"Life and art are to Holst not enemies but the complements of each other" (Ralph Vaughan Williams)
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Ami très proche de Vaughan Williams, Gustav Holst [1874-1934] fut comme lui très marqué par l'héritage folklorique de son pays, la musique de l'époque Tudor et la poésie de Walt Whitman. Cela n'en fit pas pour autant des "jumeaux en musique" et leurs styles respectifs diffèrent passablement l'un de l'autre. Un peu malgré lui, Holst eut aussi en dehors de la Grande Bretagne une popularité que ne connut pas son ami (ce dernier ne s'en préoccupa d'ailleurs guère, souhaitant d'abord toucher le coeur de ses compatriotes), et cela grâce à une seule oeuvre : sa célébrissime suite pour orchestre The Planets Op. 32 (1914/1916).
Dans son enfance et son adolescence, Holst reçut quelques leçons de piano, puis de violon et de tuba, mais son père n'encouragea guère sa passion pour la musique et c'est d'abord en parfait autodidacte qu'il se lança dans l'étude de la composition. A dix-neuf ans il finit quand même par entrer au Royal College of Music de Londres pour se perfectionner dans les techniques de celle-ci, ainsi que dans la pratique du tuba. Parallèlement à ses études, Holst s'intéressa aussi vivement à la politique et devint membre de la Hammersmith Socialist Society, un cercle alors "très à gauche" dirigé par le célèbre écrivain, poète, peintre, dessinateur et architecte William Morris et comptant parmi ses fidèles George Bernard Shaw. En 1903, Holst obtint le poste de maître de chant et chef de choeur à la James Allen's Girls' School de Londres (St Paul), dont il devint deux ans plus tard le directeur musical. Il composa ensuite pendant toute sa vie, avec assiduité, de la musique pour ses élèves, notamment.
L'oeuvre de Gustav Holst est assez abondant et varié. Il est toutefois difficile d'échapper, quand on l'évoque, à cette fameuse suite The Planets, même si la fille du compositeur, Imogen Holst (excellente musicienne et chef d'orchestre), finit elle-même par la prendre en totale aversion tant elle eut tendance à masquer le reste.
Je commence donc par cette oeuvre, en montrant deux des enregistrement que j'en possède (j'évoquerai plus tard mes autres disques Holst, envisageant de les réécouter au cours du weekend prochain) :
Le fait que l'incontournable M. von K. s'y soit consacré montre assez la célébrité de cette oeuvre (). Quant au second enregistrement, avec aussi A Somerset Rhapsody Op. 21 (1906), il fit sensation à sa parution en 2005 car la suite The Planets y est complétée par une composition de Colin Matthews [NB: c'est lui qui orchestra récemment, de façon plus ou moins convaincante, tous les Préludes de Debussy pour piano] intitulée Pluto, the Renewer (la soi-disant planète Pluton n'avait été découverte qu'en 1930). Cette composition est ingénieuse et intéressante, mais Matthews n'a pas dû être très content en apprenant plus tard que les astronomes avaient décrété que l'astre appelé Pluton était finalement bien trop petit pour être qualifié de planète (cruelle déchéance ).
Cela dit, malgré sa longueur, je reproduis ci-après l'analyse que Colin Matthews a faite des Planètes, car elle est très riche en renseignements divers, en particulier sur Holst lui-même :
"Quelle est l'origine des Planètes? Pour ceux qui connaissent peu d'autres pages de Holst, il est facile de penser qu'il est le compositeur «d'une seule œuvre», car Les Planètes est tellement plus souvent joué (et surtout enregistré) qu'aucun autre de ses morceaux. Et même pour ceux qui en savent un peu plus sur sa musique, Les Planètes donne quelque peu l'impression d'une œuvre sortie de nulle part, car elle a peu d'antécédents, que ce soit dans la propre production de Holst ou dans la musique orchestrale en général.
Holst avait près de quarante ans lorsqu'il commença à penser aux Planètes, en 1913. Il avait obtenu une certaine reconnaissance en tant que compositeur, mais n'avait pas encore trouvé sa voix propre. Peu conventionnel, il s'était choisi un assortiment d'influences improbables : la poésie visionnaire de Walt Whitman (The Mystic Trumpeter de 1904 est la première œuvre majeure de Holst), l'idéalisme de William Morris (Holst dirigea le Chœur socialiste de Hammersmith dans les années 1890) et une fascination pour la littérature et la philosophie hindoues (il étudia le sanscrit afin de traduire des textes et de les mettre en musique) étaient alliés chez lui à une obsession pour Wagner, qui ne commença à s'estomper que lorsque, avec son cher ami Vaughan Williams, il découvrit la musique populaire anglaise au début des années 1900.
