant du matériel de même style, je serais à même d'achever La Chute de manière à ce qu'elle puisse être interprétée. J'ai été soutenu dans mon entreprise par le fait que Debussy avait clairement tenté d'unifier son opéra en plaçant le motif principal du cor anglais (extrait du Quatuor à cordes de 1893) au début - endroit stratégique - ou encore en procédant de même avec l'accord soigneusement instrumenté et inoubliable caractérisant l'ancestrale Maison Usher vouée à sa perte. Dans la première scène, Debussy nous transmet par ailleurs des modèles d'accords chromatiques évoluant en mouvement contraire, qui caractérisent aussi la plupart de ses compositions. Je me sentais également encouragé par le fait que Debussy avait cherché l'aide d'André Caplet et de Charles Koechlin pour achever d'anciennes œuvres dramatiques (Le Martyre de Saint Sébastien et Khamma) et nous avait fourni plusieurs points de repère pour l'orchestration de ses ébauches de La Chute.

    N'oublions pas que Debussy était connu dans le monde du théâtre pour sa manie de laisser des travaux inachevés. Il avait pourtant bien l'intention d'achever Usher et aimait se réfugier dans le monde secret et captivant de cette œuvre. «Je ne voudrais pas que l'on se tienne à Pelléas pour le dur jugement de l'avenir», déclare-t-il en 1916 à Paul Dukas. Il ne voulait pas non plus «écrire quelque chose qui rappelle, même de loin, [Maeterlinck] Pelléas». Et voici où réside une partie de son problème, car il existe des similitudes évidentes entre le récitatif (parlando) extrêmement rapide dans les deux opéras et entre le monologue de Roderick et la seconde scène du troisième acte de Pelléas qui se déroule dans les caves voûtées du château. Dukas, lui, pensait que le travail éditorial de Debussy pendant la guerre avait «gâté cette belle intuition musicale qui le guidait autrefois». Il ne faut pas oublier de mentionner qu'en 1916-1917, Debussy souffrait d'un cancer et que de graves problèmes financiers le contraignaient à composer des œuvres telles que les dernières sonates de chambre (...).

    Mes propres problèmes ont encore été aggravés par le fait que la seconde épouse de Debussy, Emma Bardac, avait offert l'ensemble des ébauches d'Usher à des amis mélomanes. Certains de ces feuillets n'ont été retrouvés que récemment et, tout comme les ébauches des deux premières scènes conservées par la Bibliothèque Nationale de France, elles ne contiennent que peu de matériel sous forme de modifications, de clés, d'articulations, elles n'indiquent ni dynamique ni tempi, et le texte est souvent incomplet (il peut toutefois être facilement déduit de la version définitive du libretto). C'est pourquoi mon projet a requis plusieurs années. J'ai cependant appris beaucoup de choses sur Debussy : comment il fait de l'histoire de Poe un monologue dramatique à la première personne, raconté par l'ami d'enfance de Roderick Usher («L'Ami»), un opéra passionnant et varié, adapté à la scène; comment il transforme le rôle du médecin de la famille Usher en celui d'un horrible monstre («Le Médecin»), qui devient le rival de Roderick dans son amour contre nature pour sa sœur et enterre celle-ci vivante au cours de l'un de ses états de transes morbides, sans même en informer Roderick. L'évolution de Roderick, qui sera la victime de ses nerfs défaillants, prend une immense importance : chez Poe, c'est Roderick qui est responsable de l'enterrement prématuré de sa sœur. Par ailleurs, il n'éprouve aucune passion coupable envers elle. Debussy identifie plutôt Roderick à Poe et c'est Lady Madeline qui, au début, chante «Le Palais hanté» à sa place.

    De plus, Debussy réduit à 45 minutes le cadre horaire de plus d'une semaine indiqué par Poe. Il ose faire interpréter les rôles de Roderick et de son ami par un baryton, les confrontant mutuellement à leur propre image. Ses seules expériences de pure bitonalité se retrouvent dans la première scène. Debussy a développé un système raffiné pour relier les deux motifs principaux tout autour de l'Accord-Usher central en do majeur par un procédé de chromatisme intégral. On n'y trouve aucun signe de néoclassicisme comme dans les sonates ultérieures, ou encore de style «scherzo fantastique» comme dans Jeux. Il semblerait que dans Usher, Debussy ait tenté un style nouveau, complexe et harmonieux. Ainsi, nous quittons le monde magique des symboles de L'Après-midi d'un faune, passons par le jeu des motifs du ballet Jeux, fluide et chatoyant, pour pénétrer dans l'univers sombre, introspectif et hautement dramatique de la Maison Usher."


