Re-bonjour à toutes et à tous après ce package hors-normes « spécial Leb », qui vous aura enthousiasmés je n'en doute pas
Retour donc à une formule plus traditionnelle, avec cependant une nouveauté importante ! l'arrivée dans le domaine public de nombreux compositeurs - décédés donc en 1974 - comme vous l'a expliqué mah70 dans sa récente PL, qu'il a décidé de limiter à cinq compositeurs : Atterberg, Jolivet, Knipper, Martin et Milhaud.
Trois compositeurs répondant aux mêmes critères vont venir s'ajouter aujourd'hui à cette liste déjà impressionnante : Absil, Partch et Wellesz.
Je vais tenter de vous les présenter tous les trois par la suite, mais non sans avoir précisé auparavant que cette livraison comprendra également d'autres oeuvres échappant à ce critère.
J'ignore si vous connaissez déjà bien Jean Absil. Absil (1893 - 1974) est un (excellent) compositeur belge ; il fut aussi un pédagogue réputé, figure marquante de la musique belge du XXe siècle. Né à Bon-Secours, près de la frontière française, il manifeste très tôt des talents pour la musique. Il intègre le Conservatoire royal de Bruxelles, où il se forme à l'orgue, au piano et à l'écriture musicale sous la direction de professeurs prestigieux tels qu'Alphonse Desmet et Paul Gilson. Après ses études, Absil remporte le second Prix de Rome belge en 1922, une distinction qui souligne déjà la qualité de sa création musicale.
Jean Absil est un compositeur dont l'esthétique oscille entre néoclassicisme et modernisme assuré. Son langage musical se caractérise par une tonalité élargie et une grande maîtrise contrapuntique, influencé par des compositeurs comme Stravinsky et Hindemith. Il se distingue par une approche rigoureuse de la forme et une curiosité constante pour l'exploration des couleurs orchestrales. Ses rencontres avec Jacques Ibert, Darius Milhaud et Arthur Honegger à Paris, où il voyage après avoir obtenu le Prix Rubens en 1934, ont aussi enrichi sa perspective musicale.
En parallèle à sa carrière de compositeur, Absil s'est distingué comme enseignant et théoricien. Professeur d'harmonie et de contrepoint au Conservatoire royal de Bruxelles, il a formé plusieurs générations de musiciens, dont la compositrice Nini Bulterijs. Il a également publié des ouvrages pédagogiques, contribuant à la diffusion de ses idées sur la composition et l'analyse musicale. Absil a joué un rôle important dans la vie musicale belge en siégeant à l'Académie royale de Belgique et en recevant des distinctions prestigieuses, notamment le Prix Quinquennal du Gouvernement belge pour la musique.
L'héritage de Jean Absil repose autant sur sa contribution artistique que sur son influence en tant que pédagogue. Sa musique, riche et variée, reste un témoignage d'une époque de transformations esthétiques, et son impact sur les musiciens belges du XXe siècle est resté considérable.
Je vous propose aujourd'hui cinq de ses oeuvres : un Récital de Mélodies, Peau d'Âne, une suite de ballet, deux de ses Concertos pour piano et sa Symphonie n°4.
Et si voulez en savoir plus sur lui, voici pour terminer un lien vers sa fiche Wiki
De même pour Harry Partch : un petit renvoi en guise de présentation vers sa page Wiki à l'attention de ceux qui le connaîtraient mal ou peu. Ou pas du tout ...
Comme vous le constaterez, et surtout à l'écoute des qqs oeuvres que je vous propose d'écouter de lui, Partch est un compositeur américain complètement original et atypique - car échappant à toute classification, un créateur visionnaire hors-pair, notamment grâce aux instruments en grande partie de son invention qui composent la toute grande majorité de ses créations - tout cela combiné à une inspiration et à un sens du rythme et à des sonorités inédites à ma connaissance (même si à certains moments il me fait penser à la musique balinaise).
Compositeur, mais aussi théoricien, inventeur et musicien, il est surtout connu pour avoir rejeté le système de tempérament égal occidental en faveur d'un système basé sur une échelle de 43 tons par octave, qu'il a lui-même conçue.
Partch considérait que la musique occidentale traditionnelle avait perdu son lien avec les inflexions naturelles de la parole et la richesse harmonique qu'offrent les intervalles microtonaux. En réponse, il a développé sa propre théorie musicale, ancrée dans les principes de l'intonation juste et des rapports mathématiques précis entre les sons. Pour interpréter sa musique, Harry Partch a conçu et fabriqué une cinquantaine d'instruments uniques. J'en reparle plus bas.
Une bonne introduction à son oeuvre pourrait bien être à mon sens, 11 Intrusions, pour voix et instruments, pour petits ensembles comportant voix, soprano, récitant, alto adapté, guitares adaptées I, II et III, kithara, harmonic canon, "cliquetis de sabots de cerf indien", cloud-chamber bowls, marimba diamant et marimba basse. Si vous êtes séduits, poursuivez vite !
