De temps à autre, selon mon humeur du moment, j'aime bien me replonger dans la musique anglaise de la première moitié du XXème siècle (à quelques lustres près) . En particulier dans celle qui, parce que peu novatrice et destinée avant tout, dirait-on, aux "oreilles britanniques", n'a "traversé la Manche" qu'assez récemment, avec plus ou moins d'écho. Ayant déjà pris le risque d'ouvrir des fils de discussion sur Walton, Bax, Finzi et Howells, je pars donc de l'idée que rien ne s'oppose à ce que je récidive avec... John Ireland (1879-1962) .
Ayant suivi comme bien d'autres, au Royal College of Music de Londres, les cours de composition du très sévère et conservateur Charles Villiers Stanford (on raconte que ce dernier restitua un jour, devant un magasin de pompes funèbres, une partition manuscrite à l'un de ses étudiants en s'exclamant : "Il vaudrait mieux la laisser là-dedans, mon garçon !"), Ireland devint plus tard lui aussi, dans cette même institution, un professeur respecté qui compta notamment parmi ses élèves Benjamin Britten et Ernest John Moeran. Si le premier ne trouva guère d'intérêt à son enseignement, le second vit en Ireland "un conseiller avisé et un fin critique, qui croyait fermement en la valeur d'une étude du contrepoint".
Le "vent de nouveauté venu de France" qui enthousiasma beaucoup de jeunes musiciens britanniques durant la seconde moitié du règne d'Edouard VII, les libérant d'une influence germanique jusqu'alors presque exclusive, fit naturellement une très forte impression sur Ireland, qui passe pour avoir été un admirateur passionné de Ravel. Un engouement que sa propre musique ne trahit toutefois qu'assez timidement, même si on peut dire, pour faire simple, qu'elle le range parmi les "impressionnistes anglais" (façon Bax ou Scott, si l'on veut).
Cela dit, c'est avant tout au piano, à la mélodie et à la musique de chambre que s'est consacré John Ireland, qui se sentait plus à son aise dans la "petite forme" et ne donna à l'orchestre qu'une dizaine d'oeuvres tout au plus, dont un concerto pour piano (il a aussi composé notamment des pièces pour orgue et de la musique chorale religieuse, mais j'avoue ne pas les connaître).
Sa musique de chambre me paraît en tout cas des plus plaisantes et attachantes, et je la trouve même par moments très belle. Comme je viens de réécouter les quelques enregistrements que j'en possède, c'est donc elle que j'évoque en premier (je dirai aussi quelques mots du piano seul, des mélodies et des oeuvres symphoniques, mais plus tard).
Ces enregistrements, qui permettent de découvrir "l'essentiel" de cette musique (mais pas tout, car manquent les deux Quatuors à cordes, des oeuvres de jeunesse [1895 et 1897] encore très "brahmsiennes" que le Maggini Quartet a enregistrées pour Naxos, ainsi que quelques oeuvres pour trio enregistrées sur un autre disque du même label), sont les suivants :
1/ un coffret Chandos réunissant les Sonates pour violon et piano Nos 1 [1909] et 2 [1917], la Sonate pour violoncelle et piano [1923], les Trios pour violon, violoncelle et piano Nos 1 "Phantasie Trio" [1907], 2 [1917] et 3 [1938 -- dédié à William Walton], la "Fantasy Sonata" pour clarinette et piano [1943] et une courte pièce intitulée The Holy Boy [1913], dans sa version pour violoncelle et piano;
2/ un récent disque Naxos avec le Sextuor pour clarinette, cor anglais et quatuor à cordes [1898], le Trio pour clarinette, violoncelle et piano [1914] et, à nouveau, la "Fantasy Sonata" pour clarinette et piano et The Holy Boy (ce dernier toutefois dans sa version avec clarinette).
Le coffret Chandos, qui si je me souviens bien fut salué avec enthousiasme à sa sortie (1995) par au moins une des trois principales revues françaises qui paraissaient encore à l'époque, est particulièrement remarquable .
La photo surprenante qui y figure (avec à droite un petit portrait du compositeur), montrant deux soldats britanniques, à Victoria Station en décembre 1914, prêts à monter dans un train avec tout leur barda pour rejoindre ensuite le front, est liée à l'anectode suivante : c'est en tenue militaire que le violoniste Albert Sammons et le pianiste William Murdoch, alors mobilisés dans les Grenadiers-Guards, avaient dû donner en création la Sonate pour violon et piano No 2 un soir de février 1917.
Cette sonate obtint en outre un tel succès que son auteur, jusqu'alors presque inconnu du public, devint aussitôt célèbre. Au point qu'on a pu dire, bien des années plus tard, que c'était "probablement la première et unique fois qu'un compositeur britannique sortit de l'obscurité en une soirée, grâce à une oeuvre de musique de chambre" (le lendemain, un éditeur se précipitait d'ailleurs chez Ireland pour qu'il lui en réserve l'édition, et la sonate fut reprise neuf fois pendant la saison musicale ).
Jacques