Personne n’en ayant encore parlé :
La sortie du nouveau disque de Bartoli, Sacrificium devait faire l’événement. Le titre est d’un goût moyen, les illustrations d’une esthétique douteuse, mais de cela on avait l’habitude.
Comme toujours, le gros intérêt de ces enregistrement est qu’ils sont pratiquement tous constitués d’inédits, ici, quatre airs seulement (le CD2 bonus et un air de Caldara) sont déjà connus. L’ensemble est constitué d’airs d’opéra de Popora et de Graun.
Etant donné le répertoire considéré, il est pour ainsi dire normal que s’exprime un certain maniérisme ; déjà la tendance de Bartoli à surjouer, grimacer, comme si elle tentait de masquer les manques d’une voix chancelante se faisait jour au concert. Ici même la voix de studio grimace : les abus d’effets du type sforzando intempestifs, attaque forte (criés) le légato réduit à un gémissement proche du miaulement, les aigus si tendus qu’il y reste quelques notes à la limite de la justesse. On aura beau jeu de dire qu’elle tente d’imiter le style napolitain, la voix a tendance à bêler, l’agilité vocale est aléatoire, parfois étonnante, parfois poussive. Les graves sont très profonds mais souvent poitrinés. Bartoli s’est curieusement « hornisée », c’est souvent nasal, le timbre n’est plus seulement fragile, il est la plupart du temps laid.
L’ensemble orchestral n’est pas en reste : les cuivres naturels sont criards, proches de la caricature. L’air d’entrée de Siface de Porpora a l’air d’une mauvaise parodie. Tiré du Germanico du même Popora, la plage 4 rattrappe un peu les choses dans l’expressivité d’un bel air d’adieu qui séduira les nostalgiques de Saint-Preux. Cette référence iconoclaste pour se demander pourquoi les instruments d’époque sonnent dans une espèce de mélasse évocatrice des tics d’enregistrement des années 70 ?
Ce qui était infiniment émouvant dans l’album précédent (Malibran) voire céleste (à condition d’entendre sans regarder la dame, le Casta Diva) tombe complètement à plat, à côté de l’émotion, même quand la musique semble intéressante.
Le duo avec flûte « Unsignole sventurato » est cruel dans le manque de précision et le peu de sureté de la voix, alors qu’il n’y a aucune note à tenir, juste quelques effets de répétitions pré-rossinien qui devraient être seyants pour une vieille voix. Mais c’est rythmiquement approximatif, et le double-fond humoristique plaqué sur ce rossignol désenchanté produit une sorte de tristesse, qui éclaire sur les aléas de l’incarnation et de la décrépitude.
Les arie di tempesta fonctionnent évidemment un pue mieux à cause de la rapidité, alternant un parlando et des esquisses de vocalises qui peuvent faire illusion alors qu’il ne reste qu’un ensemble de trucs et d’interjections sans le moinde sens de la mélodie. Ce n’est tolérable que parce qu’on ne connaît pas le texte. Du point de vue de la musicalité, c’est effrayant.
Le « Quel farfalla » de Zénobie in Palmira de Leonardo Leo devient une sorte de bouillie sutherlandesque où l’on entend deux voyelles mises en relief entre quelques africatives et des trilles chevrotants.
Il semblerait que l’affinité soit plus grande avec Graun, (l’air d’Adriano in Siria est presque bien, c’est-à dire sobre) le style musical déploratif à l’allemande laissant moins de place aux bizareries des consonnes explosives et des tremblements d’effroi que Cecilia se sent pourtant obligée de rajouter. Toujours prompte à entrer dans un rôle, la Bartoli nous joue ici un vieux castrat en fin de carrière qui tente de rameuter les restes de sa splendeur passée. Il plane sur son « Misero Pargoletto » une sorte d’oiseau de cauchemar, un phoenix qui n’aurait réussi qu’à demi sa résurrection et laisse dans son sillage une odeur de cendres. On est donc touché, mais par le souvenir de ce qu’elle a été.
La tentative de faire coexister la voix de petite fille malicieuse et les profondeurs d’alto d’adolescent mal dégrossi aboutissent à un contresens sur la nature de ce que pouvait être la voix de castrat : si encore Bartoli n’était pas accompagnée par un orchestre de casino de province qui tempête dans un verre d’eau entre deux chorus de cors de chasse ! Le tonnerre (de Zeus) du Farnace de Leonardo Vinci, pour drôle qu’il soit, n’arrange rien : on se moquera sans doute avec raison dans quelques années de cette mode on ne peut plus anti-naturelle qui consiste à rajouter des bruits enregistrés de la nature, qui détournent l’attention des faiblesses scolaires mais aussi de l’intérêt résiduel de la musique. On tente d’impressionner en attirant l’attention sur la puissance que la voix ne possède plus.
Ce disque montre les limites de l’intelligence musicologique lorsqu’elle n’est plus que le prétexte à tenter de faire valoir –en creux- une voix qui n’est plus. Conformément à sa pochette, on entend ici la Statue du Commandeur, un marbre qui se fissure, pourvu d’une tête qui pense mais qui oublie de chanter. Etonnant, mais effroyable !