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Discussion: Vladimir DESHEVOV (1889-1955)

  1. #1
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    Vladimir DESHEVOV (1889-1955)

    http://classiqueinfo-disque.com/spip...php?article680

    En complément de cette critique de l'opéra de Deshevov, La Glace et l'Acier, je pense qu'il est utile de donner quelques informations complémentaires.

    Il a déjà été question de Deshevov sur le fil Train du plaisir où Mah70 avait présenté une video de la pièce Rails:
    Ici

  2. #2
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    J'avais été surpris de constater qu'il existait une version avec orchestre (qui semble bien être l'originale) et j'ai appris depuis que cette petite pièce était une bribe de la musique de scène d'un drame industriel de Paparigopoulo dont le succès a poussé Deshevov a publier une version pour piano, seule connue durant des années.
    D'ailleurs la version de YouTube date de novembre 2008 semble-t-il:
    Big Concert Hall of the Composers Union, 16.10.2008
    Studio for New Music ensemble
    Conductor Igor Dronov
    Preuve que quelqu'un est allé fouiller les archives des théâtres...
    Avant la publication du spectacle de Sarrebrück, je ne pensais pas non plus que tout le matériel d'orchestre de La Glace et l'Acier existait encore (apparemment conservé dans les archives du théâtre Steinberg et Nemirovich-Danchenko)


    Rails était jusqu'alors la seule pièce de Deshevov au disque sous sa forme de morceau pour piano. Je la connaissais pas la réédition BMG (de masters Melodya) dans la collection Musica non Grata, par Oleg Malov -le même qui entreprit une intégrale de la musique confidentielle d'Ustvolskaya après 1952.
    Je ne pensais pas que j'entendrai un jour autre chose de Deshevov.


    Dernière modification par sud273 ; 16/04/2009 à 22h57.

  3. #3
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    C'est pénible cette règle des 7 minutes pour éditer: on ne peut rien corriger, ça ne peut donner qu'un travail tout salopé.

    La version de Rails pour piano, par Anton Batagov présentée plus haut n'est sans doute pas la meilleure mais elle offre l'avantage d'une certaine clarté. Ces présentation d'Hexameron sur YouTube sont particulièrement intéressantes puisqu'on peut lire le texte en même temps. J'y ai déjà eu recours à propos de la sonate de Boris Pasternak

    je n'avais pas précisé à l'époque que cette sonate de Pasternak datait de 1909 (il avait 19 ans et décidait peu après de renoncer à la musique), et s'inscrit parmi les morceaux précurseurs de l'avant-garde russe, dans la descendance de Scriabine. On peut mesurer le chemin parcouru par rapport au classicisme des contemporains (Taneyev, Lyadov).

    Mais revenons à Rails. La partition est particulièrement intéressante à observer dans son économie. Elle est typique aussi du style de Deshevov avec ses changements d'octaves -croisements de mains parfois lorsque l'ostinato se situe plus haut sur le clavier bien que ce soit écrit pour tomber avec facilité sous les doigts-.

  4. #4
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    Rails est devenu un symbole de la musique soviétique des années 20, où l'on s'aperçoit que Mosolov n'était pas le seul représentant du courant "machiniste" et industriel. Rails date d'avant les Fonderies d'Acier, mais dès les Meditations de l'opus 3 (1921) on s'aperçoit que Deshevov possédait ces caractéristiques qu'on attribue à Mosolov, et qui dérivent en fait autant du Stravinsky du Sacre que de Prokofiev (Suite Scythe), d'Honegger ou Milhaud.

    Il n'y a pas d'importance à se demander qui fut le premier: dans le cas de Deshevov, l'exemple de Roslavets a été également fructueux, il s'est très tôt intéressé à l'atonalité (comme Lourié et Wychnegradsky). Ce qui est fascinant c'est à quel point sa musique complètement oubliée a marqué son temps et comment en la découvrant on s'aperçoit qu'il en traîne des pans entiers dans la mémoire de ses contemporains qui ont eu plus de chance, et moins de prudence parfois. Elle se situe au point charnière où de la liberté la plus débridée, la musique soviétique va sombrer dans le conformisme (à peu près à la même période où l'avant-garde allemande subit un sort comparable).

