Prokofiev

[thierry h]

J'ouvre cette discussion à l'occasion de la réédition des enregistrements de Jarvi chez Chandos.
Ces enregistrements, outre les symphonies et les concertos proposaient pas mal d'oeuvres orchestrales, ( superbe ballet "Chout" ), connues ou méconnues!

J'ai parfois l'étrange impression que Prokofiev en dehors de quelques oeuvres ( un peu plus tout de même que Roméo, la Classique, et Pierre et le loup! ) est fort mal connu, ou fort mal aimé peut être! Une musique souvent foisonnante, agitée, énervée, en un mot : vibrionnaire! Ansermet, je crois, disait de lui : "c'est un brise vitre"!
Mon objectif n'est pas de commenter la formule ou de rechercher systématiquement les oeuvres qui collent ou non à cette définition du personnage et de sa musique ( bien plus complexe et diversifiée ) mais d'essayer de proposer des oeuvres à découvrir loin des sentiers battus! Et puis d'une façon générale de faire le point sur sa discographie...

thierry

[lebewohl]

! Ansermet, je crois, disait de lui : "c'est un brise vitre"!

bien que l'objectif ne soit pas de commenter la formule, ça me fait pesner à la première apparition de la Castafiore dans Le Sceptre d'Ottokar, quand Tintin vérifie que la vitre est "Securit"...

Sinon en effet, la formule est drôle mais réductrice . Prokofiev a souvent une sorte de lyrisme à froid pas du tout brise-vitre son premier concerto pour piano, par exemple), et d'autres fois sait osciller de la tendresse à l'ironie (Visions fugitives). Je m'aperçois que je cite des oeuvres de jeunesse, là...

[JYDUC]

Et puis, il a influencé tant de compositeurs de musique de films, notamment John Williams.
Prokofiev : l'un de mes compositeurs de chevet.

[Jacques]

Excellente idée, Thierry .

Quel énorme et passionnant sujet !

J'ai, comme d'autres, déjà évoqué ailleurs sur ce forum une ou deux oeuvres peu fréquentées de Serge Prokofiev (comme cette étonnante cantate - un peu "contrainte" mais finalement fort belle musicalement - pour le soixantième anniversaire du "Petit Père des Peuples" ).

Mais je me sens pour l'heure tellement "tiraillé" entre d'autres sujets à compléter (cf. un compositeur roumain, un [ou plusieurs] compositeur[s] britanniques, etc.) que j'attendrai un peu pour me manifester.

Mais je suis trop excité par le fil que vous venez d'ouvrir pour ne pas vouloir y mettre "mon petit grain de sel" () dès que je le pourrai. D'autres auront sans doute déjà dit pas mal de choses intéressantes dans l'intervalle ...

Jacques

[lebewohl]

j'aime beaucoup un enregistrement d'oeuvres pour piano de jeunesse, dont toutes ne sont pas connues, loin de là, par El Bacha, dont c'était, je crois, le premier disque ; il est bien court, hélas, mais bien plaisant. J'adore en particulier les études (notamment la 4e, si mon souvenir est bon). Brise-clavier, à défaut d'être brise-vitre, mais jubilatoire. Chez Forlane.

[Jacques]

D'autres auront sans doute déjà dit pas mal de choses intéressantes dans l'intervalle...
Jacques

Ça a déjà commencé de fort belle façon, à ce que je vois. Et je vais probablement en apprendre encore des tonnes, de ces choses intéressantes que j'espérais ...

Mais pour l'instant je retourne un moment en Roumanie.

Jacques

[JYDUC]

Pour combler les cinéphiles mélomanes, cette scène que l'on ne peut oublier, tant par la puissance d'évocation de la musique de Prokofiev que par le... euh... le pouvoir de faire tenir à l'horizontale un drapeau quand il n'y a pas de vent :o)
Un film culte, une musique culte et un drapeau en carton.

