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Discussion: Lili Boulanger

  1. #1
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    Lili Boulanger

    Jeune et jolie cantatrice russe, Raïssa Mychetsky n'avait que 19 ans quand, le 17 septembre 1877 à Saint-Pétersbourg, elle épousa Ernest Boulanger, musicien français de 62 ans, auteur d'oeuvres "légères" très prisées de ses contemporains, qui enseignait alors le chant au Conservatoire de Paris.



    Ce couple insolite s'établit peu après à Paris, où il donna naissance à trois filles : Nina Juliette en 1885 (elle mourut l'année suivante), Juliette Nadia en 1887, et Juliette-Marie Olga en 1893. Cette dernière, qu'on appela ensuite toujours "Lili", disparut à l'âge de 24 ans, victime de la tuberculose, après avoir composé un nombre relativement important d'oeuvres aussi singulières que géniales. Sa soeur aînée, Nadia, eut au contraire une très longue existence puisqu'elle mourut à l'âge de 90 ans, ayant accompli l'extraordinaire carrière musicale (surtout de pédagogue) que l'on sait.

    Sur l'extraordinaire compositrice que fut Lili Boulanger (21 août 1893 - 15 mars 1918), première femme à remporter le Premier Grand Prix de Rome de composition musicale, on trouve en français sur Wikipedia un article très bien fait qu'on peut lire ici.

    Pour ce premier post, je me borne à montrer quelques photos où apparait la jeune compositrice, à montrer aussi l'enregistrement - aujourdhui considérablement vieilli - qui fut mon tout premier contact avec la musique de Lili Boulanger (d'autres disques, récents quant à eux et que je présenterai plus tard, sont venus s'y ajouter par la suite) et à reproduire de larges extraits des textes figurant sur le livret de l'un des albums que je possède.








    "I.- Lily Boulanger, un destin exceptionnel (Danielle Roster)

    «Elle était tellement douée que, tout bébé, à deux ans et demi, elle chantait sans cesse. D'ailleurs plus tard, Fauré venait volontiers assez souvent l'accompagner parce qu'elle était capable de déchiffrer une mélodie à laquelle elle ne pouvait rien comprendre et dont elle semblait comprendre tout.» Ainsi Nadia Boulanger évoquait-elle le souvenir de sa jeune sœur. Lili Boulanger vint au monde le 21 août 1893 dans une famille de musiciens. «Dans la maison, tout le monde faisait de la musique; la musique était au point de départ et au centre de notre existence» , écrivit Nadia Boulanger sur l'atmosphère musicale qui régnait au foyer.

    Les exemples familiaux, à la forte empreinte musicale, favorisèrent la rapide et exubérante éclosion de son talent inné. Les femmes de son proche entourage étaient elles-mêmes musiciennes. La mère, Raïssa Mychetsky (1858-1935), qui dans sa jeunesse avait étudié le chant, plaça — musicalement parlant — la barre très haut pour ses deux filles. L'aînée des deux sœurs, Nadia (1887-1979), exerça professionnellement la musique dès sa seizième année. En 1908 elle remporta le second Prix de Rome avec sa cantate La Sirène. En outre, le destin de la grand-mère Marie-Julie Halligner (1786-1850), qui avait mené une carrière notable à l'Opéra Comique comme mezzo-soprano, spécialiste des rôles de soubrette, servit d'exemple stimulant pour Lili. Le père, Ernest Boulanger (1815-1900), en marge de son activité de professeur de chant, composait et avait obtenu en 1835 le très convoité Premier Prix de Rome. Les rapports de Lili avec lui étaient empreints d'une grande profondeur. Il mourut quand elle avait six ans, et Nadia vit dans cet événement, profondément traumatisant, l'origine du besoin de sa sœur de s'exprimer à travers l'écriture musicale. On peut considérer comme sa première œuvre la mélodie La Lettre de mort, composée en 1906, probablement à la mémoire de son père. Un ton sérieux, voire âpre dans l'expression, constitue la trame sonore de toute son œuvre.

