J'aimerais bien savoir ce qui a amené Mortier à nous offrir cette série de représentations d'Eugène Onéguine, dans une production et avec les forces du Bolchöï, en prélude de la dernière saison de sa direction.
Pied de nez à un public demandant des mises en scène plus "classiques", moins aventureuses ? Va savoir.
Pour une fois, commençons par l'aspect musical.
Les 3 rôles principaux (Onéguine, Tatiana, Lenski) sont très bien. Pas parfaits mais vraiment très bien.
Tatiana Monogarova nous donne une Tatiana très crédible, très belle physiquement, avec un beau legato, une belle homogénéité dans tous les registres. Petit fléchissement dans l'acte 3 mais peut être la mise en scène en est elle la cause. Je crains par contre la série de représentations très rapprochées.
Très bel Onéguine aussi du polonais Mariusz Kwiecien, au timbre très agréable, à l'aigu facile. Petites réserves sur l'acteur mais il faudrait juger avec un autre metteur en scène.
Andreï Dunaev a recueilli de forts applaudissements pour sa performance en Lenski. Accueil un peu généreux me semble t-il pour une voix assez ordinaire mais la technique est belle. On attend évidemment beaucoup plus d'émotion dans l'air précédent le duel mais, là encore, qu'est ce qui est à imputer au chanteur et au metteur en scène .... ?
Accueil quasi délirant pour Kotscherga en Grémine. Là, je ne suis pas d'accord du tout. Ce que le Boris d'Abbado nous livre aujourd'hui n'est que lambeaux de voix dans l'aigu et le grave et, plus grave, un histrionisme complètement déplacé dans ce rôle noble.
Le reste de la distribution est assez médiocre, une Olga complètement absente et vocalement et théatralement, une madame Larina et une nourrice chevrotantes à souhait, des choeurs pas toujours en place (un comble pour une troupe).
Direction musicale d'Alexander Vedernikov d'une lenteur à s'assoupir et dégageant autant de passion que les récentes interviews de Medvedev et Poutine sur CNN.
Côté théatre, Dmitri Tcherniakov nous offre un début d'opéra dans une ambiance très tchékhovienne assez engageante.
Les choses se gâtent très rapidement car Tcherniakov opte pour une unicité de décor aux actes 1 et 2 mais il ne fait strictement rien de cette option. La lecture de l'action est rendue extrêmement confuse car le MES ne sait pas gérer l'espace d'où une impression continue de vaste foutoir (scène introductive, scène du bal, scène du duel, scène chez Grémine).
Mais le plus grave, à mon sens, est dans l'optique que Tcherniakov semble avoir des personnages principaux.
Tatiana est une hystérique et vit la scène de la lettre comme une forme de rêve-cauchemar (très difficile à raccorder à la réponse que lui fait Onéguine), le personnage perd toute consistance au 3è acte (sorte de poupée qu'on exhibe pour faire joli et qui se désarticule dès qu'elle est confrontée à la réalité de ses sentiments).
Lenski est loin de l'archétype que le personnage de Pouchkine était devenu dans l'imaginaire russe. Tcherniakov le réduit à une espèce de fantôche benêt, d'où le ratage théatral de l'air de la scène dite du duel - dite car le MES nous fait assister à une bagarre entre les 2 protagonistes au cours de laquelle, à force de vouloir s'arracher le même fusil, un coup malheureux part !!
Pareil pour Onéguine qui, fou de désespoir de se voir repousser par Tatiana, tente de se suicider mais son pistolet est enrayé et il ne parvient pas à ses vues.
Tout cela est d'un gratuit sans le moindre intérêt théatral, me donne le sentiment que Tcherniakov essait d'éblouir le public moscovite avec quelques dernières tendances de la MES occidentale. C'est vain et ridicule.
A noter un signe du refroidissement des relations franco-russes. Monsieur Triquet apparaît bien sur scène mais ses couplets sont curieusement chantés par Lenski et en russe !!! Ne me demandez pas pourquoi ...
Nul doute que Sarkozy demandera aujourd'hui des explications à Medvedev et Poutine.
Bonne journée.