  5. #5
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    Pour avoir une idée de ce dont il est question, voici le trailer officiel du Dvd Arthaus de La Glace et l'Acier présentant le spectacle de l'opéra de Sarrebrück



    Le livret accompagnant le Dvd (avec partie en français) est consultable à cette adresse:
    http://zoom-production.org/media/500...baac144233.pdf

  6. #6
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    Et un extrait du spectacle, apparemment filmé depuis la salle, dans un cadrage différent de ce qu'on voit au disque: on entend au début de cet extrait le "thème de Kronstadt" qui encadre de façon obsessionnelle l'acte 3, et ressemble par sa structure à de nombreux thèmes de Chostakovich


  7. #7
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    Waouh ! Un petit clic sur www.Amazonie.j'achète-illico.com !

    Merci !

  8. #8
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    Citation Envoyé par thierry h Voir le message
    Waouh ! Un petit clic sur www.Amazonie.j'achète-illico.com !
    Merci !
    Je crois bien que je vais en faire de même (commande imminente) .

    Hier, en fin de journée, j'étais à la F*** et suis resté longtemps à passer en revue, au rayon "classique", notamment les DVDs qu'on y trouve. Beaucoup de choses intéressantes, certes, mais rien qui me "branchait" (il faut dire que j'en ai déjà pas mal) : surtout des parutions dont on est sûr qu'elles "se vendront bien", comme toujours...

    Si j'étais tombé sur le DVD signalé par Sud (l'opéra La Glace et l'Acier, de Deshevov), il n'est pas certain que je l'aurais acheté, faute d'information suffisante sur l'oeuvre et le compositeur. Mais il m'aurait probablement "tapé dans l'oeil" .

    Maintenant que j'en sais bien davantage, grâce à tous les renseignements et exemples qu'il a fournis, je vais donc franchir le pas (si ce DVD s'était trouvé à la F***, j'y serais d'ailleurs retourné aujourd'hui même). Surtout que je ne connais pour l'instant, en fait d'opéra russe remontant à l'époque concernée, que la célèbre Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch (de cet opéra, j'ai la version Rostropovitch parue chez EMI -- j'ai bien sûr aussi Guerre et Paix de Prokofiev, mais c'est postérieur et tout différent).

    Une bien belle découverte à faire, en tout cas

    Jacques

    PS : moi aussi je regrette cette réduction à 7 minutes de la faculté de corriger ses messages; car elle peut dissuader la rédaction de textes approfondis (ce qui, s'agissant de musiques encore peu connues, est souvent nécessaire et tout à l'honneur de ceux qui s'y appliquent).




    Ah mais nous avons été attentifs à cette remarque puisque le temps d'édition est maintenant redevenu de 30 minutes
    Edit Phil

  9. #9
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    Merci, Philippe .

    Je crois que c'est un bon "compromis" entre deux extrêmes. Lorsque c'était une heure, il m'était arrivé de modifier très tard l'un de mes messages, et cela avant de voir que quelqu'un l'avait déjà commenté . Ce qui, je l'admets, était un risque à éviter autant que possible (c'est en tout cas ainsi que j'avais compris le précédent changement, tout en le trouvant quand même un peu sévère) .

    Jacques

  10. #10
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    Sur mon compte SM il y a depuis peu de temps les Joueurs de Chosta... Je peux y mettre également le Nez si ça vous dit ? Mais je ferme la boutique pendant 15 jours pour aller faire des calins aux vautours pyrénéens... Donc d'ici là vous pouvez vous procurer ces deux oeuvres chez Mélodiya ( et c'est Rojdestvensky qui s'y colle ! )


  11. #11
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    Merci pour ces infos, Thierry .

    J'irai bientôt écouter ce que vous avez déjà mis de Chosta sur votre compte SM.

    D'ores et déjà je vous souhaite un excellent séjour dans les Pyrénées . Et présentez mes amitiés aux vautours, si vous en rencontrez (mais attention : ils sont très farouches, à ce que je crois savoir) .