The Bewitched (1955) est une oeuvre emblématique et radicale de Harry Partch, souvent qualifiée de "fantaisie chorégraphique" ou "ballet-satire". C'est un travail multidisciplinaire où musique, théâtre et danse se rencontrent sur le thème de la critique sociale. Composée en 1955, The Bewitched reflète l'engagement de Partch pour une musique intégrée à la performance dramatique, influencée par des formes théâtrales antiques et non occidentales.
Il s'agit d'une commande du Théâtre de Danse Contemporain de l'Université de l'Illinois, où l'oeuvre a été créée en 1957.
The Bewitched explore l'idée de l'envoûtement (ou "bewitchment") comme une métaphore des désirs humains et des absurdités de la vie moderne. L'oeuvre se compose de 10 scènes indépendantes, chacune mettant en scène des personnages pris dans des situations absurdes ou satiriques.
À ce titre chaque tableau présente une sorte de "rituel" où les personnages, au départ enfermés dans leurs routines ou illusions, sont "envoûtés" et libérés par un processus cathartique. La figure de la Sorcière est ainsi au coeur de l'oeuvre. Elle n'est pas un personnage maléfique, mais une sorte de médiatrice, orchestrant les transformations des personnages. Elle est interprétée par une danseuse, parfois accompagnée de gestes ou de paroles.
La musique de The Bewitched est écrite en grande partie pour les instruments microtonaux uniques de Partch, ce qui lui donne une texture sonore particulière - c'est peu de le dire ; pour exemple : koto, boo, marimba de bambou, diamond marimba, marimba eroica, marimba basse, chromelodeon, khitara I, khitara II, surrogate khitara, gong, spoils of war, cloud-chamber bowls, piccolo, etc. Pour qui souhaiterait en savoir plus sur l'instrumentarium particulier de Partch, je ne puis que conseiller la lecture de ces deux pages (toutes deux en anglais, mais Google est notre ami pour les non-anglophones) : ici et ici.
Le résultat est une musique à la fois exubérante, hypnotique et ritualiste, où le rythme joue un rôle crucial pour accompagner les mouvements des danseurs (et des auditeurs que nous sommes).
Plectra (ou plus complètement Plectra and Percussion Dances) est une suite en trois parties mêlant musique, mouvement et théâtre. Chaque section utilise une instrumentation microtonale unique, avec une forte emphase sur le rythme et la texture sonore.
Chacune des trois parties dispose de son propre caractère et de sa propre dynamique (je vous en propose d'ailleurs ici ces trois parties isolément ainsi que la version complète de l'oeuvre).
Castor et Pollux est basé sur des cycles répétitifs, avec une forte interaction entre les cordes pincées (plectra) et les percussions ; l'atmosphère est rituelle et hypnotique, mêlant pulsations rythmiques et harmonies microtonales. Ring Around the Moon est une section plus légère et ludique, avec une qualité quasi-dansante ; elle reflète un rituel imaginaire, associé à une célébration mystérieuse sous une pleine lune. Even Wild Horses, le dernier segment est le plus dramatique et le plus dynamique ; Partch l'a conçu comme une musique de danse autonome, évoquant une cavalcade sauvage ; l'énergie rythmique est ici à son apogée, avec des lignes mélodiques qui se chevauchent et une interaction complexe entre cordes et percussions.
Comme à l'accoutumée, l'oeuvre utilise de nombreux instruments conçus par Partch.
L'approche de Partch fusionne ici tradition et modernité, empruntant aux mythes anciens tout en utilisant une esthétique sonore radicalement nouvelle. Plectra n'est sûrement pas l'oeuvre la plus célèbre de Partch ; elle est pourtant saluée pour sa richesse rythmique, son inventivité et la capacité de Partch à créer des univers sonores novateurs et captivants.
Egon Wellesz (1885 - 1974) est au contraire des deux précédents, bien plus connu (quoique peu documenté). Ce fut un compositeur, musicologue et historien de la musique, autrichien d'origine juive, ayant joué un rôle important dans la musique moderne et dans l'étude de la musique byzantine.
Né à Vienne, il a étudié à l'Université de Vienne sous la direction de Guido Adler, un pionnier de la musicologie moderne. Il fut aussi élève d'Arnold Schoenberg, bien qu'il ne rejoigne pas pleinement le mouvement dodécaphonique, préférant un style qui allie des éléments tonaux et modernes.
Avant la Seconde Guerre mondiale, il était reconnu pour ses recherches sur la musique byzantine, devenant l'un des premiers musicologues occidentaux à explorer ce domaine en profondeur. Ses recherches sur la musique byzantine ont révolutionné la compréhension de ce domaine en Occident. Il a publié des études fondamentales sur la notation et la théorie musicale byzantine. Il a également écrit une biographie majeure d'Arnold Schönberg (1921), qui demeure une référence sur le sujet.
