Bonjour,
Je ne sais pas si quelqu'un d'autre sur ce forum a lu l'autobiographie de Michael Gielen parue en 2005. C'est vrai qu'elle est écrit en allemand et il ne semble pas avoir de traduction française ou anglaise (au moins je n'ai rien trouvé sur amazon), mais sachant que les bi-, tri- et multilingues pullulent ici, il y a probablement d'autres qui connaissent ce livre.
Michael Gielen raconte donc sa vie, de son enfance à Dresde (où il est né en 1927 même s'il semble aujourd'hui être autrichien) et Vienne et sa jeunesse à Buenos Aires en passant par ses années de galère à Stockholm et Bruxelles jusqu'à l'apogée à Francfort 1977-1987 et l'épilogue à Baden-Baden de 1987 à 1999.
La première chose qu'on peut y apprendre (si besoin en est), c'est que naître dans une bonne famille, ça aide. Le père Josef Gielen était metteur en scène de théâtre, et pas un des moindres à en croire le livre (il a crée Arabella et La Femme Siléncieuse et était directeur du Burgtheater de Vienne après la guerre). La mère Rosa Gielen née Steuermann est la soeur d'Eduard Steuermann, éleve de Schönberg qui a crée le concerto pour piano de ce dernier. Elle est aussi la soeur de Salka Steuermann-Viertel qui tenait un salon des émigrants à Hollywood que fréquentaient Schönberg, Mann et Brecht et qui est devenu plus tard la belle-mère de Deborah Kerr !
Le jeune Gielen baigne donc dès le début dans une ambiance de théâtre et de musique (sa mère est comédienne). Il décroche un premier poste de répétiteur au Teatro Colon ou travaille son père (ainsi que Kleiber père et Fritz Busch) et travaille plus tard dans la même fonction au Staatsoper de Vienne pendant la grande époque des années 50. Les chanteurs rencontrés pendant ce temps (Jurinac & Cie) sont restés des modèles pour Gielen. Il occupe après des postes de chef dans des institutions moins préstigieuses, à l'opéra de Stockholm et à l'orchestre national de Bruxelles.
On se rend compte combien le travail de Gielen avant Francfort est peu connu et mal documenté. Qui sait qu'il a dirigé à Aix au début des années 60 ? Qu'il a dirigé vers 1965 un Ring à Cologne, avec Varnay en Brünnhilde ? Qu'il a travaillé à Stockholm avec Bergman pour une mise en scène d'Oedipus Rex de Stravinski (qui est venu, of course) ?
En ce qui concerne Francfort, Gielen regrette que la télévision n'a enregistré aucune de "ses" productions. Moi je suis arrivé à Francfort quand Gielen est partie, en 1989, et j'ai vu une seule production de Gielen - qui était curieusement sa première production de 1977, le Don Giovanni par Hans Hollmann (pas inoubliable, à mon avis). On apprend aussi qu'il a monté très peu de créations (une seule ?) - lui et son équipe ont préfére des oeuvres de "transition" comme Die Gezeichneten de Schreker (qui a d'ailleurs son propre chapitre dans le bouquin).
Gielen est allé à Baden-Baden pour diriger l'orchestre de la SWF/SWR en partie pour documenter son travail. En effet la majeure partie de sa discographie a été enregistré pendant ce temps, donc très tard. Il y a une liste complète à la fin du livre. Vu que Gielen a beaucoup travaillé pour la radio, il y a sans doute beaucoup de bandes de concerts non publiés qui pourraient sortir un jour - la discographie a donc une valeur relative.
En lisant le livre, on se rend compte que Gielen est un Kapellmeister à l'ancienne avant tout. On apprend avec surprise qu'il est entre autres parti de Francfort parce que la mise en scène était pour lui devenu trop importante par rapport à la musique. Il s'inscrit aussi dans la droite lignée de l'avant-garde sérielle, pas sans une certaine raideur intellectuelle. Pour lui le plus grand compositeur du 20e siècle est Schönberg. Il parle à la fin de "compositeurs régressifs" d'aujourd'hui avec resignation. Il y a un chapitre sur ses propres compositions qui sinon ne prennent pas une très grande place dans le livre.
Comme toute autobiographie celle-ci comporte son lot d'anecdotes pittoresques (comme celle d'Adorno qui drague la fiancée de Gielen). Elle se lit très bien, Gielen pratique un style d'écriture sec et direct. Malheureusement le livre n'a manifestement pas profité d'une relecture finale: Il y a beaucoup de fautes d'allemand.
Jürgen