    Jacques

  7. 21/09/2012 12h02
    Motif
    Double envoi par erreur...

  8. #487
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    Sur une oeuvre aussi particulière que cette Chute de la Maison Usher, la correspondance du compositeur est une source d'information intéressante aussi. Il y évoque en effet assez souvent ce petit opéra, à partir de 1908.

    Ci-dessous, quelques passages de lettres, empreints de cette ironie (ou plutôt de cette autodérision) que Debussy pratiquait régulièrement...


    Lettre Jacque Durand, du 26 juin 1909 :
    "(...) J'ai travaillé ces derniers jours à la Chute de la Maison Usher et presque achevé un long monologue de ce pauvre Roderick. C'est triste à faire pleurer les pierres... car justement, il est question de l'influence qu'ont les pierres sur le moral des neurasthéniques. Ça sent le moisi d'une façon charmante, et ça s'obtient en mélangeant les sons graves du hautbois aux sons harmoniques des violons (B. S. G. D. G.) [Breveté sans garantie du gouvernement]. Ne parlez de cela à personne, j'y tiens beaucoup. (...)"

    Lettre à André Caplet, du 25 août 1909 :
    "(...) «Non, ce n'est pas la Neurasthénie; ce n'est pas, non plus, l'Hypocondrie ?» C'est le délicieux mal de l'idée à choisir entre toutes, cher André Caplet. Et puis, j'ai vécu ces derniers temps dans la Maison Usher, qui n'est précisément pas la maison où l'on peut soigner ses nerfs (...)... On y prend la singulière manie d'y écouter le dialogue des pierres; d'y attendre la chute des maisons comme un phénomène naturel, voire même obligatoire. D'ailleurs, si vous m'y poussez, j'avouerai aimer mieux ces gens-là que... beaucoup d'autres - pour ne pas les nommer ! Le type de l'homme moral et pondéré ne m'inspire aucune confiance... (...)"

    Lettre à Jacques Durand, du 21 septembre 1909 :
    "(...) Pour les Images, il faut que votre amitié excuse l'oubli dans lequel je les ai tenues ces temps derniers, m'étant laissé aller à ne plus m'occuper que de Roderick Usher et du Diable dans le Beffroi... Je m'endors avec eux et, à mon réveil, retrouve la sombre mélancolie de l'un, ou le ricanement de l'autre ! (...)"

    Lettre à Jacques Durand, du 8 juin 1910 :
    "(...) Je travaille autant qu'il m'est possible, c'est encore dans ces moments-là où je suis le mieux pour satisfaire mon goût de l'inexprimable ! Si je puis réussir comme je le veux cette progression dans l'angoisse que doit être la Chute de la Maison Usher, je crois que j'aurais bien servi la musique... et mon éditeur et ami Jacques Durand ! (...)"

    Lettre à Jacques Durand, du 21 juillet 1916 :
    "(...) Les choses restent bien menaçantes... À vrai dire, je me demande comment j'en sortirai ? Rien ne m'a été épargné (...) ! On se suiciderait à moins; si je n'avais le souci autant que le devoir de finir les deux petits drames d'après E. Poe, ça serait déjà fait. (...)"

    Lettre à Paul Dukas, du 10 août 1916 :
    "(...) J'essaie de travailler... mon cerveau résonne comme du bois mort. Et puis, l'école de clairons que vous avez entendue continue à sévir sous mes fenêtres. Ils font beaucoup de progrès - pas moi. Il est possible que la chute de la Maison Usher soit aussi la chute de Claude Debussy ? La destinée devrait bien me permettre de finir, je ne voudrais pas que l'on s'en tienne à Pelléas pour le dur jugement de l'avenir... le musicien n'est pas bon pour les morts ! (...)"


    Jacques
    Dernière modification par Jacques ; 21/09/2012 à 12h12.

  9. #488
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    Moins sophistiqué que les deux messages précédents mais plus amusant, un "coin Debussy" (ou mieux, un "Debussy’s corner" ) photographié cet après-midi même, avec mon portable, dans les locaux d’un magasin de musique de Lausanne :





    Dans les bacs, en promotion (prix plus attractifs que d'ordinaire), des disques et des partitions en rapport avec le portrait...

    Ainsi, bien que la démarche ne soit pas tout à fait désintéressée (), on ne pourra pas dire que les commerçants lausannois, eux, ont totalement snobé le 150ème anniversaire du génial compositeur français.