    Jacques

  12. #12
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    On dirait que Rails a gagné ses galons de pièce pédagogique incontournable. On trouve sur youtube plusieurs nouvelles versions -piano seul- de la petite minute 20.
    Dans cette première video l'intérêt principal est le complément, le pianiste ayant enregistré quatre des Méditations opus 3 dot il n'existait jusqu'ici que des versions midi... (Sa lecture de Rails relève du déchiffrage mais on perçoit des choses intéressantes quand même regardant la structure de la section centrale:
    Meditations, Op. 3 (1921)
    II. Lento con tristezza - Tempo recitativo
    IV. Risoluto
    V. Andante con moto
    VI. Quasi allegretto stravagante

    Ce monsieur "turboturbante" devrait s'identifier qu'on lui envoie la partition du scherzo opus 6 et de la Ballade toujours inédites au disque. Le reste de ses apports sur Youtube contient des choses intéressantes comme la sifonia robusta de Tischenko, la magnifique sinfonietta pour cordes de Knipper (la 4ème symphonie du même) et quelques autres raretés de Boris Tchaïkovsky).

    ici, un grand pianiste dans la même chose


    Tiens je m'aperçois en consultant mes archives que je ne vous ai pas saoulé avec la biographie de Deshevov et la reconstitution de son catalogue...

  13. #13
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    Citation Envoyé par Fred Audin Voir le message
    Tiens je m'aperçois en consultant mes archives que je ne vous ai pas saoulé avec la biographie de Deshevov et la reconstitution de son catalogue...
    Mais nous ne demandons pas mieux! Expliquez-nous ce qu'il en est de ce catalogue.

  14. #14
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    Utiliser cette brave Aralé Norimaki pour illustrer un morceau de Deshevov il fallait y penser !

    Voici ce qu'on peut lire sur lui dans l'ouvrage de Frans C. Lemaire : La musique du XXème siècle en Russie et dans les anciennes Républiques soviétiques (Fayard, p.389) :

    Après des études au Conservatoire de Saint-Pétersbourg (1908-1914), Dechevov servit dans l'armée jusqu'à la Révolution. Il gravit ensuite rapidement les échelons de diverses organisations nouvelles de musique pour le peuple, fondant notamment un Conservatoire populaire à Sébastopol, puis le réseau d'éducation musicale en Ukraine, avant de devenir de 1922 à 1933 directeur de la musique pour les théâtres de Leningrad.

    Quoique membre du Proletkult et non de l'AMC (Association pour la musique contemporaine), il écrivit des pièces de piano proches de Roslavets et de Prokofiev, dont Rails, sorte de pendant constructiviste de Fonderie d'acier de Mossolov. C'est lui aussi qui composa le ballet Tourbillon rouge (1924) cité comme premier exemple d'utilisation chorégraphique d'un sujet post-révolutionnaire. Populaire et varié (la danse s'y mêle aux acrobaties, la musique à la chanson de cabaret), ce spectacle fut mal reçu par la critique. Plus ambitieux, son opéra Acier et glace, créé en mai 1930, fut un des premiers à mettre en scène un évènement contemporain, la mutinerie de Kronstadt de 1921. Considéré par Darius Milhaud comme un des talents les plus prometteurs de la jeune génération, Dechevov se convertit par la suite au réalisme socialiste et composa à la chaîne plus de cent musiques pour le théâtre et le cinéma.
    Dernière modification par Erwan ; 21/12/2010 à 22h50.

  15. #15
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    Dans ce cas (et avec toutes mes confuses si jamais je me répète, car Alzheimer me guette) voici les éléments que j'avais pu relever dans divers articles russes (automatically translated in english):

