Dans une oeuvre très classique, soit.
Mais on peut tout à fait concevoir qu'une monodie existe pour elle même, et qu'elle peut aussi être phrasée car ses intervalles propres suffisent pour créer les tensions et détentes nécessaires à sa conduite.
Et que l'harmonie sous-entendue n'apporte rien si on la joue (début du Petit Berger ou de Bruyères par exemple)
ou qu'elle n'existe pas (musique sérielle)
C'est pourtant extrêmement conduit, individualisé et globalisé à la fois, à très court et à long terme, c'est justement ça qui est très fort !Si la conduite harmonique, empiriquement, semble toujours venir des épaules et de tout le tronc (ce qui ne signifie pas que tout cela bouge, d'ailleurs), il y a bien une raison: c'est que les mains et leurs doigts respectifs, avec tout le travail et la meilleure volonté du monde, se comportent de façon séparée et se parasitent plus qu'autre chose. Aucune conduite musicale au piano ne peut s'accomoder d'une obsession de "ce que fait chaque main" aussi extraordinaire soit le niveau auquel cela est réalisé (raison pour laquelle le Bach de Gould me hérisse).
Pas sûre d'être d'accord avec tout ça.C'est peut-être là la chose dans toute la sphère des problèmes du piano qui me parait la plus essentielle et évidente. Il suffit de regarder et d'écouter les triolets du début - passage où, je pense, il est impensable que le pianiste conduise ses gestes d'après les notes qu'il a à jouer, car ce qu'il a à conduire en réalité, c'est le mouvement harmonique des cordes. Ses notes, ses doigts (qui ne bougent guère, ils sont juste flasques, quasi passifs) il s'en fiche, il gère le poids de son corps, l'amortissement, l'oreille fait le reste. Puis tout le passage de 2'30 à 4'10:
Qu'est-ce qu'on peut ajouter à ça. Le piano dans ce qu'il y a de plus essentiel, c'est ça. Quand Gilels jouait seul, il conduisait toujours la marche harmonique des cordes derrière lui...
Ca m'étonnerait bien que Gilels ait les doigts flasques, ou seulement mous, ça ne sonnerait pas du tout.
Pour moi, même s'il pense "global", et si le geste de son bras, global lui aussi, part de l'épaule, plus on se rapproche du bout des doigts, plus c'est détaillé. A l'intérieur de chaque accord, les doigts sont hyper précis, se plaçant comme ci, puis comme ça, pour faire sonner plus ou moins telle note.
Simplement, il a des sensations tellement aiguisées, des "antennes au bout des doigts", que cela ne voit guère.