En revanche je ne pense pas que la possibilité de "tout dire" soit liée avec le sentiment de modernité que l'on a en écoutant Perotin, ceci pour au moins deux raisons :
- d'abord parce que Perotin sonne de façon moderne à nos oreilles alors que ce n'est pas le cas d'autres compositeurs du Moyen-Age. Si l'on prend par exemple les oeuvres d'auteurs anonymes de ce cd Hilliard, il y a un abîme entre elles et celles de Perotin. Ou bien Machaut, qui a écrit de très belles choses d'ailleurs mais qui ne sonnent pas "modernes". Ockeghem, dont vous parliez, non plus. Celui qui me paraît le plus proche de cet esprit contemplatif quasi-minimaliste et hyper-esthétisant (je sais que ces qualificatifs ne vous plairont pas
) c'est Josquin dans ses Motets à la Vierge. Mais ce côté moderne me semble plus radical encore chez Perotin : il y a dans son esthétique conçue à une époque où les préoccupations quotidiennes étaient sans lien avec les nôtres,
quelque-chose qui nous semble éminemment actuel aujourd'hui. Musicalement je ne me l'explique pas : cela vient sans doute de ce phénomène de miroitement que vous décriviez, et de cet étirement des valeurs rythmiques (?).
- Ensuite parce qu'aujourd'hui on ne peut pas "tout dire", justement, et que l'oeuvre de Perotin cadre avec un certain courant esthétique linéaire-minimaliste qui n'existe d'ailleurs pas qu'en musique. Aujourd'hui il est à peu près exclu d'écrire quelque-chose dans le style galant ou le baroque de cour, et assez mal vu de faire du romantisme. Ce sont des styles historiquement marqués, et celui de Perotin ne l'est bizarrement pas du tout.