Ca faisait longtemps que je ne m'étais pas étalé sans scrupules dans un long panorama - faute de temps - mais l'effet conjugué du froid polaire et des vacances de Noël aidant, voici donc une petite visite guidée à travers l'oeuvre d'un compositeur norvégien méconnu dans nos contrées : Harald Saeverud (1897-1992).
D'un point de vue général, son oeuvre se caractérise par une forte acidité des timbres et des harmonies, un exceptionnel sens rythmique, un génie des couleurs froides, et un sens mélodique très distancié voire rebutant.
Barbirolli disait de lui :
Whether you like Sæverud's music or not, there is never any doubt about who has written it, and this can be said about very few composers today
en d'autres termes :
Que vous aimiez la musique de Saeverud ou pas, il n'y a aucun doute quant à savoir qui l'a écrite, et aujourd'hui on ne peut pas en dire autant de beaucoup de compositeurs.
Ce qui me semble très vrai : la musique de Sæverud est parfaitement originale et personnelle, il a son langage et on ne l'a pas entendu ailleurs. C'est parfois un peu déconcertant, ça fait un effet vaguement comparable à celui que l'on ressent quand on mange une pomme pas mûre, mais je crois que plus on l'écoute plus on l'aime. D'ailleurs au début je trouvais ça naze.
Je commence par les symphonies - comme toujours, il ne s'agit que d'impressions d'écoutes tout à fait subjectives (je le répète, on ne sait jamais) :
Symphonie n°2 (1922 - 24'):
Une oeuvre au langage déjà affirmé : envolées épiques glacées, évocations bucoliques enneigées, violons et flûtes acides entrelacés, rythmique à la fois complexe et carrée, contrepoints insaisissables, et très grande cohérence d'ensemble.
Symphonie n°3 (1925 - 44'):
Après un magnifique crescendo feutré dans les premières minutes, la scène se fait progressivement triste et désolée, avec un magnifique et très long solo de hautbois sur des nappes de cordes résignées. La fin est plus violente, avec des rythmes cinglants et implacables. Encore une fois très beau. C'est la plus longue de la série
Symphonie n°4 (1937 - 23'):
(même cd que la 2)
Des sonorites de cordes acides et parfois ternes, mais avec parfois une dynamique tres reussie et des lumieres froide assez austères. C'est d'ailleurs la symphonie la plus distanciée et la moins facile d'accès (et pour tout dire la moins réussie).
Symphonie n°5 "Quasi una fantasia" (1941 - 26'):
Toujours très austère et très sec, mais avec des effets mélodico-rythmiques très percutants et pour tout dire assez impressionnants : ce côté rocailleux et froid est sa marque de fabrique, et c'est assez unique. On est dans des cordes aux harmonies acides, avec une caisse claire, ponctuellement colorés de bois. Le coffret ci-dessus réunit les symphonies 4 à 8 et plusieurs oeuvres orchestrales.
Symphonie n°6 "Dolorosa" (1942 - 12'):
Appelée ainsi car composée pendant la guerre, lors de laquelle Sæverud prit clairement position contre l'occuppant. D'abord sur un lent choral de cordes assez déprimé, dans un genre apathétique, puis un passage rythmique très vif et tranchant vraiment superbe, et une conclusion en apothéose sur des cuivres massifs à la Shostakovich.
Symphonie n°7 "Psalm" (1945 - 19'):
Une autre oeuvre de guerre. Etonnamment tonale, quoique dans un climat très aride, polarisé sur des cordes acides : des thèmes magnifiques, une tension dramatique qui va crescendo, et toujours cette froideur distanciée
Symphonie n°8 "Minnesota" (1958 - 38'):
La plus belle à mon avis. On retrouve le style rèche et acide de Sæverud, mais illuminé par un soleil de matin froid; c'est superbement maitrisé et original. : I- ondulations de cordes fines qui s'entrelacent comme des voiles qui filtrent la lumière II- Toujours très ramassé, avec de superbes passages de cuivres doux et de cordes acides. III- Plus vif IV- Encore plus vif dans un registre qui se rapproche des danses à la Copland.
Symphonie n°9 (1966 - 29'):
Sombre, brutal, complexe avec toujours ces textures translucides où tout s'entend; un style inimitable qui par moments fait penser à Holmboe, transposé dans un monde beaucoup plus réfrigérant. Magnifique.
Il n'existe à ma connaissance pas d'enregistrement de la première symphonie.