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Discussion: Ysaÿe

  1. #1
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    Ysaÿe

    Il est probable que j'aie tort de me répandre encore une fois sur un sujet qui n'est pas encore ouvert, mais disons qu'une admiration récente pour Eugène Ysaÿe me pousse à ouvrir ce sujet non encore maîtrisé:

    Le site de Lorenzo Gatto (car il existe un site http://www.lorenzogatto.com)
    annonce ainsi le concert du 28 janvier prochain à Liège:


    Location : Salle Philharmonique - Liège - Belgium 8pm

    YSAYE, Sonata for solo violin No.1 (Lorenzo Gatto)
    YSAYE, Sonata for solo violin No.2 (Tedi Papavrami)
    YSAYE, Sonata for solo violin No.3 (Yossif Ivanov)

    ******** Break *********

    CHAUSSON, concert for violin, piano and string quatuor
    Vanessa Wagner, piano
    Kirill Troussov, violin
    Lorenzo Gatto, violin I
    Alina Pogostkina, violin II
    Patrick Heselmans, viola
    Pieter Wispelwey, cello

    ******** Break *********

    YSAYE, Sonata for solo violin No.4 (Alina Pogostkina)
    YSAYE, Sonata for solo violin No.5 (Valeriy Sokolov)
    YSAYE, Sonata for solo violin No.6 (Kirill Troussov)

    Information: click here

    Comme je suis réduit à un état passif et que je ne me déplace plus que sur les petites roulettes de l'imagination,il se trouvera peut-être quelques locaux pour s'y rendre à ma place: il m'apparait que les intervenants réunissent les talents les plus exceptionnels du violon contemporain.

    A l'occasion de ce concert, le philharmonique de liège, (ses représentants, son directeur artistique, que sais-je?) avaient besoin d'un texte de présentation des Sonates pour violon seul d'Ysaÿe, mais les contraintes de place ne permettant qu'un espace limité, je me suis laissé débordé par l'enthousiasme, et maîtrisant mal le sujet, j'ai dû , dans un premier temps m'expliquer à moi-même l'intérêt que présentait ce corpus.
    Comme personne ne lira jamais le texte original, j'ai décidé -foin du suspense!- de le livrer ici comme base éventuelle de discussion...

    Dernière modification par sud273 ; 19/12/2010 à 21h24.

  2. #2
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    Ysaÿe, virtuose compositeur ou compositeur virtuose ?


    Le 4 mars 1931, Eugène Ysaÿe, ne put assister à la création de son opéra Pierre le mineur (Pière li Hoyeû) au Théâtre Royal de Liège ; grâce à une liaison radiophonique avec la clinique du docteur Laruelle, il put néanmoins s’adresser au public de son lit d’hôpital, tandis que son portrait géant était projeté devant le rideau de scène. Le 25 avril suivant, lors de la représentation à La Monnaie, on transporta sa civière dans sa loge afin qu’il pût entendre, sur le vif, l’œuvre qu’il avait méditée durant une cinquantaine d’années, dernier opéra vériste au sujet sombre et social, dont il espérait qu’il relancerait l’usage de la langue wallonne au théâtre lyrique, lequel ne l’avait jusqu’alors utilisée que pour la farce. Miné par le diabète, qui l’avait déjà condamné à l’amputation du pied droit, Ysaÿe mourut dix-sept jours plus tard.
    Cet ultime hommage, rendu possible par la volonté de la reine Elisabeth dont il était le conseiller musical, le professeur de violon et le collaborateur dans la fondation du fameux concours qui prendrait successivement leur nom, résumait la destinée extravagante d’un compositeur –aujourd’hui encore ignoré- qui fut le plus grand virtuose de son temps, l’un des fondateurs du futur orchestre philharmonique de Berlin, comme le chef principal de celui de Cincinatti de 1918 à 1922, et l’infatigable animateur du Cercle des Vingt qui révolutionna la vie artistique européenne, faisant de l’axe Paris-Nancy-Bruxelles le vecteur de la musique moderne et de l’Art Nouveau.