En 1938, après l'Anschluss, Wellesz dut fuir à cause de ses origines juives. Il s'installa à Oxford, où il poursuivit sa carrière académique. Il devint professeur à l'Université d'Oxford et obtint une grande reconnaissance pour ses travaux musicologiques.
En conclusion, Wellesz appartient à une génération de compositeurs viennois qui ont su naviguer entre la tradition romantique et les innovations du XXe siècle. Bien qu'ayant été éclipsé par des figures comme Schoenberg ou Webern, son oeuvre gagne en reconnaissance pour son originalité et sa profondeur.
Il est souvent considéré comme un des derniers représentants d'un âge d'or musical viennois, tout en étant un pionnier dans le domaine de la musicologie.
De lui aujourd'hui, deux oeuvres (il y en aura d'autres par la suite) : une oeuvre de chambre, l'Octuor pour clarinette, basson, cor, quatuor à cordes et contrebasse, et un opéra, Alkestis (Alceste).
L'intrigue d'Alkestis suit l'histoire classique d'Alceste, une héroïne tragique de la mythologie grecque. Elle accepte de sacrifier sa vie pour sauver son époux, Admète, mais est finalement ramenée à la vie grâce à l'intervention d'Héraclès.
Wellesz combine un langage post-romantique avec des touches modernistes, influencé par ses études auprès de Schoenberg.
Alkestis (ou Alceste) marque une étape importante dans sa carrière, montrant son aptitude à marier les formes classiques avec des innovations modernes. L'opéra reflète également son intérêt pour la culture antique, un thème récurrent dans son oeuvre. Par ailleurs comme dans la tragédie grecque originale, le choeur joue un rôle central, commentant l'action et renforçant l'atmosphère antique.
L'oeuvre, lors de sa création, fut saluée pour son originalité et sa profondeur psychologique, bien que son style ait été considéré comme exigeant. L'opéra a connu une redécouverte partielle au XXe siècle, notamment grâce à un regain d'intérêt pour Wellesz en tant que compositeur injustement oublié.
Vu que mah vous a déjà présenté d'autres « nouveaux venus » (décédés en 1974) : Atterberg, Jolivet, Knipper, Martin et Milhaud, je ne vous présenterai ici que qqs oeuvres de chacun d'eux : le Concerto pour violoncelle et le Quatuor à cordes op. 11 d'Atterberg ; le Concerto pour harpe et orchestre de chambre et le Concerto pour piano et orchestre de Jolivet ; Plaine, ma plaine de Knipper ; deux versions des Six Monologues de Jedermann de Martin ; et de Milhaud, L'Homme et son Désir, Poèmes juifs, Six Little Symphonies et Musique de scène pour La Mort d'un tyran.
Parmi tout cela, mention particulière sans le moindre doute pour le Concerto pour piano et orchestre de Jolivet, l'une de ses oeuvres les plus emblématiques dans la version de Lucette Descaves au piano et Ernest Bour à la baguette. Une oeuvre dont l'esthétique combine à merveillle virtuosité, mysticisme et richesse orchestrale et illustrant à merveille l'intérêt de Jolivet pour des structures rythmiques vigoureuses, tout en restant accessible par son expressivité. Ce concerto est souvent cité comme une pièce majeure du répertoire de Jolivet.
Plaine, ma plaine est probablement l'œuvre la plus connue de Lev Knipper. C'est une chanson tirée de sa Symphonie n°4, qui vous est proposée par mah dans son intégralité grâce à sa présence dans la PL actuelle. L'air est à la fois simple et majestueux, donnant une image idéalisée de la vaste steppe russe. Bien qu'elle soit associée à la propagande soviétique de l'époque, sa beauté mélodique transcende son contexte politique.
La Mort d'un tyran quant à lui est issu de la traduction par Diderot d'un texte d'Aelius Lampridius sur la mort de l'empereur Commode, assassiné dans son bain par l'un de ses gardes du corps, mais il n'y a ici que la musique de scène (6 minutes alors que l'oeuvre intégrale en dure plus de 40).
Les Six Monologues de Jedermann (1935-1944) de Frank Martin me semblent mériter eux aussi un commentaire plus développé.
Il s'agit d'un cycle de mélodies pour baryton (ou basse) et orchestre mettant en musique six monologues tirés de la pièce de Hofmannsthal, qui raconte la confrontation d’un riche homme avec la mort et sa quête de rédemption ; l'œuvre est poignante et introspective.