[Jacques]

Merci, Jean-Yves, pour cette fantastique vidéo (un tout grand classique, tant le film que la musique )

J'enchaîne pour ma part avec diverses choses un peu disparates. En commençant par une anecdote plutôt marrante (trouvée sur l'Internet), qui révèle l'une des nombreuses petites excentricités de notre compositeur :

"Prokofiev était notoirement connu pour être très à cheval sur la ponctualité. Un jour, il avait donné rendez-vous professionnel chez lui à une chanteuse qui a eu le malheur d'arriver un peu trop en avance. Quand elle tapa à la porte du domicile de Prokofiev, elle vit cette dernière s'ouvrir. Prokofiev, sans un mot et sans se montrer, passa juste son bras gauche portant sa montre par l'ouverture, signifiant ainsi à la chanteuse son avance. Puis il referma la porte. À l'heure tapante du rendez-vous tel qu'il était convenu, la porte se rouvrit et Prokofiev, tout souriant, fit entrer la chanteuse dans sa maison comme s'il ne s'était rien passé."

Ensuite trois photos... La première montre le jeune Sergueï, âgé de 9 ans (1900), assis à son piano avec devant lui la partition de son opéra enfantin "Le Géant". La deuxième, prise en 1936, montre Prokofiev en compagnie de ses deux fils, Sviatoslav et Oleg, ainsi que de sa femme Lina qui était d'origine espagnole et qu'il avait épousée en 1923 (la malheureuse, à la fin de l'ère stalinienne, fut un jour "cueillie" par le KGB dans une rue de Moscou pour de prétendues activités d'espionnage en faveur de puissances impérialistes, et elle fit ensuite huit ans de Goulag). La troisième montre le compositeur en 1950, à côté de Mtislav Rostropovitch qui était déjà un violoncelliste très prometteur.






Enfin un album pas très répandu, qui présente deux "cantates" de Prokofiev moins connues qu' "Alexandre Nevsky" Op. 78 ou la suite "Ivan le Terrible" [musique de film] Op. 116 :



Ces oeuvres sont la "Ballade pour un Garçon resté inconnu" Op. 93 pour orchestre, choeur, soprano et ténor (1942/43), et "La Garde pour la Paix" Op. 124 pour orchestre, choeur, voix solistes et récitant (1950). Ce sont des enregistrements réalisés en stéréo dans l'ancienne Union soviétique, avec l'Orchestre Symphonique et le Choeur de la Radio de l'URSS dirigés par Gennadi Rozhdestvensky.

S'agissant de "La Garde pour la Paix", je rappelle (car il a déjà été question de ces faits sur au moins un autre fil) qu'au début de 1948 une résolution du Comité Central du Parti avait sévèrement condamné les compositions récentes de divers grands compositeurs soviétiques, dont Chostakovitch, Katchatourian et Prokofiev, pour leurs soi-disant "tendances formalistes bourgeoises". Or, à l'instar de Chostakovitch avec son "Chant des Forêts, Prokofiev avait en quelque sorte été contraint de courber l'échine en composant ensuite cette oeuvre grandiose, s'efforçant de la rendre la plus accessible possible aux oreilles des "masses populaires". Pour ce qui est des paroles, hélas, elles sont je crois dignes des pires délires auxquels ont succombé en France les poètes Eluard et Aragon, emportés par leur amour extasié pour le "Guide Suprême".

Jacques

[lebewohl]

A la différence près, hélas, que Prokofiev risquait sa peau s'il choisissait des paroles autres. Eluard et Aragon, moins.

[Jacques]

A la différence près, hélas, que Prokofiev risquait sa peau s'il choisissait des paroles autres. Eluard et Aragon, moins.

Exactement, Lebewohl .

Jacques

[Jacques]

A propos des paroles de "La Garde pour la Paix" (en français on traduit d'ailleurs plutôt son titre par "La Garde de la Paix"), elles ne sont pas reproduites dans le livret - tout en anglais et plutôt sommaire - du disque que j'ai montré.

On en trouve toutefois un bref passage dans le livre consacré à Serge Prokofiev dans la collection Solfèges (Seuil) par Claude Samuel, qui précise que ces paroles ont été écrites par un tâcheron stalinien nommé Marchak. Et le prosaïsme plat et cru de ce texte (au demeurant assez caractéristique du climat de guerre froide qui venait de s'installer des deux côtés du Rideau de fer) est anti-poétique à souhait... Voici ce passage :

" De Washington, par radio, on communique :
" «OK. Avons expédié en Europe des centaines de milliers de bombes.»
" Les chargements de bombes scellées dans de grandes caisses font route vers Marseille.
" Mais un port de France répond fièrement :
" «Il n'y a personnes sur nos docks pour décharger ces bateaux...»
" «Tout le monde doit lutter pour la paix !»
" «A bas les fauteurs de guerre !» "

Maurice Thorez et Jacques Duclos, en 1950, ont dû adorer ().