    Liste des oeuvres

    Avant 1908 : composition d’un ballet sur le thème de Till Eulenspiegel (inachevé et perdu)
    1913- Etude pour piano opus 1 (jouée à l’occasion d’un concert du chanteur Zabeli-Vrubel)
    1919 ?- Deux sonates pour piano en un mouvement (non publiées)
    1921- Méditations opus 3, sept impressions (miniatures pour piano)
    1919-1922 ?- Poème symphonique « Bolcheviks » opus 8 manuscrit perdu (titré 1918 des fragments sont exécutés en 1919, l’œuvre est recyclée dans le deuxième acte du ballet La Tornade Rouge)
    1922- Scherzo pour piano opus 6- Ballade pour piano opus 7 (publication 1928)
    1924- Œdipe-Roi, musique incidentale pour la pièce de Sophocole pour soliste chœur et orchestre.
    1924- La Tornade rouge, ballet de Lopukhov
    1925- Djebella, ballet
    1926- Suite exotique opus 13 (l’Ile de Pago-Pago et Mariage, deux numéros pour la pièce
    -anti-colonialiste- Rain d’après la nouvelle de Somerset-Maugham)
    1926- Rails, musique incidentale pour le drame de Paparigopoulo, dont est extrait la pièce pour piano Rails opus 16 (1’18)
    1926-Suite chinoise opus 12 (tirée de la musique incidentale du drame Chang Gajtang)
    1927-Japanese suite opus 15 (musique incidentale pour Ode Nobunago d’Okamoto Kido)
    1927- Suite de concert tirée des ballets La Tornade rouge et Djebella
    1927- Prélude et Toccata (pour orchestre) ?
    1927- Le conjuré de Bagdad (The Baghdad conjurer) opérette
    1928- La colline accueillante, opérette (The amicable Hill)
    1929- La Glace et l’acier opus 24, opéra
    1929- Etude ? (pour orchestre ?)
    1930- La poste, musique pour le film d’animation tirée du poème de Marshak
    1930- Le début (The beginning-Dcherang) ballet
    1931- La steppe affamée (The hungry Steppe) opéra (inachevé ?2 actes complets)
    1930-31- Plyas le shaman, opus 25 poème symphonique
    1931- Samarkand suite op 26 (tirée de l’opéra La steppe affamée?)
    1936- Gulliver chez les Lilliputiens (musique incidentale pour le théâtre de marionnettes)
    1947- Conte de fées russe, poème symphonique
    1947-49 ?- Bella, ballet
    1949- Conte de la Tzarine morte et des 7 bogatyrs (en collaboration avec Lyadov ?)
    1950- Ouverture Russe
    1953- Leningrad, poème symphonique
    Musiques de radio et de cinéma, entre autre pour les films « Fragments d’empire » « Purgatoire » « L’academicien Pavlov » « Le serviteur de deux maîtres »



    Vladimir Mykhailovich Deshevov est né le 11 février 1889 à Saint-Petersbourg dans une famille aisée. On prête à son père, ingénieur, habitué des concerts, instruit en dilettante dans la théorie de la musique, et facteur d’orgue amateur, l’invention du microphone. Sa mère, Ana Konstantinovna Losev, fille d’un cannonier qui avait voyagé avec Gontcharov sur la frégate Pallas, chantait des mélodies dans les salons, et sa grand-mère maternelle, pianiste d’exception, fut à l’origine de sa vocation musicale, lui apprenant à noter les morceaux qu’il improvisait dès l’âge de cinq ans.
    En 1898, (son père mourut deux ans plus tard) la famille s’installa à Tsaskoye Selo (Pushkino) où Deshevov fréquenta les meilleurs écoles impériales, hésitant à entrer à l’école des Mines, par suite de sa réussite dans les matières scientifiques.
    Condisciple de Nikolai Gumilev (poète qui devriendrait le premier mari d’Ana Akhmatova) il fréquenta avec lui le cercle de l’Amirauté, réuni autour de la famille Arensov qui habitait un pavillon proche du Palais Impérial. Une anecdote veut qu’à la demande de Gumilev il eût exécuté une fresque représentant le monde sous-marin où Ana Akhmatova apparaissait sous les traits d’une sirène.
    Jouissant d’une réputation d’enfant prodige, il reçut ses premiers cours de solfège et de théorie du compositeur A. Pashchenko et s’installa l’été à Pavlosk entre 1906 et 1908 pour se rapprocher de la vie musicale et assister aux concerts symphoniques. Ses amis lui ayant offert un abonnement, il fit en 1908 le voyage de Bayreuth, avant d’entrer au conservatoire de Petersburg, dans la double spécialité de piano et composition.