    Jacques

  10. #489
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    En complément du post 484 (digression relative à Gustave Doret), je me permets de revenir ici avec ce disque suisse paru en 1995, qui ne doit pas avoir connu une bien grande diffusion :




    La brochure jointe au CD ne dit pas grand chose des circonstances dans lesquelles Doret composa cet oratorio, se bornant à ce qui suit (le reste est une analyse de l'oeuvre) :

    "Ne constituant pas une part très importante dans l'ensemble de sa production musicale, la musique sacrée de Gustave Doret y occupe cependant une place de choix, tant par sa force dramatique que par sa densité expressive. Outre une messe a capella, Doret a composé quelques motets pour voix mixtes ou voix égales, une «Liturgie à l'usage du culte protestant», et des «Pièces pour le temps de Noël» sur des textes de René-Louis Piachaud. (...) Mais son oeuvre religieuse la plus importante est sans doute «Les sept paroles du Christ», oratorio pour baryton, soprano, choeur mixte, orchestre et orgue. Il fut créé les 25 et 26 mai 1895 en l'église Saint-Martin de Vevey, sous la direction d'Henri Plumhof, Doret tenant la partie d'orgue. Fort bien accueillie tant par la critique que par le public, l'oeuvre fut beaucoup jouée, aussi bien en Suisse qu'à l'étranger, pour tomber peu à peu dans l'oubli."




    Pour ce qui est de l'époque de sa composition, cette oeuvre est donc contemporaine du célèbre concert du 22 décembre 1894 où Doret dirigea la première exécution du Prélude à l'après-midi d'un faune, inaugurant selon Boulez une "ère nouvelle" dans l'histoire de la musique.

    On y chercherait toutefois en vain la moindre influence de Debussy, et l'oeuvre n'annonce pas davantage la veine populaire qui caractérisera, en 1905 et 1927, les "Fêtes des Vignerons" dont Doret composa la musique.

    Alors quelles influences peut-on bien y déceler ? À juste titre, le texte de présentation évoque tour à tour Franck, Fauré, Gounod et Liszt. On pourrait en ajouter d'autres, notamment d'Indy.

    Mais peu importe. L'oeuvre est finalement assez belle et dénote une idéniable maîtrise. Elle méritait donc, je crois, d'être tirée de l'oubli complet dans lequel elle était tombée.

    Jacques

  11. #490
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    Dans moins de deux mois et demi, nous serons en 2013 ("how time flies!") et c'est alors Wagner et Verdi qui remplaceront Debussy au chapitre des "commémorations qui font vendre" ()...

    En attendant, pour ce qui est du 150ème anniversaire de la naissance du compositeur français, il me semble qu'il aura davantage été marqué par quelques précieuses rééditions (dont le triple album Samson François chez EMI) que par des nouveautés vraiment marquantes (comme le double album Chandos d'oeuvres pour orchestre par Denève et le RSNO).

    Cela étant, divers enregistrements récents continuent à ponctuer cette relativement discrète "année Debussy".
    Ainsi, alors que je ne connaissais du Quatuor Danel que son intégrale des Quatuors de Chostakovitch (une réalisation acclamée par Christophe Huss, à juste titre selon moi)...



    ..., j'ai été intrigué de constater que cet ensemble, avec le concours d'un contrebassiste (Korneel Lecompte), d'une harpiste (Francette Bartholomée) et d'un pianiste (Daniel Blumenthal), avait "apporté sa pierre à l'édifice" en enregistrant cet album :



    Ce n'est évidemment pas la présence du célèbre Quatuor Op. 10 (dont les Danel, au demeurant, nous livrent une très bonne interprétation) ou du Trio de jeunesse qui sort de l'ordinaire, mais celle de deux versions "primitives" différentes des Danses (Danse sacrée et Danse profane), l'une avec la harpe chromatique Pleyel prévue à l'origine (mentionnée dans presque tous les ouvrages sur Debussy, on lui substitue aujourd'hui systématiquement la harpe diatonique, accompagnée en outre non pas, comme ici, d'un quatuor renforcé par une contrebasse mais d'un orchestre à cordes), l'autre avec piano.

    D'un grand intérêt (on y trouve notamment un compte rendu saisissant de la "première" bruxelloise du Quatuor, par Eugène Ysaÿe et trois autres instrumentistes, en présence de François-Auguste Gevaert, "illustre directeur du Conservatoire Royal de Bruxelles" et "maître sans partage de la vie musicale belge"), la brochure jointe précise en effet que ces Danses (1904), une commande de la maison Pleyel, ont d'abord été composées par Debussy pour harpe chromatique ou piano, les deux versions étant pratiquement contemporaines, avec comme accompagnement un quatuor à cordes et une contrebasse, et que ce n'est que plus tard que fut écrite la version "habituelle" pour harpe diatonique (ou à pédales) et orchestre à cordes.