Plus sérieusement, Claude Samuel dans son bouquin plaint sincèrement le pauvre Prokofiev, qui avait été inspiré notamment par Dostoïevski, Pouchkine, Gozzi, Brioussov et Tolstoï, d'avoir dû mettre en musique une prose pareille .

Jacques

[Jacques]

Pour en finir avec cette oeuvre de circonstances composée en 1950 par Prokofiev, je vous livre mon impression "à chaud" puisque je viens de réécouter ça deux fois .

Euh... Qu'est-ce que ça peut bien m'évoquer ?

Eh bien ... C'est en tout cas aussi beau que cette image (surtout la fin) :




Jacques (qui reviendra plus tard avec des choses moins "grandioses")

[Jacques]

Ami de notre compositeur, qui lui dédia sa Sonate pour piano No 9, Sviatoslav Richter savait peut-être mieux que quiconque rendre justice aux passages les plus virtuoses et percutants du piano de Prokofiev.

Comme dans cette vidéo du dernier mouvement - Vivace - de la Sonate No 2 en ré mineur Op. 14, de 1912 (quel punch ! ) :



Jacques

[Jacques]

Fantastique virtuose aussi - quoique très différente de Richter -, Martha Argerich, dans le célèbre Concerto pour piano et orchestre No 3 en do majeur Op. 26 (1916/17) de Prokofiev, dont elle s'est fait en quelque sorte une "spécialité" .

Elle joue ici en Suisse, le 29 juillet 2007, avec l'UBS Verbier Festival Orchestra dirigé par Mikhail Pletnev. La vidéo ci-dessous montre son interprétation du premier mouvement de l'oeuvre :




Jacques

[thierry h]

Pour rester encore un peu dans l'Agit prop, je vous conseille l'écoute de la "Cantate pour le XXème anniversaire d'Octobre". Une oeuvre très chambriste : double choeurs mixtes, orchestre symphonique, orchestre de cuivres, orchestre d'accordéons et "instruments de cuisines" pour faire tacatactactactactac, panpanpanpan, boum, pif paf, vlan! ( épisode révolutionnaire ) Les paroles sont des deux barbus, du barbichu et du moustachu! Prokofiev vient de débarquer en URSS et compose une oeuvre pas trop simpliste si j'ose dire. On lui a pas encore dit comment il fallait composer... Il viens juste de débarquer on va pas lui foutre trop vite les chocottes, déjà que ça purge sévèrement! Bref une oeuvre que l'on peut qualifier de bruitiste dans la veine des Fonderies d'acier de Mossolov que je viens de redécouvrir sur le SM de Claude et d'autres oeuvres comme les symphonies 2 ou 3.
Il existe un enregistrement de cette oeuvre par Kondrachine ( un autre par Rozhdestvensky je crois! ) et couplé avec l'une des versions les plus dingues que je connaissent de la Suite Scythe! tout cela est sur mon compte SM depuis belle lurette!

thierry

[Jacques]

Pour rester encore un peu dans l'Agit prop, je vous conseille l'écoute de la "Cantate pour le XXème anniversaire d'Octobre". Une oeuvre très chambriste : double choeurs mixtes, orchestre symphonique, orchestre de cuivres, orchestre d'accordéons et "instruments de cuisines" pour faire tacatactactactactac, panpanpanpan, boum, pif paf, vlan! ( épisode révolutionnaire ) Les paroles sont des deux barbus, du barbichu et du moustachu! Prokofiev vient de débarquer en URSS et compose une oeuvre pas trop simpliste si j'ose dire. On lui a pas encore dit comment il fallait composer... Il viens juste de débarquer on va pas lui foutre trop vite les chocottes, déjà que ça purge sévèrement! Bref une oeuvre que l'on peut qualifier de bruitiste dans la veine des Fonderies d'acier de Mossolov que je viens de redécouvrir sur le SM de Claude et d'autres oeuvres comme les symphonies 2 ou 3.
Il existe un enregistrement de cette oeuvre par Kondrachine ( un autre par Rozhdestvensky je crois! ) et couplé avec l'une des versions les plus dingues que je connaissent de la Suite Scythe! tout cela est sur mon compte SM depuis belle lurette!
thierry

Bonsoir Thierry .