    Pour le piano, il fut l’élève de Leonid Nikolaiev en cycle supérieur, pour le contrepoint de Kalafat, de Liadov et Steinberg pour la composition, d’Alexandre Gauk pour la direction d’orchestre (Chostakovich passera dix ans plus tard par les mêmes classes). Remarqué par Glazounov, déjà directeur du conservatoire, il eut pour condisciple Prokofiev (et donc Miaskovsky) dont la musique –il composait alors entre autre son deuxième opéra Ondine- semble l’avoir durablement marqué, et avec qui il entretint longtemps des relations amicales comme le montre une correspondance suivie durant l’été1913, alors que Prokofiev voyageait en Europe avec sa mère.
    Ainsi en juillet 1913, Deshevov écrit :
    « j’ai entendu à Pavlovsk la 2ème symphonie de Miaskovsky. Musique très bien faite, avec des moments prenants : le début de la deuxième partie est parfait et d’une haute inspiration. Peut-être y faudrait-il un peu plus de variétés dans les rythmiques… »
    C’est déjà à cet élément que Deshevov s’intéresse de façon prioritaire. Sa première œuvre est exécutée publiquement à Petersbourg lors d’un concert du chanteur Zabely-Vrubel, une étude pour piano opus 1.

    Diplomé en 1914, il est enrôlé dans l’armée dès le 30 juillet, et la révolution de 1917 le surprend sur le front. Avec la désintégration de l’armée régulière, il retourne à des activités musicales, participant à la création de diverses écoles de musiques populaires, à Elisabethgrad (où il enseigne le piano et la théorie) puis en 1920 à Sébastopol, où il reprend des activités de concertiste. C’est là qu’il rencontre et enseigne la composition à Konstantin K. Saradzhev (1900-1942), personnalité unique, qui voit les couleurs des sons et des gens. Ils établissent conjointement une table de couleurs-résonnances qui prolongent les théories de Rimsky et Scriabine. En Novembre, quand les armées blanches quittent la Crimée (avec le départ du gouvernement de la Russie du Sud du général Vrangel), il met sur pied le projet d’un conservatoire national de Sébastopol, qu’il dirige à partir de janvier 1921 et dont le but est de permettre à tous de pratiquer la musique et de donner au peuple les moyens d’exercer leur talent artistique. Ces beaux projets cèdent assez rapidement devant la ruine et la famine, et, après un détour par le conservatoire de Kharkov, en Octobre 1922, Deshevov est de retour à Petrograd, avec la ferme intention de faire carrière au théâtre.

    Sur la recommandation d’Asafiev, Deshevov reçoit en 1924 la commande de la musique de scène d’Œdipe-Roi de Sophocle, pour le Théâtre Académique (aujourd’hui Théâtre Pushkin). La pièce est condamnée après la cinquième représentation, partiellement parce qu’un drame de la fatalité dans une époque lointaine n’est pas « conforme » selon la critique à ce qu’on attend du théâtre, mais aussi parce qu’on juge que la pièce s’est trop rapporchée de l’opéra ou de l’oratorio, Deshevov ayant mis en musique toute la partie du Chœur, sur laquelle viennent se greffer des parties dansées et chantées des protagonistes.
    La même année il compose (en partie du moins, car il semble que la musique du ballet original de Lopukhov contienne des fragments de Stravinsky et de Chostakovich) La Tornade Rouge, où il recycle son poème symphonique « 1918 » (titré Bolcheviques lorsque des fragments en sont exécutées en 1919). La critique dénonce un livret psychologisant et prétentieux, une mauvaise chorégraphie, et « une partition d’apparence complexe qui ne sonne pas ». Il faudra attendre la suite d’orchestre de 1927 pour que la réception change complètement.