    En définitive, bien qu'on ne puisse le tenir pour "indispensable", c'est un bien bel album ().

    Je lui reprocherai juste de faire un peu trop entendre, par moments, la respiration de l'un des membres du Quatuor Danel (le violoncelliste, apparemment). Ça fait très "inspiré" (), mais je m'en passerais pour ma part volontiers...

    Jacques
    Dernière modification par Jacques ; 18/10/2012 à 19h55.

  12. #491
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    Accompagnant le numéro d'octobre 2013 de la revue Diapason, ce disque "bonus" propose quelques enregistrements "légendaires" appréciables, en particulier la Sonate pour violoncelle et piano par Rostropovich & Britten (1961), et la Sonate pour violon et piano par Ferras & Barbizet (1953) :





    En ce qui concerne Jeux, voici les quatre versions qu'ils considèrent comme les meilleures (choix discutable mais intéressant, et en fin de compte pas tellement surprenant) :




    Jacques

  13. #492
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    Debussy aurait cent cinquante-cinq ans aujourd'hui ; voilà longtemps qu'on n'en a pas parlé















    Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.

    Montaigne

  14. #493
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    Citation Envoyé par lebewohl Voir le message
    Debussy aurait cent cinquante-cinq ans aujourd'hui ; voilà longtemps qu'on n'en a pas parlé
    C'est le moment d'en parler à Fred ; juste pour lui dire qu'on reparle de Debussy

  15. #494
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    Citation Envoyé par lebewohl Voir le message
    Debussy aurait cent cinquante-cinq ans aujourd'hui ; voilà longtemps qu'on n'en a pas parlé
    Parlons-en -mais qu'avons-nous encore à nous en re-re-re-(etc.)-dire que nous - et d'autres - n'ayons déjà dit ?

  16. #495
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    « …le plaisir délicieux et toujours nouveau d'une occupation inutile »
    Henri de Régnier, épigraphe des Valses nobles et sentimentales de Ravel


    (on pourrait parler de Henri de Régnier, aussi)
    Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.

    Montaigne

  17. #496
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    Citation Envoyé par lebewohl Voir le message
    « …le plaisir délicieux et toujours nouveau d'une occupation inutile »
    Henri de Régnier, épigraphe des Valses nobles et sentimentales de Ravel


    (on pourrait parler de Henri de Régnier, aussi)
    Ah, oui. Alors là, je prends !
    Tout. Debussy, et Régnier, et Ravel, et les Valses, et ... Rien n'est plus nécessaire et indispensable que l'inutile. C'est délicieux.
    (Va falloir trouver un peu de temps, mais on va chercher.)

  18. #497
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    et puis : ce qu'on aime ou déteste de Debussy, est-il "le plus grand" musicien français ou est-ce Couperin, Rameau, Josquin, Boieldieu, Massenet, Barraqué? A-t-il eu une influence audible sur Massenet, Messiaen, Boucourechliev, Boulez, Janequin? A-t-il été influencé par Boucourechliev, Janequin, Berlioz, Moussorgsky, Chopin, Wagner, Tchaikovsky? tout ça...


    Café du commerce, sans doute, mais bon...inutile, nécessaire, tout ça!
    Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.

    Montaigne

  19. #498
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    Citation Envoyé par lebewohl Voir le message
    Debussy ... A-t-il été influencé par Boucourechliev
    Ah , voilà LE sujet qu'il faut explorer. C'est inédit. Du grain à moudre.

  20. #499
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    Je suis heureux de voir que vous appréciez mes idées à leur juste valeur. Si, si, vraiment!
    Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.

    Montaigne

  21. #500
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    Debussy est mort il y a cent ans et deux jours, et, à cette occasion, Diapason joint (optionnellement) à sond ernier numéro un bien joli florilège de piano : les Images par Marcelle Meyer, les Estampes et Masques par Bavouzet, Poissons d'or et une étude par François, Pour le piano par Casadesus, deux études par Horowitz, deux autres par Haskil (sauf erreur ou omission). Même si une plage s'obstine à ne pas vouloir être lue mon exemplaire par mon lecteur (je précise cela parce que je sais combien cela va vous intéresser tous), c'est très beau. J'avais oublié, faut de les avoir écoutées récemment, à quel point les Estampes sont des merveilles.
    Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.

    Montaigne

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