Envoyé par
Kilgore Trout
Je répondais sur l'isolement supposé de Ives. Il est indéniable qu'une majorité de son art - superficiellement, la présence massive et pas du tout gratuite d'hymnes et de mélodies populaires en est la preuve - provient de son environnement direct. Mais je ne pense pas qu'on puisse dire qu'il vienne des musique de la renaissance. On n'est pas certain qu'ils les aient bien connu et si c'est le cas, c'est lors de ses études à Yale alors que ses premiers essais polytonaux datent de son adolescence.
Qu'il se soit reconnu dans les oeuvres de la renaissance ne serait pas surprenant mais cela confirmerait une disposition intérieure plutôt que naître un esprit capable d'innovation. Et cette disposition naît dans l'articulation des deux pôles qui lui ont été instruits par son père, l'expérimentation dans les systèmes musicaux à partir des recherches contrapuntiques, et la mélodie "populaire", diatonique et simple. Ses innovations ne sont pas transposées, il n'y a pas d'application de techniques apprises chez d'autres à la musique qui l'entourait - ou cela serait le réduire à un compositeur de parodies. Je pense que ses innovations naissent plus profondément, dans une pratique du contrepoint qui remonte au moins à son adolescence. S'il y a dérivation, elle est ici, dans ce geste là, dans cette confrontation à un matériau donné à tous, les musiques de la renaissance pouvant constituer un ensemble de méthodes ou de formes de pensées qui s'additionnent et nourrissent sa propre pensée plutôt qu'une source de techniques propres à être réutilisées ou un arrière-plan historique et esthétique. S'il faut poser comme provenance essentielle de l'esthétique de Ives les musiques de la renaissance, il faut réfléchir le rapport à ce matériau donné (qui est quand même évident dans cette musique et même fondateur des oeuvres)... et pour moi ca ne fonctionne pas, ce n'est pas dans cette dynamique là qu'est posée cette musique. Le travail expérimental est conjoint et indivisible de l'usage de la musique "locale" et il n'y a pas un rapport de face à face entre deux provenances, renaissance d'un côté - populaire de l'autre. Et le lieu qui fait la jointure est la pensée d'un contrepoint totalement élargi et sorti des règles traditionnelles.
En ce sens, je ne pense pas qu'on puisse dire que Ives vient des contrapuntistes de la Renaissance et encore moins que ses innovations dérivent de leur musique - ce qui serait quand même lui supprimer une grande partie de son génie et en faire une sorte d'épigone brillant et farfelu mais un peu vain, ou un "néo-contrapuntiste". Cette provenance là n'est pas historique et Ives vient de beaucoup d'endroits mais surtout de lui-même et d'une intégration extrêmement personnelle des techniques contrapuntiques qu'il découvre d'abord dans la musique religieuse de son temps et ensuite ailleurs au fil de ses études et de ses travaux. Je serais par contre et de fait d'accord pour faire une analogie esthétique plus lointaine qui le classerait dans les grands penseurs du contrepoint, avec certains compositeurs de la renaissance mais aussi un Schönberg.
Ce qui est peut être ce que vous vouliez dire!