    La santé de Lili Boulanger fut, sa vie durant, très précaire, ce qui l'empêcha d'entamer, dès l'enfance et comme sa sœur, des études musicales approfondies et systématiques au Conservatoire de Paris. Dès qu'elle se sentit mieux, elle prit part aux leçons de sa sœur. «Elle se promenait à travers la musique, jouant un peu de piano, un peu de violon, un peu de violoncelle, un peu d'orgue, composaillant...» [Nadia Boulanger]

    En 1910, Lili Boulanger, âgée de seize ans, fut pressée par sa mère de choisir une profession. La décision fut aisée : elle serait compositeur. Dans la famille Boulanger, le mot "compositrice" n'était pas usuel. «Oublions que je suis une femme et parlons musique», telle était la sentence abrupte de Nadia Boulanger. Les deux énergiques sœurs savaient que dans la manière d'appréhender les œuvres signées par une femme, les discussions sur la féminité — souvent réduite au supposé "sexe faible" — passent au premier plan, et que la réalisation artistique, indépendante du sexe, en est éclipsée. Aujourd'hui encore l'accueil réservé aux œuvres de Lili Boulanger peut, à l'occasion, être obéré par les "stigmates" de son état de femme. La primauté donnée à sa biographie, frappée du sceau de "femme fragile", occulte un regard objectif sur son œuvre; vision allégorique que suggèrent peut-être la grâce de son aspect physique, sa maladie, sa mort prématurée, mais qui ne rend pas justice à l'extrême force de sa personnalité.

    Bien qu'elle n'eût reçu aucun enseignement en composition jusqu'en 1910, elle avait écrit entre autres, depuis 1905, quelques œuvres pour chœur et/ou solistes et orchestre ainsi que cinq études pour piano. En janvier 1910, elle devient l'élève particulière de Georges Caussade, alors en charge du cours de contrepoint au Conservatoire. Elle étudie avec un empressement peu ordinaire, suit des cours tous les jours, y compris les weekends et pendant les vacances, et réalise de rapides et sensibles progrès. En janvier 1912, elle passe avec succès l'examen d'entrée dans la classe de composition du Conservatoire, où elle y étudie cette discipline avec Paul Vidal. En 1913, elle remporte le Premier Prix de Rome avec sa cantate Faust et Hélène. Le prix consiste en une bourse d'Etat sur cinq ans et inclut une résidence de deux ans à la Villa Médicis, à Rome. La victoire dans ce concours réputé lui apporte du jour au lendemain la notoriété internationale. L'éditeur Ricordi conclut avec elle un contrat qui lui garantit la publication de ses œuvres et un revenu annuel fixe. En mars 1914, elle gagne Rome, mais la déclaration de la Première Guerre mondiale, en août, contraint les pensionnaires à abandonner la Villa Médicis. Lili Boulanger, durant les soubresauts successifs du conflit, se consacre uniquement à des activités caritatives. Elle fonde, ensemble avec sa sœur, un comité d'entraide — Comité franco-américain du Conservatoire National — pour venir en aide aux anciens étudiants en composition du Conservatoire, alors dispersés. Cela lui laisse bien peu de temps pour composer.

    Son état de santé demeure toujours préoccupant. En 1916, son médecin lui fait part de ce qu'elle n'a plus que deux ans à vivre. Consciente de l'issue prochaine, et dans la crainte que la mort l'empêche d'achever ses œuvres maîtresses — en tout premier lieu l'opéra La Princesse Maleine, d'après un drame de Maurice Maeterlinck — elle compose, quand son état lui en laisse le loisir, dans une sorte d'empressement et d'impatience. «Elle travaillait avec une hâte fiévreuse. En de petits cahiers, elle notait les innombrables idées musicales qui lui venaient en de fréquents moments d'extase. Thèmes qui eussent pu suffire à l'œuvre de toute une longue existence. Apparemment tout était clair à son esprit, car lorsque la faiblesse finit par l'empêcher d'écrire, elle était capable d'appeler à la vie la musique qui n'était pas encore née, en la dictant presque sans hésiter.» Au printemps 1917, elle se soumet à une opération, mais qui n'apporte aucune amélioration à son état. Sa dernière œuvre, le Pie Jesu, elle la dicte à sa sœur Nadia. Elle meurt, le 15 mars 1918, âgée seulement de 24 ans, sans avoir pu achever La Princesse Maleine.

