Bonjour.
Voici quelques messages, pris dans le fil sur Ravel, où il est question de parutions dans une collection "Naxos patrimoine". Pour celles et ceux qui auraient raté cette série, elle était consacrée à quelques musiciens Français quelque peu oubliés, mais dont les œuvres méritaient d'être sorties de l'oubli.
Il est à noter que ces disques, épuisés pour la plupart, se trouvent parfois encore dans leur édition internationale. C'étaient alors des parutions au prix fort de chez... Marco Polo (cette dernière entité étant la maison-mère de Naxos, souvenez-vous). Maintenant que les prix Marco Polo sont revenus à 8 ou 9 euros, il n'est plus de raisons de ne pas en profiter.
Je laisse la parole à Jacques et aux autres pour vous parler des premières parutions...
mah
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Comme il est peu probable qu'il soit encore beaucoup question de Maurice Emmanuel, j'introduis ici, en ce qui le concerne, une nouvelle digression .
Ravel, qui était d'une nature ouverte et tolérante, voudra bien me le pardonner du haut du "paradis des musiciens" (c'est d'ailleurs en lisant des ouvrages sur lui, lorsque j'étais tout jeune, que je tombais sur quantité de noms de compositeurs dont je me désolais, à l'époque, de ne pas pouvoir entendre facilement les oeuvres).
Il y a une quinzaine d'années, grâce à Naxos qui avait lancé sa formidable collection "Patrimoine", tout un pan de la musique symphonique française méconnue m'a été révélé presque d'un seul coup. Au travers de 15 volumes que j'ai achetés dans l'enthousiasme, consacrés respectivement : à Louis Aubert, à Lili Boulanger, à Alfred Bruneau, aux cantates inédites du concours de Rome (Caplet, Debussy et Ravel), à Maurice Emmanuel, à Raphaël Fumet, à Jacques Ibert, à Vincent d'Indy, à Charles Koechlin, à Sylvio Lazzari, à Paul Le Flem, à Henri Rabaud, à Jean Roger-Ducasse (2 volumes) et à Joseph-Guy Ropartz.
L'album correspondant à Maurice Emmanuel se présente ainsi :
Son livret contient en outre un beau texte de Jean Gallois, que je reproduis intégralement ci-dessous :
"Né à Bar-sur-Aube (Champagne) en 1862, Emmanuel vint très jeune à Beaune (Bourgogne), où il écoutait avec plaisir les chansons des vignerons. En 1880, il entre au Conservatoire de Paris où il fut le condisciple de Claude Debussy. Mais sa volonté d'étendre ses connaissances lui fit étudier les lettres gréco-latines et l'amena à soutenir une thèse sur La Danse Grecque Antique. Maître de chapelle en la Basilique Sainte-Clotilde de Paris de 1904 à 1907, il succéda ensuite à Bourgault-Ducoudray comme professeur d'histoire de la modalité, qu'elle fût grecque ancienne, ecclésiastique ou populaire - et même exotique.
Son bagage de compositeur : de nombreuses pièces instrumentales et vocales - six œuvres symphoniques - deux tragédies lyriques d'après Eschyle : Prométhée enchaîné, Salamine - une comédie musicale d'après Plaute : Amphitryon.
Voilà un disque important, et pour au moins trois raisons. D'abord parce que Maurice Emmanuel est un grand nom de la musique française, qu'il a fortement marqué de son empreinte et de son style. Cet homme de haute culture a su en effet rénover l'écriture traditionnelle issue des Romantiques et de Franck, en insufflant dans son discours une féconde sève populaire, une rythmique franche et libre, une couleur modale qui devance d'une génération les recherches d'un Migot ou d'un Messiasn. Ensuite, parce qu'il répare une injustice. En dépit de ses immenses qualités - ou peut-être à cause d'elles que certains jalousent secrètement -, Maurice Emmanuel apparaît comme un des compositeurs les plus injustement, les plus scandaleusement délaissés de notre école. Sous prétexte qu'il avait écrit de savants ouvrages sur L'Orchestique Grecque (1895), l'Histoire de la Langue Musicale (1911-1928) ou l'Accompagnement Modal des Psaumes (1913), on le rangea parmi les docteurs, respectés - de loin - pour n'avoir point à les lire. C'était oublier que ce familier de l'Antiquité avait bataillé pour rétablir César Franck ou défendit le Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, son condisciple chez Guiraud. C'était oublier qu'il fut le premier en France à s'intéresser à l'histoire de la musique observée sous l'angle du langage. C'était oublier surtout que cet érudit restait, avant tout, un musicien, aussi sensible qu'ouvert aux recherches de son temps, un compositeur dont la vitalité sans cesse renouvelée s'accompagne d'une puissante force évocatrice (ainsi dans son opéra Salamine, il oppose aux modes "barbares" de fa et de ré le mode de mi, grec par excellence; ainsi, sa 4e Sonatine pour piano est-elle bâtie sur des modes hindous). S'il a finalement assez peu composé - par pudeur, par souci d'atteindre à la plus enviable perfection - Maurice Emmanuel laisse en revanche une œuvre d'une qualité sans faille et d'une rare noblesse. En témoignent suffisamment les trois ouvrages enregistrés ici - ce qui constitue bien la troisième marque d'inportance de ce disque.