Et merci pour ces informations.

Avec la cantate "La Garde pour la Paix" [1950] que j'ai signalée, j'en avais déjà une autre qui figure sur un DVD intitulé "Notes interdites" dont j'ai déjà parlé sur un autre fil (c'est principalement sur Chostakovitch, mais pas uniquement). Cette cantate s'appelle "Zdravitsa", une Ode - musicalement très belle - que Prokofiev composa en 1939 pour le 60ème anniversaire de Staline "sur des paroles inspirées au peuple". On la trouve sur ce DVD en vidéo, interprétée excellement - avec paroles d'origine (... ) - à Moscou en 2002 par l'Orchestre Symphonique et Choeurs Capella de Russie, sous la direction de Gennadi Rozhdestvensky (qui sourit souvent, comme si ce texte "dingue" maintenant l'amusait ). Elle est d'ailleurs sur ma liste SM depuis longtemps. Voici le verso de ce DVD :




J'en profite pour montrer ci-dessous deux enregistrements que j'aime bien de cantates plus célèbres et tout de même meilleures . En particulier, la mezzo-soprano Irina Arkhipova (qui chante dans les deux oeuvres) et le récitant Boris Morgunov (dans Ivan le Terrible) y sont excellents.




Jacques

[thierry h]

Jacques!

il y a bien longtemps que je n'ai pas écouté ces disques...
On peut je pense ajouter à ces deux enregistrements celui de Karel Ancerl, volume 36 de l'édition Gold! Vera Sukupova y est extraordinaire!
Cet enregistrement est couplée avec une oeuvre qui ne me fait pas relever la nuit : la Symphonie concertante pour violoncelle! Mais c'est le grand André Navarra qui s'y colle!

Pour mémoire : Dans l'édition timbrée, Nevsky était couplé avec le Sacre!

thierry

[Jacques]

Jacques!

On peut je pense ajouter à ces deux enregistrements celui de Karel Ancerl, volume 36 de l'édition Gold! Vera Sukupova y est extraordinaire!
Cet enregistrement est couplée avec une oeuvre qui ne me fait pas relever la nuit : la Symphonie concertante pour violoncelle! Mais c'est le grand André Navarra qui s'y colle!

Pour mémoire : Dans l'édition timbrée, Nevsky était couplé avec le Sacre!
thierry

Merci, Thierry, pour ces indications qui m'étaient en partie inconnues .

Je relève en passant que "l'oeuvre qui ne vous fait pas relever la nuit" a l'effet presque inverse sur une personne que j'ai côtoyée professionnellement pendant plusieurs années : elle adore ça, notamment le tout début qu'elle trouve extraordinaire (j'ignore en revanche si c'est la version Navarra qu'elle aime en particulier) .

Mais sur l'oeuvre elle-même, je partage assez votre sentiment.

Cela dit, je me demande () si je ne vais pas mettre bientôt sur ma liste SM au moins le début d'Ivan le Terrible (récitant, puis entrée "fracassante" de l'orchestre et des choeurs -- c'est absolument sublime... "plus inspiré et russe que ça, tu meurs" ).

Bonne nuit .

Jacques

[Jacques]

Cela dit, je me demande () si je ne vais pas mettre bientôt sur ma liste SM au moins le début d'Ivan le Terrible (récitant, puis entrée "fracassante" de l'orchestre et des choeurs -- c'est absolument sublime... "plus inspiré et russe que ça, tu meurs" ).
Jacques

Je viens de le faire (avant d'éteindre mon ordinateur pour le reste de la nuit) .

Jacques

[Jacques]

Je souhaite tout d'abord au forum, pour sa première année entière d'existence , un

JOYEUX ANNIVERSAIRE !

(j'aime bien ces petits feux d'artifice qu'on voit un peu partout )

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Puis je reviens à Prokofiev ...

S'agissant de ses 5 Concertos pour piano et de ses 9 Sonates, je trouve que les deux coffrets ci-dessous (qui figurent parmi d'autres dans ma collection) sont vraiment pas mal :



Jacques