La maison de production Focus Features vient d'acheter les droits du livre de Michael Veal intitulé Fela : the life and times of an African musical icon. Un film biographique consacré à Fela est donc en préparation. Ca promet parce que la vie, et la mort, de Fela fut mouvementée.
Fela appartenait à la bourgeoisie intellectuelle de Lagos. Son grand-père fut le premier premier pasteur noir de Lagos, je crois. (Le prix Nobel de littérature Wole Soyinka, qui est le cousin germain de Fela, en parle un peu dans son livre Aké, les souvenirs d'enfance. Wole Soyinka s'est aussi beaucoup opposé à la junte nigériane et fut contraint à l'exil après avoir été condamné à mort. Il est l'inventeur du concept de tigritude, en opposition à la négritude de Senghor. "Un tigre ne proclame pas sa tigritude. Il bondit sur sa proie et la dévore".)
Le grand-père de Fela, disais-je, fut le premier nigérian à enregistrer de la musique, des chants religieux dans sa cathédrale.
Fela, né Fela Hildegart Ransome, a été élevé par un père pasteur et pianiste et une mère activiste politique, amie de Nkumah et maoïste. Elle fut une des créatrices du premier syndicat nigérian et de l'union des femmes nigérianes, visant notamment à obtenir le droit de vote des femmes dans les années cinquante. Elle fut accessoirement la première nigériane à obtenir le permis de conduire.
A vingt ans Fela part étudier la médecine en Angleterre, mais bifurque très vite vers des études musicales au Trinity College of Music. Il écoute beaucoup de jazz et rentre au Nigéria où il crée son propre groupe. Lors d'une tournée aux États-Unis en 1969 il rencontre Sandra Smith, militante des Black Panthers. De retour au Nigéria, il se tourne vers l'animisme Yoruba et adopte son surnom Anikulapo — celui qui porte la mort dans sa gibecière — Kuti — qui ne peut être tué par la main de l'homme.
Il invente alors son nouveau style musical, l'Afro-beat. Des morceaux souvent très longs, sur lesquels il joue du saxophone, sur un fond de percussions lancinantes.
En pleine guerre du Bifra, il crée la Kalakuta Republic. Cette communauté ne reconnait pas le pouvoir militaire, ce qui est évidemment intolérable. L'armée investit le quartier, la mère de Fela meurt après avoir été défenestrée. Fela porte plainte, procès qui ne donnera rien, les soldats ayant été déclarés inconnus au bataillon, d'où l'un de ses premiers tubes, Unknown soldier.
Fela poursuit ensuite sa carrière, faite de musique, de dénociation du népotisme et de la corruption et d'excès divers, vie entrecoupée de longs passages en prison. Il vit entouré de ses vingt-sept femmes en buvant et fumant une quantité de marijuana incroyable.
Il se présente notamment à l'élection présidentielle. Il dénonce le rôle des multinationales en Afrique, notamment dans sa chanson ITT : International Thief Thief. Cette longue chanson évoque les magouilles et la corruption des dirigeants de ITT. Le plus savoureux est que le dirigeant de ITT à l'époque était Moshood Abiola. Ce dernier fut le vainqueur civil de l'élection présidentielle de 1993. Il a été mis en prison dès le résultat des élections proclamé, après un coup d'état du général Babangida.
Il est mort le 3 août 1997, à 58 ans, du sida. Un film consacré à sa vie a déjà été tourné de son vivant, The black président, film réalisé par Ekow Oduro.
Vous pouvez le voir ici dans son traditionnel costume de scène, le slip kangourou, entouré de ses nombreuses femmes.