Il est difficile de réconcilier des éléments aussi disparates, et les œuvres les plus importantes menant aux Planètes — A Somerset Rhapsody (1906), l'opéra Sâvitri (1908), Béni Mora (1908), les deux Suites pour Orchestre militaire (1909 et 1911) et la Suite de St Paul (1913) — révèlent un compositeur dont l'assurance s'affirme au fil de ses expériences. La plupart de ces pièces (l'exception étant Sâvitri) sont de proportions réduites, ou construites à partir de petites unités; dans Les Planètes, il tire un immense parti de cette maîtrise du détail ciselé. C'est principalement cette capacité d'écrire de manière succincte et inventive sans freiner le développement naturel de son matériau et de soutenir cette inventivité pendant près de cinquante minutes qui fait de ce morceau un chef-d'œuvre.
Il n'existe pratiquement aucun précédent d'œuvre orchestrale en sept mouvements à une telle échelle. Les études de caractère des Tableaux d'une exposition de Moussorgsky ou les Variations Enigma de Elgar sont chacune bien plus réduites; ce sont plutôt les mouvements de La Mer ou les Nocturnes de Debussy dont le concept de peintures musicales abstraites se rapproche des Planètes. Holst fut sûrement influencé par la forme des Cinq Pièces orchestrales de Schoenberg, mais seulement de façon marginale par leur contenu; il les avait entendues sous la baguette de leur compositeur en 1914 et il en acquit la partition — le titre figurant sur le manuscrit des Planètes est «Sept Pièces pour Grand orchestre». En 1912, il avait découvert la musique de Stravinsky, et même si son influence ne semble pas vraiment directe, lui-même reconnut l'importance qu'il lui attachait. On parle souvent de son œuvre comme d'une «suite symphonique», mais ce terme n'est pas vraiment approprié : l'originalité de ces pages ne repose pas dans le traitement symphonique de leur sujet, mais dans la diversité de formes et dans la spontanéité d'invention auxquelles Holst fait appel dans chaque mouvement.
Les premières idées de Holst naquirent de son intérêt pour l'astrologie — découlant lui-même de l'étude de la littérature sanscrite qui avait tant influencé ses œuvres précédentes. Il ne s'agissait pas d'un intérêt obsessionnel : Holst écrivit que l'astrologie lui avait seulement «suggéré» les caractères des planètes; toutefois, elle lui permit de structurer sa musique et lui fournit un titre adéquat pour chaque mouvement, l'expression d'une atmosphère particulière plutôt que la description d'une image. Il est bon de souligner que, bien que nous possédions aujourd'hui de remarquables photographies des planètes, celles-ci étaient bien plus mystérieuses et lointaines pour la génération de Holst, et que les images qui nous viennent aussitôt à l'esprit en les évoquant sont fort différentes des caractéristiques que Holst souhaitait dépeindre.
Lors de récentes interprétations des Planètes dans leur arrangement effectué par Holst pour piano à quatre mains, on a parfois affirmé qu'il s'agissait là de la «version originale», mais c'est inexact. Holst tira de ses premières esquisses des arrangements pour piano à quatre mains, entièrement annotés avec l'instrumentation prévue, afin que ses assistants de l'École de filles de St Paul (où il enseigna durant de nombreuses années et où il disposait d'un studio insonorisé) puissent à la fois jouer son œuvre et l'aider à confectionner la partition complète (une névrite au bras droit le gênait pour écrire). On croit également à tort que Mars fut influencé par le début de la Première Guerre mondiale. En fait, Holst l'avait composé en 1914, mais avant le début des hostilités; dans une conférence donnée en 1926, il s'efforça de préciser que le mouvement sur lequel il avait travaillé plus tard cette année-là était Vénus - «celle qui apporte la paix». Jupiter fut également écrit en 1914; Saturne, Uranus et Neptune suivirent en 1915; Mercure — qu'à un certain moment Holst voulait composer en premier — ne fut pas achevé avant 1916.