    Le deuxième ballet de Deshevov lui succède immédiatement : Djebella traite de la colonisation en Afrique et au Maroc, mais à cause du livret « politiquement erroné » de S.Radlova et A.Piotrovsky il n’arrive pas jusqu’à la scène. La suite d’orchestre qui en est tirée deux ans plus tard connaîtra elle aussi un grand succès : « couleurs orchestrales brillantes, pittoresque, rythmiques originales » (A Rimsky-Korsakov) selon la critique qui y décèle une parenté avec la musique française contemporaine.
    Et en effet quand Milhaud vient à Moscou en 1926, c’est Deshevov qui lui paraît le plus intéressant des musiciens de la jeune génération soviétique, avec qui il entretient des rapports durant des années, tentant de faire jouer ses ballets en France et de le faire inviter en collaboration avec les ambassades. C’est aussi le seul parmi les musiciens de Léningrad à qui Prokofiev, en tournée en 1927 accorde quelques lignes sympathiques dans son journal..

    En 1925, Deshevov est dans tous les théâtres de Leningrad, et en tant que chef d’orchestre il remplit les fonctions de directeur musical du Théâtre Rouge, le premier collectif créé en vue de répandre le répertoire soviétique. Il y dirige quatre spectacles et écrit en 1926 la musique du drame industriel qui va le rendre immortel, Rails de Paparigopoulo. La petite pièce de piano éponyme (1’18) tirée de la partition devient l’un des symboles du « machinisme » à l’égal de Pacific 231 d’Honegger, de Zavod de Mosolov et de Barrage sur le Dniepr de Meytius.

    Durant la même saison 1925-26, le théâtre Comedy programme un drame chinois du 13ème siècle, le Cercle de Craie de Lan-Ki adapté de sa traduction allemande. La Suite Chinoise opus 12 tirée de la musique pour le mélodrame Chang Gajtang est remarqué comme un ensemble de miniatures impressionistes « un album d’esquisse en silhouettes » (D. Shen) et saluée comme ce que Deshevov a produit de meilleur.
    L’intérêt pour l’extrême-orient ne s’arrête pas là, et Deshevov fait des recherches sur la musique traditionnelle japonaise, le studio-théâtre des jeunes du Théâtre Académique lui ayant commandé une musique incidentale pour Ode Nobunago d’Okamoto Kido traduit par N. Konrad. Il en tire la Suite japonaise opus 13 dont le matériel existe encore dans son instrumentation d’origine.

    Pourquoi, au fait de sa popularité, Deshevov se tourne-t-il vers l’opérette ? dans une frénésie de conquête de tous les genres possibles à la scène ? Personne n’est en mesure de donner les raisons mais on y voit la même démarche que celle de Chostakovich qui n’hésite pas à collaborer aux musiques de revue. Deshevov fait aussi partie brièvement, comme Popov, des pianistes qui accompagnent les séances de cinéma muet, et il compose pour les mêmes théâtres où seront joué La Puce de Mayakovsky ou Mort à crédit. Coup sur coup il écrit les deux opérettes « Le conjuré de Bagdad » et « La colline accueillante ». Selon certaines sources il aurait écrit de la musique pour plus d’une trentaine de pièces de théâtre avant de produire sa partition la plus importante en 1929, l’opéra La Glace et l’Acier.
    Ce premier opéra soviétique connaît un énorme succès à Léningrad. Il n’en va pas de même à Moscou ni dans les villes qui le reprennent brièvement.
    En 1930, le Théâtre d’opéra et de ballet de Léningrad commande à Deshevov un opéra, la Steppe affamée, et un ballet, Débuts, sur la collectivisation de l’extrême-orient. Pour se familiariser avec la musique d’Ouzbekhistan, Deshevov séjourne à Samarkand. Il semble qu’il ait emboîté le pas à Glière, avec un peu moins de réussite, car la réaction a commencé à se manifester, poursuivant à la fois les avant-gardistes et les folkloristes. Alors que deux actes de l’opéra sont terminés et que les esquisses du ballet sont finies, le Théâtre décommande les projets, les livrets n’étant plus adaptés aux changements politiques locaux et la progression de la collectivisation ayant changé d’objectif. Mais surtout aucun des théâtres ne renouvellent leur contrat. Il semble que Deshevov ait été profondément affecté par cette volte-face. Ses dernière compositions pour orchestre recyclent la musique inutilisée : c’est la Samarkand suite opus 26, et le poème symphonique Plyas, le shaman opus 25 qui subsistent.
    A partir de 1930-1932, sentant le vent tourner, et comprenant que la musique « moderne » n’a plus droit de citer en Union Soviétique, Deshevov s’enferme dans un long silence officiel, se mettant, comme tant d’autres au service de la musique de film, et de projets moins ambitieux, et moins exposés, comme les musique qu’il écrit pour les dramatiques radiophoniques, se concentrant alors sur la technique du montage audio.
    Parmi ses réalisations tardives, on peut citer la musique pour le théâtre de marionettes Gulliver et les Lilliputiens qui semble avoir tenu la scène jusqu’à la fin des années 1980, et les bandes originales de nombreux films dont Fragments d’Empire, Purgatoire, l’Academicien Pavlov et Le Serviteur de deux Maîtres.

