Vers 1890, cela avait surtout, pour Marie Jaell, un caractère pédagogique pour un public qui n'avait pas à sa disposition des intégrales discographiques! De Schumann, on connaissait le Carnaval et les Scènes d'enfants, les Etudes symphoniques et quelques pièces isolées, mais pas l'Humoresque, par exemple, ni les sonates ou les Bunte Blätter... De Chopin, on ne connaissait pas plus de quelques mazurkas, toujours les mêmes, etc.
Sur le jeu de Marie Jaell, les critiques semblent unanimes pour dire qu'il s'agit d'un jeu très personnel. Dans quel sens était-il "personnel"? Là, c'est plus difficile de le déterminer avec les avis des contemporains. Jouait-elle TOUTES les notes? Pas sûr non plus.
Dans une lettre que Saint-Saens lui adressa, on peut lire cet avis:
"J’ai été absurde et coupable. Pardonnez-moi. Mais aussi pourquoi vous obstinez-vous à dénaturer à plaisir la musique et votre magnifique talent ? Cherchez donc tout uniment à faire le plus fidèlement possible ce qui est écrit ; votre nature fera le reste. Vous jouez si merveilleusement quand vous vous imaginez jouer comme tout le monde ! Votre affectionné Camille Saint-Saens »
Non pas en direct ! Bon sang qu'ils n'étaient pas terribles ces Empereurs ! A l'exception du plus récent d'entre eux : Guy, le NOP et Jordan jr.
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La mémoire ? C'est un don qui se travaille et l'histoire est pleine des musiciens (pianistes et chefs) qui possédaient par coeur un répertoire colossal...
Maazel aujourd'hui : capable de donner toutes les fautes d'un matériel d'orchestre conservé à la philharmonie de Berlin... trente ans après avoir dirigé l'oeuvre ! Ce qui avait mis Barenboim qui raconte cette histoire sur le derche !
Mitroupoulos dont Boulez dit qu'il apprenait une oeuvre en la photographiant en UNE lecture attentive...
Gieseking qui avait sidéré Strauss en lui jouant le lendemain de la première mondiale des passages entiers d'un Opéra de lui dont il avait entendu la dite création à la radio !
Nikolaeva qui avait un répertoire su par coeur qui comprenait des centaines d'oeuvres et plus de 150 oeuvres concertantes.... et qui apprenait en lisant à la table... (Lugansky est du même genre !)
Clara Haskil qui apprenait en écoutant les autres (comme Argerich et son troisième de Proko !)
Nadia Boulanger : elle ne les jouait pas mais connaissait par coeur quantité de musique !
Albert Levêque : a part Beethoven qu'il disait détester : il connaissait tout par coeur 'incroyable ! Y compris Fauré si difficile pour la mémoire !) et tout le CBT par coeur avant ses 10 ans !
Magaloff ! Il jouait à peu près tout par coeur : impressionnant... Dont 80 % de musique qu'il ne jouait pas en public ou plus en public ! Un jour il m' a joué des oeuvres de jeunesse de... ce Scelci qu'il avait très bien connu.
Richter et bien d'autres.
Dalberto par exemple ! Il sait tout et transcrit de mémoire et à la demande quatuors, symphonies, opéras...
Nikolaveva était de ce point de vue, d'après Richter qui ne l'aimait pas comme interprète, un phénomène : il disait "le cerveau le plus fait pour la musique que j'ai rencontré !".
Elle est connue pour avoir appris en la déchiffrant lors de la première répétition la partition de Capriccio de Stravinsky en présence du compositeur à Moscou. Elle a eu la partition au début de la répétition... a la fin de la première répétition... elle jouait par coeur...
Rubinstein, Arthur... avait lui aussi un programme colossal et il a donné ces célèbres récitals de Carneggie Hall pour montrer l'étendue de son répertoire... et pour saluer la mémoire de son homonyme...
Ce qui ne retire rien à la performance de Jael... Mais en ce temps là, les pressions étaient moins grandes, l'enjeu n'était pas le même.
Dernière modification par mah70 ; 01/07/2008 à 10h53. Motif: Mise en page: trop de - - - - dans le message ;-)
On pourrait envoyer telle lettre aujourd'hui à Cyprien Katsaris comme à Tzimon Barto ou à Ivo Pogorelich... qui jouent toutes les notes... mais qui dénaturent la musique en voulant faire les intéressants.