La création se fit à titre privé, cadeau fait au compositeur par son ami Henry Balfour Gardiner, et eut lieu au Queen's Hall le 29 septembre 1918 avec le New Queen's Hall Orchestra dirigé par Adrian Boult. Début 1919, Boult dirigea une exécution de cinq mouvements comme suit : Mars, Mercure, Saturne, Uranus et Jupiter, tandis que Holst dirigeait Vénus, Mercure et Jupiter plus tard cette même année (par la suite, il en vint à détester la fréquente sélection de mouvements qui se terminait toujours par Jupiter). La première création mondiale fut donnée par le London Symphony Orchestra sous la direction d'Albert Coates le 15 novembre 1920. Holst enregistra son œuvre (avec le London Symphony Orchestra) deux fois, pour la Columbia Gramophone Company : un enregistrement pré-électrique en 1922-23, et à nouveau en 1926. Il n'était vraiment satisfait d'aucun de ces deux enregistrements (il n'était pas un chef d'orchestre-né), mais sa fille Imogen se rappelait que Mars et Uranus de 1926 étaient particulièrement proches de ses interprétations publiques des années 1920.
Les rythmes à 5/4 martelés et les dissonances énergiques de Mars, celui qui apporte la guerre (Holst utilise avec grande efficacité la bi-tonalité — deux tonalités différentes utilisées simultanément) nous sont devenus si familiers (et notamment parce qu'ils ont bien souvent été plagiés par des compositeurs de musiques de films) qu'on en oublierait facilement l'originalité de ce mouvement d'ouverture. Sa férocité est unique dans la production de Holst et ses prédécesseurs sont rares dans l'histoire de la musique.
Vénus, celle qui apporte la paix nous montre Holst sous son jour le plus détendu et lyrique — encore une atmosphère qu'il eut du mal à retrouver par la suite. C'est le plus long et le plus tendre des sept morceaux, sans aucun moment de malaise ou aucun point culminant. En cela il ressemble à Neptune, mais Vénus déborde de chaleur et Neptune est froid et sans passion.
Le caractère évanescent, le vif-argent de Mercure, le messager ailé sont obtenus grâce, une fois encore, à l'utilisation de la bi-tonalité, ici aisée et limpide, alors que dans Mars elle avait produit des dissonances grinçantes et que dans Neptune elle évoquera l'éloignement et le mystère. De tous les mouvements des Planètes, Mercure est celui qui a le plus grand nombre de mesures, Jupiter excepté, mais il est de loin le plus bref en durée.
Jupiter, celui qui apporte la joie regorge de vitalité, de gaîté et de mélodies mémorables. La plus expansive d'entre elles, utilisée plus tard avec le texte de Cecil Spring-Rice «I vow to thee, my country» (Je te fais vœu, mon pays) — à une époque où, selon Imogen Holst, son père était trop fatigué et surmené pour écrire un texte original — a octroyé à ce mouvement une solennité imprévue. Holst souhaitait seulement dépeindre la facette plus mesurée de la bonne humeur.
Le mouvement préféré de Holst était Saturne, celui qui apporte la vieillesse (il fut déconcerté en lisant les premières critiques, qui trouvaient que c'était le moins impressionnant). Sa triste musique processionnelle est tout à fait caractéristique de son compositeur, bien qu'aucune autre de ses processions ne progresse vers un apogée aussi terrifiant. Le ressac de vagues sonores qui suit est comme un écho serein, se dissipant peu à peu dans une sorte de nirvana.
Uranus, le magicien est également caractéristique de Holst, dont le sens de l'humour était quelque peu emprunté et balourd. Cette musique est une danse maladroite qui devient de plus en plus frénétique jusqu'à ce qu'un apogée vienne balayer l'ensemble et l'entraîner au loin. Ainsi que l'écrivit un jour Imogen Holst au sujet de la tendance au laconisme de son père, «dès qu'il avait dit ce qu'il avait à dire, il s'arrêtait».
Neptune, le mystique reprend l'aspect éthéré qui a conclu les deux précédents mouvements et le soutient sans interruption, distant, mystérieux et dénué de toute émotion. Comme émergeant du néant, on entend le son distant et immatériel de voix féminines; elles sont enveloppées de vastes accords en spirale puis achèvent le mouvement, retournant au vide dont elles provenaient."
Jacques