    Les œuvres qui subsistent de Lili Boulanger se situent entre 1911 et 1918, c'est-à-dire sur une période de seulement sept années. Elle a détruit elle-même toutes les compositions précédemment écrites, entre 1905 et 1910. En dépit de la brièveté du laps de temps où elle exerça son art, elle lègue une œuvre abondante et de tout premier ordre. Jacques Chailley : «Son "cas" est peut-être unique dans l'histoire de la musique... Schubert vécut jusqu'à 31 ans, Mozart 35, Purcell 37. Aucun n'avait, à 24 ans, écrit une œuvre de l'envergure des trois Psaumes.»"

    "II.- L'Esprit souffle où il veut... (Harry Halbreich)

    "Qu'il ait pu s'incarner en une frêle jeune fille menant un combat désespéré contre la mort inéluctable, que l'âme ardente et blessée habitant ce corps en ruine ait pu donner naissance à ces chants parmi les plus puissants et les plus grandioses jamais couchés sur le papier à musique, cela constitue certes l'un des mystères les plus rebelles à toute explication rationnelle, et donc une preuve irréfutable de la justesse de la phrase choisie pour titre à cette introduction.

    La musique de Lili Boulanger, manifestation de génie à l'état pur, exprime avec une acuité parfois à la limite de l'insoutenable une vie spirituelle d'une fabuleuse richesse. Mais même ses trop rares éclaircies conservent un fond de gravité et de deuil, reflet d'une tragédie vécue dans une chair martyrisée. Or, l'Esprit transfigure cette souffrance en pure, en bouleversante beauté.

    Lili Boulanger s'est rapidement dégagée des influences marquant ses premiers essais (on n'ose, dans son cas, parler d'oeuvres de jeunesse !), influences qui se nomment Gabriel Fauré, Claude Debussy, peut-être aussi Louis Vierne, c'est-à-dire des maîtres à la pointe de l'évolution du langage musical de leur temps, pour prendre les devants dans un avenir qu'elle ne devait plus connaître. Car lorsque l'on pense à d'autres compositeurs dans ses grandes pages de maturité, c'est presque toujours à des noms ou à des oeuvres nés longtemps après (...)."


    Jacques

    Dernière modification par Jacques ; 12/10/2009 à 13h05.

  2. #2
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    Voici maintenant deux disques proches quant aux programmes, où sont enregistrées les principales compositions que Lili Boulanger a consacrées à l'orchestre (la plupart avec choeur et/ou voix solistes) :



    Pour présenter les oeuvres figurant sur ces disques, je puise allégrement dans les analyses qu'en font Harry Halbreich [CD Timpani] et Gerald Larner [CD Chandos], auteurs des textes des livrets. Ils s'expriment bien mieux que je ne pourrais le faire moi-même ().

    - Pour les Funérailles d'un soldat, pour baryton, choeur et orchestre (1912), sur un texte adapté d'une pièce d'Alfred de Musset. "Si ces Funérailles ont déjà fière allure, et témoignent d'une maîtrise et d'une puissance de souffle peu communes, on y trouve quelques vestiges d'académisme peut-être".

    - Faust et Hélène, cantate pour soprano, ténor et orchestre (1913), qui valut à Lili Boulanger d'obtenir le Premier Prix de Rome. "Il est assez étonnant qu'elle l'obtint (...), non pas à cause de l'attitude notoirement misogyne du jury, ni encore moins à cause d'une quelconque faiblesse technique, mais parce que cette pièce n'est pas l'exercice conformiste auquel on s'attend généralement. Certes, il est vrai qu'elle y fait un usage discret et modéré de son véritable langage harmonique. Mais par ailleurs, son intuition artistique ne lui permettait pas de traiter le texte d'Eugène Adénis - qui réduit le mariage allégorique entre Faust et Hélène du poème de Goethe en une rencontre superficielle se terminant de manière sinistre - au niveau de ses propres termes superficiels. Son arrangement redonne au thème un sens plus profond. Ainsi, tandis que la scène d'amour centrale ne manque pas de mélodies séductrices et d'harmonies voluptueuses à la Massenet, qui étaient les éléments habituels des opéras de cette époque, la partition possède un autre niveau d'expression, ouvertement wagnérien".