    Né à Liège, le 16 juillet 1858, dans la plus grande misère, troisième rejeton de quatre, d’un père tailleur le jour et musicien de brasserie la nuit, qui lui inculqua l’art du violon à coups de trique, ayant vu mourir sa mère en couche alors qu’il n’avait que dix ans, renvoyé du conservatoire de Liège et contraint de s’exercer dans une cave, Eugène Ysaÿe courut longtemps le cachet, de la cathédrale aux bals populaires, avant qu’Henry Vieuxtemps, de passage à Liège, n’entende s’échapper du soupirail de la maison Ysaÿe la redoutable partie soliste de son 5ème concerto et ne frappe à la porte, emportant dans son sillage le jeune prodige de quatorze ans devenu aussitôt son élève, puis celui de Wienawski, lorsque la paralysie empêcha Vieuxtemps de poursuivre son enseignement, mais non de présenter son protégé au tout-Paris musical, Lalo, Chabrier, d’Indy, Duparc, Fauré, Chausson, et Debussy déjà. En cette année 1876 qui voit la création de Bayreuth, Ysaÿe a 18 ans. Il ne tient pas en place : trois ans plus tard, devenu premier violon de l’orchestre du Konzerthaus de Berlin, où il s’est produit devant l’Impératrice sur la recommandation du poète Jules Laforgue, il n’écoute ni Saint-Saëns, ni Clara Schumann, ni Joseph Joachim ou Liszt devenus ses intimes, et entame avec Anton Rubinstein des tournées triomphales en Scandinavie et en Russie. L’ennui a parfois d’heureuses conséquences : c’est à son retour à Berlin qu’Ysaÿe esquisse ses premières compositions. Abandonnant le confort financier dont bénéficie toute sa famille (son jeune frère Théo, pianiste, dont il finance les études en Allemagne, sa sœur, comédienne à Anvers) il démissionne de son poste pour regagner Paris, expliquant à son père : « Pour vivre, j’ai besoin de m’appartenir, de n’être sous aucun joug. Il me faut courir, courir toujours sans jamais m’arrêter, le même soleil m’endort, d’autres cieux me raniment. »

    Le catalogue officiel d’Eugène Ysaÿe ne compte que 28 numéros d’opus, mais de très nombreuses œuvres non publiées dorment encore dans les tiroirs. On considère, à tort, que, comme Kreisler, Ysaÿe n’a produit que des œuvres pour son propre instrument, des adaptations ou des transcriptions: ce malentendu est aggravé par le fait que ses nombreux Poèmes sont presque toujours présentés dans leur version réduites avec accompagnement de piano, alors qu’il est, quoique autodidacte en la matière, un des plus brillants orchestrateurs de son temps.
    Nul doute qu’Ysaÿe puisa ces compétences dans l’étude des innombrables partitions qui lui furent dédiées par ses contemporains, œuvres dont il fut parfois le commanditaire : en plus du célèbre Poème -(directement inspiré par le Poème élégiaque opus 12 d’Ysaÿe) et que le virtuose défendit dans le monde entier au point de refuser de se produire si les organisateurs de concerts n’acceptaient pas de l’inscrire à ses programmes-, Chausson lui dédia son Concert opus 21, Debussy son Quatuor, il reçut en cadeau pour son premier mariage la Sonate de Franck, commanda celle de Lekeu (et le quatuor inachevé). Son nom figure sur les Sonates de Magnard, Vierne, Dubois, Jongen, Lazzari, Ropartz, Samazeuilh, en tête des Quatuor opus 35 de d’Indy, et opus 112 de Saint-Saëns, du Quintette opus 89 de Fauré : c’est dire le rôle capital qu’Ysaÿe joua pour imposer la musique de son temps, et la connaissance qu’il en eut. Tous les courants musicaux des années 1880 à 1920, symbolisme, impressionnisme, et expressionnisme se reflètent dans l’œuvre qui résume son parcours et les innovations techniques qu’il apporta à ce qu’on appelle aujourd’hui l’école franco-belge du violon, les Six sonates pour violon seul publiées en 1924 par son fils, éditeur de musique à Bruxelles et futur biographe, Antoine.


    Les six Sonates opus 27

    Lorsqu’Ysaÿe entreprend la composition de ses six Sonates, ses apparitions en concert se sont raréfiées ; la société de concerts qui porte son nom a dû, faute de public suffisant, suspendre ses activités, et Eugène fait face à la concurrence de son propre fils Théodore, qui organise des « Séances Ysaÿe » en abusant de la publicité de son nom. Il consacre ses dernières forces à la constitution d’un trio avec Yves Nat et Maurice Dambois (à l’intention duquel Ysaÿe rédigera sa dernière œuvre officiellement répertoriée, la Sonate pour violoncelle seul opus 28) : après plusieurs tournées d’adieu difficilement remplies, « grand Pépère », comme le surnommait Nat, remontera sur scène pour une dernière apparition en 1927 sur la sollicitation de Pablo Casals, à l’occasion du centenaire de la mort de Beethoven. A Paris, Salle Gaveau, il jouera une dernière fois les dix sonates en trois séances avec une jeune pianiste encore peu connue, Clara Haskil.

