La musique classique américaine compte peu d'afro-américains, dans un sens ça nous a ailleurs valu de remarquables jazzmen, genre dans lequel ils pouvaient s'exprimer librement. Dans un autre, le fait que tout cela soit le fait de la ségrégation raciale qui a sévi aux USA jusqu'en 1967, mine de rien, est évidemment consternant.
C'est dans ce contexte pour le moins défavorable que William Grant Still se décide pour une carrière de compositeur classique, parallèlement à celle d'arrangeur de musique de film - il fut paraît-il un des orchestrateurs de Tiomkin, et il faut signaler quand même que son nom ne figura jamais aux génériques.
Je cite un passage de l'article "Ségrégation raciale aux Etats-Unis" de la Wikipedia qui dépeint de façon assez terrifiante le climat qui régnait du temps de la jeunesse de Still, ça permet de situer un peu le contexte :
Ils étaient aussi exclus des restaurants, des bibliothèques, des jardins publics (où l'on pouvait lire des signes tels que "Negroes and dogs not allowed", "les Nègres et les chiens ne sont pas admis"). Les Noirs devaient systématiquement s'effacer devant les Blancs, en laissant le passage dans la rue, tandis que sous aucun cas un homme noir ne pouvait regarder dans les yeux une femme blanche. On les appelait "Tom" ou "Jane", mais jamais Monsieur, Madame ou Mademoiselle.
L'historien Howard Zinn précise qu'« entre 1889 et 1903, deux Noirs, en moyenne, étaient assassinés chaque semaine (pendus, brûlés vifs ou mutilés) »[1].
La musique de Still, bien écrite, très formelle, est rarement passionnante, il faut l'admettre. Subissant dans une première période l'influence de Delius, et dans une deuxième celle de Copland. La question qui se pose est : pouvait-il en être autrement ? Je ne suis pas spécialiste de l'histoire des USA, mais j'aurais tendance à croire que le contexte dans lequel Still a écrit devait être extraordinairement restrictif et frustrant.
Il faut souligner que c'est Howard Hanson et son Rochester Orchestra qui dès le début des années 30 a pris l'initiative de jouer les symphonies de Still, ce qui avait créé l'événement à l'époque - ça en accroit d'autant mon admiration pour Hanson.
J'ai donc écouté ses symphonies, et les dernières voient percer une réelle personnalité musicale derrière un style par ailleurs très conformiste et discipliné. Dans le détail ça donne ceci (en image la version que j'ai entendue) :
Symphonie n°1 "Afro-American" (1930 - 24')
Plaisant, du Delius avec des accents jazzy, très doux et calme, mais jamais impressioniste ou diffus, tout est clair et tranché. L'élément africain reste très circonscrit au jazz et tout à fait anecdotique; à aucun moment d'ailleurs, Still ne se risquera à utiliser vraiment la musique africaine. L'oeuvre fut créée par Hanson en 1931, il sera suivi pas plusieurs de ses collègues ensuite, mais il faut insister là sur le rôle de pionnier qu'a joué Hanson dans un contexte hautement défavorable.
Symphonie n°2 "Song of a New Race" (1937 - 32')
Cette fois c'est complètement du Delius, très agréable mais sans grande originalité.
Symphonie n°3 "The Sunday Symphony" (21' - ?)
Celle-là n'est pas facile à trouver, elle est sortie chez le très discret label Cambria. Je ne suis pas parvenu à mettre la main sur sa date de composition. Très coplandien 1ère période, la symphonie illustre un dimanche avec le réveil, la messe, la détente et la soirée; naïf mais agréable. Elle ne fut jamais jouée du vivant de Still.
Symphonie n°4 "Autochtonous" (1947 - 26')
Ca devient plus intéressants : beaucoup de très beaux passages lents à la nostalgie pastorale très coplandienne, parfois influencée par le Chicago jazz; globalement une oeuvre sans effets, presque intimiste, avec des colorations harmoniques dorées tout à fait particulières.
Symphonie n°5 "Western Hemisphere" (1945 - 20')
Composée avant la 4 apparemment. C'est la plus belle des cinq : un langage vraiment original; fait de gravité étrange, clair et décidé avec des passages Americana plus amples et optimistes qui ont des couleurs appaisantes de coucher de soleil sur le Mississipi.