    - Psaume 24, pour choeur [ténor solo], cuivres, harpe, timbales et orgue (1916). "Une page très brève, mais d'un impact foudroyant. (...) C'est un chant de victoire d'un élan irrésistible, d'une rude et virile allégresse, aux harmonies organales de quartes et de quintes d'une âpreté roborative en l'éclat coruscant des alliages de cuivres et d'orgue. On se sent à mi-chemin entre les choeurs conclusifs du Martyre de Saint Sébastien de Debussy et les grands Psaumes de fête du Roi David d'Honegger, dont voici une préfiguration sasissante. En mi majeur modal, cette page de trois minutes à peine balaie tout sur son impétueux passage (...)".

    - Psaume 129, pour choeur et orchestre (1916). C'est "une oeuvre un peu plus développée, faisant appel au grand orchestre au complet, en ré mineur éolien (mode de la), véhémente dénonciation du juste persécuté qui en appelle à la protection divine (...) Ici, Lili Boulanger parvient à une âpreté harmonique et orchestrale toute proche de celle qu'on trouvera une douzaine d'années plus tard dans le grandiose Psaume 80 d'Albert Roussel, lui aussi basé sur un texte exprimant la révolte contre l'injustice (...). Le début de ce libre triptyque, avec le martèlement de ses neuvièmes mineures répétées, annonce déjà l'âcre Psaume pénitentiel Miséricorde ô Dieu pitié du Roi David d'Honegger. Comme dans le Psaume 24, les voix de femmes n'entrent que dans la dernière partie, formant un halo doux et lointain à la psalmodie des hommes chantant toujours à l'unisson".

    - Psaume 130 : Du fond de l'abîme, pour mezzo-soprano, ténor, choeur et orchestre (1917). C'est "le chef-d'oeuvre de Lili Boulanger, sa partition la plus développée, la plus grandiose, la plus riche de substance, et l'un des sommets de la musique française du premier demi-siècle, de pair avec le Psaume 47 de Florent Schmitt qui le précède et le Psaume 80 de Roussel qui lui succède. (...) Du fond de l'abîme représente une synthèse accomplie de toutes les richesses de son inspiration. On y retrouve l'obsession pour le mode phrygien et pour si bémol mineur, mais l'oeuvre fait appel aussi à d'autres échelles modales, notamment l'échelle octotonique (le futur mode 2 d'Olivier Messiaen), les secondes augmentées du mineur hébraïque, la gamme par tons, le chromatisme, l'usage audacieux de l'enharmonie, tout cela menant à un dépassement fréquent de la tonalité. (...) L'oeuvre annonce d'emblée son impressionnante envergure par un vaste prologue pour orchestre seul de quatre minutes de durée, prodigieux magma à l'orchestration ténébreuse annonçant de manière frappante le début de la Jeanne au Bûcher ou d'Une Cantate de Noël d'Honegger. Si les lamentations déchirantes des longs Ah... du choeur succédant au premier verset du texte, aux inflexions si orientales, rappellent une dernière fois les plaintes des Adoniastes dans la quatrième Mansion du Martyre de Saint Sébastien, ici et ailleurs on constate les congruences les plus étonnantes avec les oeuvres (contemporaines et postérieures) d'inspiration biblique d'un grand compositeur que Lili Boulanger n'a pas pu connaître, Ernest Bloch, qui utilise lui aussi mode octotonique et secondes augmentées, harmonies rugueuses de quartes et de quintes et un même orchestre alternant éclat barbare et teintes fuligineuse (...)".

    - Vieille prière bouddhique, pour ténor, cheur et orchestre (1917). "L'oeuvre est sous-titrée Prière quotidienne pour tout l'univers et reprend l'un des textes fondamentaux du bouddhisme, que les novices du Samanera apprennent traditionnellement en préparation de leur première ordination, la Pabbajja. C'est un texte admirable en son message de paix et de tolérance largement oecuménique, englobant nommément la création entière, y compris les «déchus» (autrement dit les parias ou intouchables) et les hommes de toute nation (...). Lili Boulanger a édifié son oeuvre sur une mélodie unique - et ses rares variantes - d'un galbe parfait, d'un profil inoubliable, en ut phrygien (toujours ce deuxième degré baissé), répétée à la manière d'une psalmodie mais avec des éclairages harmoniques et orchestraux sans cesse renouvelés. (...)".