Ecrite pour grand orchestre et dédiée "A Gabriel Pierné", la Première Symphonie, en La, op. 18, date de 1919 : Maurice Emmanuel a donc attendu 57 ans avant d'aborder cette forme musicale. Or s'il s'y soumet, c'est en la renouvelant de fond en comble. Car son œuvre - admirable et d'une rare émotion dominée - ne ressort ni de la forme traditionnelle - bien que formée de trois mouvements et soumise à des évidentes symétries - ni de la forme cyclique - bien que le rappel de certains thèmes en souligne l'architecture et le relief - ni à la liberté discursive du "poème symphonique" - bien qu'elle "exprime, disait l'auteur lui-même, les sentiments d'un jeune combattant, conduit de la paix et de la joie aux rudes mêlées où il trouve la mort". En fait, elle relève de tous ces genres à la fois. Ce qui la rend éminemment personnelle. Et attachante.
Après la sérénité des 26 premières mesures, Tranquille molto, l'Allegro leggiero e giocoso liminaire se bâtit essentiellement sur des cellules motiviques plus que sur de véritables "thèmes", ce qui permet des développements plus libres, une création continue de mélodies et de rythmes. Tout embué de mélancolie, que souligne la belle phrase confiée aux altos puis aux violoncelles et violons, l'Adagio molto s'articule en trois sections de type A-B-A, tandis qu'éclate dans l'Allegro con fuoco final, au "rythme de charge", l'âpreté d'un combat se terminant par la mort du jeune aviateur. Alors, élevant le débat, Maurice Emmanuel conclut dans une atmosphère de paix résignée où, de nouveau, s'élève la supplique si poétique des altos. Le cercle se referme...
La Deuxième Symphonie opus 25, également en La, suit la précédente de onze années. Dédiée "à Paul Paray" (qui en assura la création le 27 janvier 1935 aux Concerts Colonne), elle relève davantage de la "symphonie à programme" (type "Fantastique" de Berlioz), l'auteur en ayant esquissé lui-même l'argument d'ailleurs facultatif : "ad libitum"). Ici, la grande originalité réside dans l'emploi très libre de thèmes populaires, tels que par exemple la mélodie du hautbois dans le premier mouvement reproduisant une complainte chantée par un aveugle au Pardon de Combrit en 1928 ou, dans le dernier volet, celui de la "Dérobée" entendue à Lannion dès 1890. C'est que Maurice Emmanuel a toujours éprouvé une grande tendresse pour la Bretagne (en 1890, il lui dédiait un "poème symphonique" détruit par la suite, mais dont certains éléments survivent dans l'opus 25). L'Allegro initial dépeint ainsi le roi Grallon fuyant sa ville dont les écluses ont été ouvertes : trois motifs bien caractéristiques dépeignent la scène : tumulte des eaux, force de caractère du vieux roi, tendresses et mélancolie devant le navrant spectacle. Dans le Scherzando suivant, l'auteur évoque Dahut, la fille de Grallon, qui ouvrit les écluses (on songe ici au Roi d'Ys de Lalo), et qui, devenue Sirène, confie son chant à la flûte sur fond d'archets. Troisième mouvement : Andante malinconico. C'est la tristesse de Grallon trouvant en la forêt de Kranou un bref remède à sa souffrance. Et ce remède semble bien préluder à l'action : l'Allegro con spirito final mêle en effet en son Soir de Pardon à Rumengol, de somptueuses danceries populaires, qu'un orchestre vivant et vibrant pare de sompteuses couleurs - tandis qu'apparaît en surimpression l'hymne de morts en mer...
De la même encre, le somptueux Poème du Rhône ("Lou Pouèmo deu Rose" d'après Mistral, mêlant, comme l'opus 25, impressionnisme et musique pure, généreux lyrisme et poésie populaire, le tout restant soumis à une étonnante éloquence. La musique suit, résume, les XII Chants du roman dont voici brièvement l'argument : sur le fleuve enveloppé de brume matinale (Presque lent), sept barques s'ébranlent pour la "descize" (descente) vers Beaucaire (Allegro). Rires, chansons populaires. Au confluent l'Ardèche, montent le prince Guilhem d'Orange et une jeune paysanne, l'Anglore, qui le prend - tant il est beau - pour le Drac, l'Esprit du Fleuve. La seconde partie fait revivre la foire de Beaucaire - avec danses et chants folkloriques - tandis que la troisième relate le difficile "remonte". Un bourdonnement rythmique saccadé : c'est le vapeur qui va provoquer la catastrophe en éperonnant la barque de Maître Apian, en précipitant Guilhe et Anglore enlacés dans les flots, alors que la Nature, étrangère au drame, apparaît éternelle en son silence, impassible... Rude Leçon..."
Jacques