Frank Martin, compositeur suisse, s'est toujours senti attiré par les textes à forte teneur spirituelle. Inspiré par le drame médiéval modernisé de Hofmannsthal, dont il a condensé les moments les plus introspectifs du personnage principal, Jedermann, en six monologues musicaux. Ces derniers explorent des thèmes universels comme la richesse, la vanité, le repentir et la quête du salut.
Le Jedermann d’Hofmannsthal est une sorte de parabole chrétienne où la Mort convoque un riche homme, Jedermann, à rendre compte de sa vie. Abandonné par ses amis, ses biens et ses plaisirs, il réalise que seule sa foi et son repentir peuvent le sauver.
Le langage musical se situe à la frontière du postromantisme et du modernisme. L'orchestre joue un rôle subtil mais essentiel, soutenant et intensifiant les émotions du chanteur sans jamais les écraser. Les harmonies sont souvent chromatiques, avec des moments de grande expressivité et des passages où la mélodie semble se suspendre dans un espace méditatif.
En résumé, ces monologues offrent une expérience profondément spirituelle, où la musique et le texte se fondent dans une méditation existentielle. Martin n’est pas un « moderniste » au sens radical du terme. Sa musique reste accessible, tout en utilisant un langage personnel sophistiqué. Les thèmes abordés dans ces monologues - peur de la mort, quête de sens, foi - sont capables de résonner chez chacun d'entre nous.
Pour terminer et passer à tout autre chose (mais vous aurez d'autres oeuvres des « disparus de 1974 » ultérieurement - soit via les PL de mah soit via ces présents packages), je reviens sur le dernier package, oeuvre de Leb, qui nous présentait notamment une large sélection d'oeuvres de Chopin par Rubinstein, signalant au passage qu'il avait peut-être (tout comme moi d'ailleurs) une légère préférence des Nocturnes de Chopin par Arrau … J'aurais souhaité vous les présenter ici mais ils sont de 1977-78, donc trop tardifs pour être éligibles ici pour l'instant en vertu de la règle dite pour résumer « des 50 ans ».
Pour faire néanmoins bonne mesure, voici donc deux autres versions des Nocturnes : par Novaes ; et par Harasiewicz.
Enfin pour qui aime les extrêmes, qqs Fantaisies et paraphrases pour piano « à l'ancienne ». Ces fichiers m'ont en effet été envoyés par Leb : qu'il en soit donc remercié chaleureusement
Voici ce qu'il m'écrit en guise de présentation :
Salut Philippe
Je sais que tu ne goûtes que modérément les enregistrements très anciens [C'est un peu vrai mais bon cela n'implique en rien que j'impose mes propres goûts ou préférences au sein de la BM ! note Phil], mais ceux-ci d'une part sont de grande qualité sonore, je trouve (sauf une ou deux exceptions), et d'autre part sont de grand intérêt : des fantaisies, paraphrases, transcriptions pour piano comme on les aimait au siècle dernier et au précédent, et qui ont largement disparu du répertoire, certainement des concerts mais aussi du disque. C'est en tout cas carrément fun, voire jouissif. J'espère que tu partageras ce plaisir désuet !
Je viens d'écouter tout cela et Leb a raison, c'est très agréable; j'ai donc décidé de partager avec vous tous ce « plaisir désuet », en espérant que vous y trouverez tous plaisir
J'ai placé ces fichiers en rubrique Documents et curiosités, ne sachant pas trop où les mettre ailleurs.
D'autre part j'ai repris telle quelle la présentation que Leb m'envoie, qui ne correspond pas du tout aux standards de présentation habituellement utilisés ici ; mais bon ... c'est comme ça et ça n'a, par ailleurs, aucune importance !
Pour finir, comme d'hab, la liste complète des oeuvres présentées cette fois :
Bonnes écoutes à toutes et à tous et, je l'espère, bonnes découvertes peut-être
- Absil : Concerto pour piano n°1
- Absil : Concerto pour piano n°2
- Absil : Peau d'Âne, suite de ballet
- Absil : Récital de Mélodies
- Absil : Symphonie n°4
- Atterberg : Concerto pour violoncelle
- Atterberg : Quatuor à cordes op. 11
- Chopin : Nocturnes pour piano (x2)
- Fantaisies et paraphrases pour piano « à l'ancienne »
- Jolivet : Concerto pour harpe et orchestre de chambre
- Jolivet : Concerto pour piano et orchestre
- Knipper : Plaine, ma plaine
- Martin : Six Monologues de Jedermann (x2)
- Milhaud : L'Homme et son Désir
- Milhaud : Musique de scène pour La Mort d'un tyran
- Milhaud : Poèmes juifs
- Milhaud : Six Little Symphonies
- Partch : 11 Intrusions
- Partch : Plectra
- Partch : The Bewitched
- Wellesz : Alkestis (Alceste)
- Wellesz : Octuor pour clarinette, basson, cor, quatuor à cordes et contrebasse
![]()
![]()