A propos de la musique de Manuel De Falla (1876-1946) et des enregistrements qui en ont été faits, je ne dirai pas trop de choses du genre : "On ne peut pas comprendre le sens profond de son inspiration sans avoir au moins entendu une fois, dans El amor brujo, une véritable cantaora" (une authentique chanteuse de flamenco comme il n'y en a plus beaucoup, dépositaire de la grande tradition ibérique du cante jondo qui dérive des cultures musulmane, juive et andalouse). Je me limiterai donc pour ce premier post aux quelques banalités qui suivent .
A l'instar d'Enescu pour la Roumanie, de Bartok pour la Hongrie ou de Sibelius pour la Finlande, Manuel De Falla est devenu pour l'Espagne une sorte de gloire nationale. Son oeuvre est relativement peu abondante mais de grande qualité, et peut être répartie (comme chez beaucoup d'autres compositeurs) en diverses phases ou périodes successives distinctes :
1/ une période initiale qui culmine avec l'opéra "La vida breve" (1905), une oeuvre tragique mais encore proche de la zarzuela par certains aspects, et qui emprunte aux styles de Puccini et de Massenet;
2/ la phase impressionniste, dont sont issues notamment les magnifiques "Noches en los jardines de España" (1911-1915);
3/ une période où l'inspiration andalouse du compositeur, désormais parfaitement maîtrisée, se manifeste en particulier dans le très sombre "El amor brujo" (1915 pour la version originale scénique / 1916-1925 pour les diverses suites d'orchestre qui en ont été tirées, avec ou sans mezzo-soprano), ou le bien plus souriant "El corregidor y la molinera" (1917 pour la version originale scénique / 1919 pour la suite d'orchestre, devenue "El sombrero de tres picos" et donnée en première audition par Ansermet);
4/ une phase où la musique de De Falla, tout en conservant son caractère profondément ibérique, devient plus stylisée, plus décantée, presque "ascétique", avec en particulier la "Fantasia baetica" pour piano (1919), "El retablo de Maese Pedro" (1923) et le Concerto pour clavecin et petit orchestre (1926);
5/ enfin, une dernière, longue et laborieuse période, presque toute entière occupée par la composition de l'immense cantate "Atlantida", demeurée inachevée à la mort du compositeur et complétée par Ernesto Halffter.
Manuel De Falla était un homme plutôt discret et réservé, en tout cas moins exubérant que son compatriote Albéniz. Devenu, après être "monté" à Paris, un proche notamment de Ravel et de Debussy, il se lia d'amitié dans les années 20 et 30 avec de nombreux artistes espagnols d'avant-garde, en particulier le poète Federico Garcia Lorca qui fut exécuté par les Franquistes en 1936. A la fin de la Guerre civile espagnole, alors qu'on s'attendait à ce qu'il reste dans l'Espagne de Franco, le fervent catholique que notre compositeur avait toujours été quitta néanmoins sa patrie pour s'installer en Argentine, où il mourut en 1946 après y avoir mené, en compagnie de sa soeur Maria del Carmen, une vie simple et austère, presque monacale.
Je montre ci-dessous six disques d'oeuvres de Manuel De Falla qui me paraissent assez remarquables (mais j'en ai évidemment beaucoup d'autre). Il y a : 1.- la Vie brève avec Victoria de Los Angeles et Rafael Frühbeck de Burgos; 2.- un disque où Rafael Orozco interprète les Nuits et diverses oeuvres pour piano seul; 3.- un enregistrement de la version originale (1915) de l'Amour sorcier où chante une terrifiante cantaora (une vraie voix de sorcière ), couplée avec des Tréteaux où c'est un enfant (comme le voulait De Falla) qui tient le rôle du récitant ("El Trujaman"); 4.- un excellent disque français récent qui présente les mêmes oeuvres, sauf que la cantaora de l'Amour sorcier a une voix un peu moins effrayante, et que ce n'est pas un enfant mais une soprano qui chante "El Trujaman" dans les Tréteaux; 5.- un disque où c'est Ansermet, le créateur de l'oeuvre, qui dirige les deux suites du Tricorne, Teresa Berganza assurant les brèves interventions vocales (il y a aussi sur ce disque une version des Nuits avec Alicia de Larrocha); 6.- le seul enregistrement que j'ai de L'Atlantide.
Je n'ai encore aucune oeuvre de Manuel De Falla sur ma liste SM. Mais je la compléterai prochainement (avec avertissement à la clé ), en mettant peut-être en opposition, pour qu'on puisse comparer, ce que donne "Canción del amor dolido" chanté par une traditionnelle mezzo-soprano d'une part, et par une cantaora d'autre part.
Jacques