(J'ai lancé le même fil sur un forum concurrent mais il est resté sans réponse. On va voir si j'ai plus de chances ici!...)
Hérodiade de Massenet est un somptueux et spectaculaire "Péplum" rempli à ras bord d'airs, de duos, de choeurs et d'ensembles magnifiques.
On peut s'étonner qu'une oeuvre possédant autant d'atouts pour séduire le grand public n'ait pas trouvé sa place définitive au grand répertoire, entre Aïda, Samson et Dalila et Nabucco, voire sur les scènes des arènes de Vérone, du palais Omnisport de Bercy ou du stade de France.
La raison est que lorsque deux opéras ont été écrits sur le même sujet, il y en a toujours un qui s'impose au détriment de l'autre l'autre.
Hérodiade a été dédaigneusement rejeté dans le purgatoire de l'art pompier par le Salomé de Richard Strauss, oeuvre considérée à juste titre comme autrement plus novatrice et moderne.
De plus on a toujours reproché au livret de l'opéra Massenet de traiter de façon extrèmement fantaisiste cet épisode de la Bible
C'est un mauvais procès: le livret de l'opéra de Massenet prend tellement de libertés avec les références bibliques qu'il se prête tout naturellement à une relecture "moderne" comme on les aime aujourd'hui.
Les personnages semblent tout prêts à endosser des costumes des années 1947-1948, pour nous raconter non pas l'histoire de Saint Jean Baptiste, mais celle des tractations politiques et des tensions qui ont accompagné la création de l'état d'Israël:
Des uniformes britaniques peuvent remplacer les toges romaines. Phanuel peut revenir des Etats Unis, une valise diplomatique à la main, on peut faire d'Hérode un sosie de Yasser Arafat, et d'Hérodiade son épouse Européenne. Jean peut être un gourou hippie victime du syndrome de Jérusalem, Salomé une adolescente paumée fascinée par ce charismatique gourou etc...
Les enregistrements?
Une très bonne bande radio avec Paul Finel, Suzanne Sarocca, Robert Massard et Jacques Mars dirigés par Pierre Dervaux n'a jamais été publiée par un label officiel, mais des copies pirates circulent.
Même si tous les chanteurs précités sont proches de l'idéal, elle est irrémédiablement disqualifiée par l'effroyable mezzo Lucienne Delvaux qui hurle tous ses aigus un demi ton au dessous de la note réelle.
Il existe une sélection de studio avec le même Robert Massard, toujours d'une rondeur de timbre exemplaire dans le haut médium, et l'immense mezzo oubliée Denise Scharley qui n'y chante malheureusement que son air d'entrée. Guy Chauvet a un timbre plus rugueux et monochrome et donc moins phonogénique que Paul Finel, et Michèle Le Bris perpétue hélas le mauvais style français pointu, acide et obsolète de ses devancières Fanny Heldy et Geori Boué, illustres en leur temps mais bien démodées aujourd'hui. On peut également préférer le timbre plus autoritaire et plus ferme de Jacques Mars à celui d'Adrien Legros qui évoque ici un personnage plus âgé.
On regrettera éternellement qu'EMI n'ait pas enregistré au début des années soixante une intégrale avec les artistes qu'elle avait sous contrat: Paul Finel, Régine Crespin, Rita Gorr, Ernest Blanc et Jacques Mars sous la direction de Georges Prètre. On avait tous les moyens de réaliser une intégrale définitive, qui s'imposerait probablement encore comme une référence de nos jours (comme le Samson Et Dalila avec les mêmes Rita Gorr, Georges Prètre et Ernest Blanc) mais l'oeuvre était considérée comme trop peu rentable.
On doit donc se contenter chez cet éditeur d'une trop courte sélection (publiée dans sa première édition sous la forme d'un luxueux album orné d'un tableau de Gustave Moreau) avec Albert Lance (beau timbre, mais monocorde et inexpressif) et Michel Dens (dépassé dans un rôle qui exige un grand baryton héroïque de calibre verdien, alors qu'il a pu être par ailleurs un Nathanaël de Thais très convaincant). On apprécie toujours l'étoffe sombre de la voix de Jacques Mars. Mais on se régale surtout en écoutant Régine Crespin et Rita Gorr, deux immenses divas aux voix somptueuses et aux tempéraments complémentaires, avec elle deux, l'oeuvre prend vraiment toute son ampleur et peut sans pâlir soutenir la comparaison avec Aïda de Verdi.
Ajoutons que le direction de Prètre est parfaite, équilibrée et dramatique à souhait, et la prise de son meilleure que celle beaucoup plus récente de la version Plasson chez le même éditeur.
On retrouve Ernest Blanc un peu tardivement (il n'est plus au sommet de sa voix, mais mieux vaut tard que jamais) en vedette d'un live dirigé de façon très théatrale et vivante par David Lloyd-Jones avec une distribution honorable: Muriel de Channes (soprano peu connue dont le timbre évoque celui de Martina Arroyo), Nadine Denize (un cran au dessous de Rita Gorr, mais d'un aplomb vocal appréciable tout de même) , Jean Brazzi (dont le timbre a "pris du jeu" avec les années et flotte désagréablement) et Pierre Thau sombre et autoritaire à souhait.
La version de Michel Plasson est une indiscutable "version de référence". Ben Heppner est une révélation: grande voix claire et éclatante, à la diction française parfaite, (sans les engorgements barytonnants qui ont tant fait le succès de Domingo... et fragilisé son aigu...). Sheryl Studer pouvait passer en ces années là pour la nouvelle Soprano Assoluta et on regrette que sa carrière ait fini si vite, car son timbre lumineux et son excellente diction française ont tout pour plaire.
José Van Dam est plein de charisme et de noblesse. Nadine Denize est une vraie mezzo dramatique, même si elle n'égale pas Rita Gorr, et Thomas Hampson campe un roi épicurien décadent plus que monarque autoritaire dévoré de désir. On peut le trouver parfois un peu trop chichiteux et au bord de la pamoison quand on a dans l'oreille la franchise de ton de Massard ou Blanc, (sans parler de Jean Borthayre en extraits isolés!...) mais c'est une option défendable.
L'enregistrement est rigoureusement complet, réintégrant tous les passages habituellements coupés. La direction de Plasson soignée et raffinée est un peu trop étale et contemplative. On la souhaiterait plus tendue et plus vive.
Excès inverse avec Valery Gergiev, qui dirige de façon particulièrement rapide et brutale un live rassemblant les deux stars Palcido Domingo et Renée Flemming, avec à nouveau les coupures habituelles.
Le reste de la distribution (Juan Pons, Dolora Zajick, et surtout les seconds rôles...) est vraiment exotique et parfois douloureux pour les oreilles francophones.
C'est également le cas pour un autre live avec Domingo, Agnès Baltsa, Pons, Furlanetto et Nancy Gustavson dirigés par Viotti.
Il existe d'autres lives:
avec Gilbert Py, Leona Mitchell, Grace Bumbry, Brian Schexnayder, et Jacques Mars direction Georges Prètre
avec Andréa Guiot, Guy Fouché, Mimi Aarden, Charles Cambon et Germain Ghislain direction Albert Wolff
avec Monsterrat Caballe, José Carreras, Dunja Vejzovic, Juan Pons et Enrique Serra direction Jacques Delacotte
Je ne les ai pas entendus.