    - D'un soir triste et D'un matin de printemps, pour orchestre (1917/18). C'est un diptyque, dont la deuxième partie a été composée avant la première (d'abord sous la forme d'un duo pour violon et piano puis pour flûte et piano). "Les deux pages (...) sont basées sur un même thème et sur la même tonalité de mi. D'un matin de printemps est dans l'ensemble un scherzo à la verve primesautière, à l'orchestration aérée et transparente, mais on y voit surgir au milieu une gradation d'orchestre véhémente qui révèle la douleur sous-jacente à cette sérénité si précaire. On pense à Roussel, celui des années 1920, celui de Pour une fête de printemps ou de la Deuxième Symphonie, dont les épisodes les plus âpres et les plus sombres semblent préfigurés dans D'un soir triste, dont la douleur lancinante se retrouve aussi dans certaines pages d'Arthur Honegger (...)."


    Jacques

  3. #3
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    Je m'aperçois que j'ai quelque peu "rajeuni" Nadia Boulanger en écrivant, au post 1, qu'elle "mourut à l'âge de 90 ans". Car lorsqu'elle est morte, à Paris le 22 octobre 1979, c'est en réalité plus de 92 ans () qu'elle avait.

    Cela étant précisé, je reviendrai plus tard, pour évoquer les principales mélodies composées par sa soeur Lili .

    Jacques

  4. #4
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    J'ai déjà dit sur un autre fil que j'échangerais volontiers la moitié de l'oeuvre d'Albert Roussel contre l'extraoridnaire petit dyptique "D'un matin de printemps-d'un soir triste" qui une des oeuvres les plus extraordinaires de toute la musique française post-debussyste.
    Deux pièces qui se répondent en miroir comme le yin et le yang.
    Une pièce primesautière avec un épisode central inquiet comme un froid pressentiment, l'autre pièce déchirée et tragique enchassant un épisode plus apaisé et résigné comme la certitude qu'un matin succèdera à la longue nuit.
    Ce n'est pas une oeuvre romantique au sens où l'ego s'y efface devant le panthéisme universel et où les âmes se confondent avec des ciels changeants. Les angoisses y sont des nuages, les espoirs des trouées de lumière (des "clairières dans le ciel"?...).
    Les deux pièces peuvent s'entendre comme un autoportrait (la jeunesse, la maladie, la mort), mais également comme deux tableaux de paysages: giboulées rafraichissantes sur une campagne verte et fleurie, puis lumières crépusculaires où le rougeoiment du soleil couchant se dissout peu à peu dans les ténèbres effrayantes d'un magma de nuage noirs mouvants.
    C'est un absolu chef d'oeuvre donc chaque écoute me procure un effet émotionnel (une sorte de frisson vertigineux qui monte du plus profond des entrailles) toujours égal et toujours renouvelé, même après dizaines d'écoutes.

    Extraordinaire aussi le "Pie Jesu" angélique et funèbre à faire froid dans le dos.

    Extraordinaire également le cycle de mélodies "Clairières dans le ciel" aussi beau que "la bonne chanson" et de "la chanson d'Eve" de Fauré (bel enregistrement par Jean Paul Fouchécourt chez Timpani)
    Dernière modification par Alfredo ; 13/10/2009 à 13h07.

  5. #5
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    Etreignant, funèbre, Hallucinant !!!...


  6. #6
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    Merci, Alfredo , d'avoir apporté ces contributions. J'adhère pour ma part sans réserve à ce que vous avez exprimé.

    La version de Pie Jesu qu'on entend sur la vidéo est celle reprise - avec une très sensible amélioration sonore - sur le disque EMI que j'ai montré au post 1. Elle a été enregistrée en 1959, avec pour soliste un enfant (Alain Fauqueur).

    Je signale d'autre part que figurent également sur ce disque EMI trois pièces pour violon et piano de Lili Boulanger, interprétées par Yehudi Menuhin et Clifford Curzon. Or, intitulée D'un matin de printemps, la troisième pièce n'est autre que la version "primitive" de l'oeuvre pour orchestre portant le même titre, qui avait d'abord été écrite pour ces deux seuls instruments (ou pour flûte et piano).

    Jacques
    Dernière modification par Jacques ; 13/10/2009 à 17h34.