La lettre de Saint-Saens est intéressante par ailleurs. Voici un homme né en 1835 qui a l'air d'être attaché en tout cas à une chose : le respect du caractère des oeuvres et donc autant des notes que du respect du tempo et des nuances.
Car on peut dénaturer la musique sans lui ôter une seule note !
Dans cette liste, n'oublions pas Enesco, qui avait bluffé Bartok en dirigeant à la perfection ses Deux Images, après une seule lecture dans le train! Ou encore, était capable de jouer au piano par coeur tous les quatuors de Beethoven...
Il y a un chef qui a l'air d'avoir une sacrée mémoire, c'est Yoel Levi !
A chaque fois je l'ai vu dirigé par coeur (ce qui n'est pas si extraordinaire), mais tout de même, diriger sans partition la Sinfonia de Berio !
Frédéric
Il vaut mieux mobiliser son intelligence sur des conneries que mobiliser sa connerie sur des choses intelligentes.Proverbe Shadok
Oui, comme à cette époque on considérait certainement que les sonates de Beethoven étaient une anomalie et le cas extrême à ne surtout pas imiter ou dépasser, avec des pp et ff; époque où on ne jouait pas les sonates de Schubert allant du pppp au fff(f?).
C'est impressionnant, mais ce n'est pas impossible!
Tu cites les oeuvres complètes de Schumann (c'est long), les 32 sonates de Beethoven, puis intégrale Liszt, le tout assorti de quelques concertos.
Aujourd'hui, les répertoires de certains interprètes sont à peu près équivalents du point de vue quantité, sauf que, dans l'intervalle, il y a eu Ravel, Debussy, Fauré, Stravinsky, Albeniz, Granados, Dukas, Roussel, Chabrier, Berg, Schönberg, Webern, Janacek, Bridge, Messiaen, Martinu, Déodat de Séverac, Poulenc, Mompou, Boulez, Stockhausen, Ohana, Nigg, Tartampion, Trucmuche, Machinchose et un long etcetera comme on dit en espagnol.
Tu me diras que la dame en question avait aussi sans doute des oeuvres de compositeurs moins connus, aujourd'hui oubliés, à son actif . Mais il ne faut pas oublier que l'histoire du piano moderne est encore relativement récente et davantage encore au dix-neuvième siècle.
J'ai tendance à penser que notre génération d'interprètes est un peu plus éclectique que celle d'il y a deux siècles.
Mais ce n'est que mon avis.
C'est connu comme le loup blanc. Et cela m'avait valu une belle engueulade sur un forum fermé avec un forumeur admirateur de Saint Saens. C'est dans la musique française de piano de ce bon vieil Alfred.
D'autre part, je possède tous les enregistrements faits par Saent Saens pour le grammophone : son jeu, sans un être d'un raffinement extrême est au contraire nuancé, souple dans les pieces qui le demandent, d'une virtuosité phénoménale quand il le fait (cadence improvisée pour Africa et début du Deuxieme Concerto dans un arrangement improvisé qui mélange piano et orchestre... et d'une sobriété dont on dira qu'elle est "moderne", si l'on pense qu'autrefois les pianistes en faisaient des tonnes.
J'ai aussi des rouleaux de piano mécanique : mais la, il est difficile de se faire une idée. Le jeu est dénaturé.
Il y a deux séries d'enregistrements : les premiers vers 1903-1904, les autres plus tardifs : c'est un vieillard dans les deux cas. Particulièrement en forme ! Mais la première série est plus surlecutante que la seconde.
Dernière modification par alain ; 29/06/2008 à 22h21.
Ce qui, d'ailleurs, à notre époque n'est pas si rare... Et prouve au moins une chose : ce qui est décrit là est évidemment une très grosse exagération ! Faudrait vraiment faire un effort colossal pour n'avoir que deux nuances de jeu : c'est même impossible !
Et puis, encore une fois, flagrant délit de vouloir faire entrer une époque dans un moule !
Dernière modification par alain ; 29/06/2008 à 22h27.
Sauf que critiquer entre amis à la sortie d'un concert n'est pas tout à fait la même chose que le faire sur une radio publique dans une émission dont le but est de hiérarchiser les interprétations (à coups d'éliminations successives) et de donner aux auditeurs des avis sur ce qu'il faut avoir dans sa discothèque et ce qu'il faut éviter... Mais du reste, je ne dis pas que ce n'est inintéressant de confronter sa propre écoute à celle des pros dont l'avis compte sur l'antenne, mais certains rejets catégoriques me choquent toujours, et plus que cela, les termes employés pour rejeter (pas forcément par toi, Alain).
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