    Au cours des années 40 et 50, Deshevov (comme d’autres survivants de l’avant-garde russe, Mosolov et Zhivotov) fit un retour sur la scène de la musique symphonique, avec semble-t-il un succès mitigé, malgré une simplification de style correspondant aux exigences du réalisme soviétique. On en sait encore moins sur ces partitions tardives, et l’on en est réduit à faire le recensement du catalogue : le ballet Bella, le Conte de la Tzarine morte et des 7 bogatyrs (1949), Conte de fées russe (1947), Ouverture Russe (1950), Leningrad (1953).

    Deshevov est mort le 27 octobre 1955 à Leningrad.

  16. #16
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    Voici une bien belle présentation d'où il ressort au passage que les habituelles brimades à base de "politiquement erroné" et autres excuses bidon datent bien d'avant la reprise en main générale de Staline...

    Par ailleurs, je ne trouve trace que d'une partition de Deshevov pour l'écran, celle du film d'animation "La poste" en 1929 (à l'époque, le cinéma soviétique est toujours muet, c'est donc une musique destinée à être jouée par les orchestres des cinémas).
    Deux des autres titres cités sont plus connus: "Un débris de l'empire" est un fort beau film de Ermler, juste formaliste comme ils le sont souvent en 1929. Par contre, là aussi c'est un film muet. "L'académicien Ivan Pavlov" est une des biographie compassées tournées à la fin des années '40 pour éviter les complications politiques de cette époque de plomb, et le réalisateur Grigori Rochal a dû y faire preuve d'une audace minimale. Sur imdb la musique est créditée à Kabalevsky mais ça ne veut pas dire grand chose.

    A noter que Mikhail Tsekhanovski, le réalisateur de "La poste" est aussi celui qui a filmé en 1931 (ce coup-ci c'est sonore) une version étonnante de "Pacific 231" d'Honegger, film constructiviste et quasi abstrait, où la partition était dirigée par Gaouk, si mes souvenirs sont exacts, et où un vaillant camarade en cravate venait nous expliquer après quelques mesure d'introduction que Honegger n'étant pas marxiste et ne composant pas pour le peuple il ne fallait surtout pas croire que sa musique valait la peine. Ne pas s'étonner du coup si le film suivant de Tsekhanovski date de 1962......
    La seule certitude que j'ai, c'est d'être dans le doute. (Pierre Desproges)

  17. #17
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    Citation Envoyé par mah70 Voir le message
    une version étonnante de "Pacific 231" d'Honegger, film constructiviste et quasi abstrait, où la partition était dirigée par Gaouk, si mes souvenirs sont exacts
    On peut voir ce film dans le cadre de l'exposition "Lénine, Staline et la musique" en ce moment même à la Cité de la Musique et Gaouk est bien le chef filmé par Tsekhanovski. Mah quelle mémoire !

  18. #18
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    ce renseignement m'intéresse vivement, je me demandais de quand pouvait dater la création de Pacific 231 à Léningrad (ceci en rapport avec la photo soumise par Jacques ou l'on voit en 1928 Honegger et sa femme avec entre autres le très jeune Chostakovich).
    et ce film ça se trouve en DVD?

  19. #19
    - Avatar de mah70
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    Pas que je sache mais j'aimerais beaucoup être surpris...
    La seule certitude que j'ai, c'est d'être dans le doute. (Pierre Desproges)

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