  7. #7
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    Citation Envoyé par Alfredo Voir le message

    J'ai déjà dit sur un autre fil que j'échangerais volontiers la moitié de l'oeuvre d'Albert Roussel contre l'extraoridnaire petit dyptique "D'un matin de printemps-d'un soir triste" qui une des oeuvres les plus extraordinaires de toute la musique française post-debussyste.


    Merci à vous deux.... je ne connais pas, ou alors sans le savoir, sa musique...mais on m'a dit que Simplify Media pouvait faire des miracles...
    Sinon je vais voir ce qu'il y a de disponible au rayon MusicMe...


  8. #8
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    Merci à tous pour ces messages. Je compte me pencher bientôt sur l'œuvre de Lili Boulanger, et ces recommandations viennent à point.

  9. #9
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    Bonsoir Thierry et Gustave .

    J'espère que vous ferez d'intéressantes découvertes. Quant à moi, je pense mettre certaines pièces de Lili Boulanger sur ma liste SM. Je n'ai pas encore choisi lesquelles, mais je fournirai sur ce fil, le moment venu, toutes indications utiles à ce sujet .

    Pour les mélodies de Lili Boulanger avec accompagnement de piano, j'ai ces deux albums, l'un anglais avec comme interprète principal le ténor Martyn Hill (c'est l'un des deux chanteurs de l'excellent coffret Gerald Finzi dont j'ai signalé la récente réédition), l'autre allemand avec uniquement la soprano Mariette Lentz (dotée d'une fort belle voix, avec à son actif un vaste répertoire allant de Mozart et Haydn à Berio, Henze, Nono et Cage, en passant par Fauré, Debussy, Milhaud, Schoenberg, Hindemith et Webern, cette chanteuse s'intéresse surtout aux musiques peu fréquentées) :



    Ces disques ont en commun de présenter l'un et l'autre le cycle Clairières dans le ciel (1914), avec toutefois une voix de ténor pour le premier et une voix de soprano pour le second (NB : il faudra quand même que je me procure aussi bientôt l'enregistrement par Jean-Paul Fouchécourt [chez Timpani] signalé par Alfredo, car même si les très légers accents anglais de Martyn Hill et allemand de Mariette Lentz ne sont guère gênants, mieux vaut dans un tel répertoire un chanteur dont le français est la langue maternelle). Mais ils diffèrent par leurs compléments, qui sont

    - sur le CD Hyperion : Les Sirènes, pour soprano, choeur et piano (1911), Renouveau, pour trois voix solistes et piano (1911), Hymne au soleil, pour mezzo-soprano, choeur et piano (1912), Pour les Funérailles d'un soldat, version pour baryton, choeur et piano (1912), et Soir sur la plaine, pour soprano, ténor, baryton, choeur et piano (1913);

    - sur le CD Bayer Records : quatre mélodies pour soprano et piano, dont deux sur des poèmes de Maurice Maeterlinck, à savoir Attente, Reflets et Le Retour (toutes trois de 1909/10), ainsi que Dans l'immense tristesse (1916).

    Une atmosphère unique, insaisissable, parfois mystérieuse et envoûtante, imprègne la plupart de ces mélodies isolées. Il serait certes déraisonnable de n'y voir aucune parenté quelconque avec des oeuvres d'autres compositeurs dans le même répertoire (la mélodie). Debussy en particulier, mais aussi Koechlin, Roussel, voire Honegger et Milhaud à leurs débuts, pourraient être cités parmi d'autres. Mais il y a chez Lili Boulanger un langage particulier, un traitement harmonique qui n'appartiennent vraiment qu'à elle, une "manière" très personnelle dont elle fait ici un large usage.

    Quant aux Clairières dans le ciel, un cycle de treize mélodies écrites sur des poèmes tirés du recueil "Tristesses" de Francis Jammes (certaines d'entre elles ont par la suite été orchestrées), je dirai simplement que c'est un chef-d'oeuvre à connaître absolument, une musique admirable dont le regretté Christopher Palmer disait qu'elle "rappelle le parfum lyrique et l'innocence de Pelléas et Mélisande, dans une suite d'autoportraits libres de toute sentimentalité".

    Jacques

  10. #10
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    Sur Musicme, il y a les trois psaumes et la vieille prière bouddhique en complément d'un disque Stravinsky.
    (ne vous arrêtez pas au côté quelque peu "Ben Hur" du premier psaume....)

    http://www.musicme.com/#/Lili-Boulan...880002495.html

    Moi, j'ai les mélodies par JeanPaul Fouchécourt chez Timpani et je trouve son disque très beau.

  11. #11
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    Citation Envoyé par Alfredo Voir le message
    Sur Musicme, il y a les trois psaumes et la vieille prière bouddhique en complément d'un disque Stravinsky.
    (ne vous arrêtez pas au côté quelque peu "Ben Hur" du premier psaume....)

    http://www.musicme.com/#/Lili-Boulan...880002495.html

    Moi, j'ai les mélodies par JeanPaul Fouchécourt chez Timpani et je trouve son disque très beau.

    Merci... sinon pour le côté Ben Hur c'est pas grave j'aime bien Miklos Rosza !!!!

  12. #12
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    Citation Envoyé par Alfredo Voir le message
    Moi, j'ai les mélodies par JeanPaul Fouchécourt chez Timpani et je trouve son disque très beau.
    Je viens de le commander sous cette forme (je venais de voir que ce disque comportait aussi, parmi ses compléments, trois jolies pièces pour piano seul qui m'intéressent), et tant pis si j'ai déjà deux versions des Clairières dans le ciel :




    Cela dit, ça m'amuse toujours quand je vois sur A*****, comme dans ce cas : X exemplaires flambant neufs à $18 l'unité, et X exemplaires usagés à... $57 l'unité (!!!). Allez y comprendre quelque chose ( ) !!!

    Jacques

  13. #13
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    De Lili Boulanger, j'ai maintenant mis sur ma liste SM :

    1/ Hymne au soleil, pour mezzo-soprano, choeur et piano [Hyperion];
    2/ Soir sur la plaine, pour soprano, baryton, choeur et piano [Hyperion];
    3/ Psaume 130 "Du fond de l'abîme", pour orchestre, choeur et solistes vocaux [Chandos];
    4/ D'un soir triste, pour orchestre [Chandos];
    5/ D'un matin de printemps, pour orchestre [Chandos];
    6/ Pie Jesu, pour soprano (enfant) et orgue [EMI].

    Jacques (qui vous souhaite une bonne nuit)

  14. #14
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    A propos de Soir sur la plaine, composé en 1913, j'ai omis quelque chose dans mon précédent post : l'oeuvre est pour soprano, ténor, baryton, choeur et piano. Sinon, c'est surtout la soprano qu'on entend chanter, les solistes masculins n'intervenant qu'à de très rares moments. Autrement, je ne sais pas si je délire complètement mais en la réécoutant j'ai trouvé que cette pièce avait parfois "des airs de Damoiselle élue à laquelle auraient été ajoutées diverses couleurs tirées des Trois poèmes de Stéphane Mallarmé" ()...

    Quant à l'Hymne au soleil, qui remonte à 1912, le traitement du choeur conduit à penser que Lili Boulanger avait peut-être assisté, l'année précédente, à l'une des représentations du Martyre de Saint Sébastien, bravant l'interdit ecclésiastique dont cette oeuvre était alors frappée ()...

    Jacques

  15. #15
    Membre Avatar de Jacques
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    Difficile d'évoquer Lili Boulanger sans dire et montrer aussi deux ou trois choses concernant son extraordinaire soeur aînée, Nadia, communément appelée "Mademoiselle" ...

    Le moins que l'on puisse dire, c'est que la dame avait un caractère bien trempé. Du moins, la "méchante" () n'hésita pas à sortir ses griffes à l'encontre de deux illustres compositeurs, Debussy (parce qu'il aurait fait obstacle à sa nomination à un poste qu'elle convoitait) et Ravel (parce qu'il avait oublié, en quittant une réunion, de dire au revoir à Raoul Pugno).

    Voici la lettre que le pauvre Debussy avait dû écrire à Nadia Boulanger pour se justifier et tenter d'apaiser son courroux () :



    Nadia Boulanger ne faisait pas non plus les choses à moitié... L'un de ses élèves (je ne me souviens plus lequel) raconta un jour que si vous vouliez étudier avec elle les Valses nobles et sentimentales de Ravel il fallait compter sur une année entière de travail au minimum ( ) !

    On se demande aussi, en pensant à elle, quelle personnalité du monde musical de son époque elle n'a pas fréquentée ()... Les photos qui suivent ne sont qu'un faible échantillon de l'ensemble, mais elles en donnent déjà une certaine idée, il me semble .

    Voici donc "Mademoiselle"...

    - avec Gabriel Fauré / avec Igor Stravinsky / avec Walter Piston, John Carpenter, Roy Harris et Serge Koussevitzky :


    - avec notamment Arthur Honegger, Albert Roussel et Darius Milhaud / invitée chez Madeleine et Darius Milhaud (Stravinsky était présent lui aussi) :


    - avec Aaron Copland, Virgil Thomson et Walter Piston / donnant une "master class" en compagnie de Georges Enesco :


    - avec Emil Guilels / avec Sviatoslav Richter (à l'arrière on aperçoit Emile Naoumoff, à l'époque âgé de 13 ans, dernier élève de Nadia Boulanger) :


    - avec Zoltán Kodály, Ursula Vaughan Williams et Arthur Bliss / avec Leonard Bernstein :



    Jacques

  16. #16
    Membre Avatar de thierry h
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    Merci Jacques ! C'est peut être couillon mais je trouve toutes ces photos très touchantes...



    Pas mal la photo d"Enesco 15 mètres sous le clavier... maintenant on sait que Glenn Gould était un admirateur du Grand Enesco !!!!

  17. #17
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    Citation Envoyé par thierry h Voir le message
    Pas mal la photo d"Enesco 15 mètres sous le clavier... maintenant on sait que Glenn Gould était un admirateur du Grand Enesco !!!!
    !!!

    Jacques

  18. #18
    Membre Avatar de Jacques
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    Il y a une quinzaine d'années, sous la dénomination "Patrimoine", le label Naxos consacrait à la musique française peu connue une importante série de disques souvent d'excellente qualité et sur lesquels je m'étais évidemment précipité (). Et à raison d'un disque par compositeur (parfois même deux, comme dans le cas de Roger-Ducasse), j'avais acheté les volumes consacrés notamment à : Louis Aubert, Alfred Bruneau, Maurice Emmanuel, Raphaël Fumet, Jacques Ibert, Vincent d'Indy, Charles Koechlin, Silvio Lazzari, Paul Le Flem, Henri Rabaud, Jean Roger-Ducasse et Joseph-Guy Ropartz.

    J'avais aussi acquis le volume intitulé "Cantates inédites du Concours de Rome" (avec des compositions de jeunesse de Debussy, Ravel et Caplet), ainsi que celui-ci, montré recto/verso, dont je me demande bien comment j'ai pu l'oublier en commençant ce fil () :





    Oubli réparé .

    Jacques

  19. #19
    Administrateur Avatar de Philippe
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    Citation Envoyé par Jacques Voir le message
    Il y a une quinzaine d'années, sous la dénomination "Patrimoine", le label Naxos consacrait à la musique française peu connue une importante série de disques souvent d'excellente qualité (...)
    Jacques

    Une discussion sur la collection Naxos Patrimoine avait été ouverte ici, - mais elle est restée plutôt confidentielle ...

    En ce qui concerne Lili Boulanger je ne peux qu'encourager ceux qui comme moi ne connaissaient pas ses oeuvres, à écouter la petite sélection proposée par Jacques sur son compte Simplify Media ; c'est ce que j'ai fait moi-même hier soir, et j'ai découvert des oeuvres de toute beauté

    L'occasion de remercier ici tous ceux qui, comme Jacques, nous font découvrir tant de belles choses grâce à ce formidable outil de partage !

  20. #20
    Membre Avatar de hideux67
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    Citation Envoyé par Philippe Voir le message
    Jacques

    Une discussion sur la collection Naxos Patrimoine avait été ouverte ici, - mais elle est restée plutôt confidentielle ...
    Tellement confidentielle que lorsque j'essaye d'y accéder, le message suivant apparaît :

    "
    hideux67, vous n'avez pas la permission d'accéder à cette page. Ceci peut être dû à plusieurs raisons :
    1. Vous n'avez pas la permission d'accéder à la page que vous essayez d'afficher. Êtes-vous en train d'essayer de modifier le message de quelqu'un d'autre ou d'accéder à des options d'administration ? Vérifiez que vous êtes autorisé à effectuer cette action dans les règles du forum.
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    "

    C'est la soirée du patrimoine ?

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