    L’impulsion présidant à l’écriture des Sonates serait due à l’impression laissée par un récital consacré à Bach par Joseph Szigeti, d’où la dédicace à ce virtuose de la pièce initiale du cycle, rédigée dans sa villa du Zoute en 1923. La légende voudrait qu’Ysaÿe ait jeté sur le papier les esquisses des six œuvres en une seule journée, permutant ensuite pour la publication la place des sonates n°2 et 4. La référence à Jean Sébastien Bach est pleinement assumée, non seulement dans les citations des sonates et partitas du Maître mais aussi dans cette note rédigée avant même le passage à l’écriture : « Le génie de Bach effraie celui qui serait tenté de suivre une voie identique. Il sait qu'il y a là un sommet difficile à atteindre. Comment se dégager d'une influence dominatrice qui fera, fatalement, que si l'on veut écrire pour instrument seul, on écrira à la manière de...? » Afin de dépasser cet inévitable écueil, Ysaÿe conciliera l’hommage au compositeur avec celui aux interprètes, se plaçant sous la tutelle du Paganini des Caprices, et adaptant son style à chacun des virtuoses dédicataires des six pièces, tout en faisant alterner des formes élaborées par les compositeurs modernes, non sans y inclure des éléments empruntés au folklore et à la musique traditionnelle, ce qui pourrait laisser supposer qu’Ysaÿe aurait pu rencontrer au cours de ses voyages l’une au moins des Trois Sonates opus 3 pour violon seul d’Ivan Kandoshkin, alors totalement oublié en Europe occidentale.


    Sonate n°1 en sol mineur (à Joseph Szigeti)

    1-Grave 2- Fugato 3- Allegretto poco scherzoso 4- Finale (con brio)

    Cette sonate peut apparaître comme la plus directement liée au modèle puisqu’elle reprend la tonalité de la première sonate de Bach (virant à la relative majeure de si bémol pour le troisième mouvement, plus vif qu’on l’attendrait) et la structure traditionnelle de la « sonate d’église » avec son fugato obligé. N’est-elle pas cependant plus caractéristique du néo-classicisme et du « retour à Bach » tel que Stravinsky le prône précisément au début des années 20 ? Malgré les figurations typiques de Bach, l’harmonie y est surprenante dès le quadruple accord d’entrée par l’insistance motivique dissonante des successions de secondes mineures, et l’effet d’étrangeté fantomatique de la récapitulation sul ponticello comme de la ponctuation finale non résolue. Après la polyphonie angoissée du fugato le « scherzo-fantaisie » porte la marque « Amabile » : la section centrale de ce troisième mouvement contient quelques effets glissés proches du jazz des plus saisissants. Le finale, Allegro fermo, traditionnel par son thème à 3/8, tend vers une modalité et une liberté de ton évoquant la musique hongroise, allusion à la nationalité du dédicataire, même si Szigeti, qui créditait Ysaÿe de la qualité, selon lui devenue rare, d’être, en plus d’un virtuose, un musicien, reconnaissait dans les traits de sixtes en double et triple cordes, exigeant de périlleux changements de doigté, une caractéristique du jeu d’Ysaÿe plus que de son propre style.



    Sonate n°2 : « Obsession » en la mineur (à Jacques Thibaud)

    1-Prélude (poco vivace) 2- Malinconia (poco lento) 3- Danse des Ombres (Sarabande) 4-Les Furies (Allegro furioso)

    Longtemps demeurée la plus connue du groupe, cette sonate cite dans ses deux premières mesures le prélude de la Partita en mi majeur de Bach, par laquelle Thibaut commençait systématiquement ses sessions de travail, exploitant par une suite de transformations dont la brusque juxtaposition de l’allègre thème majeur et du dramatique motif mineur, la parenté thématique des premières notes du thème de Bach avec le Dies Irae grégorien, véritable « obsession » que martèlent les quatre mouvements de l’œuvre. Le Prélude fait coexister les deux textes au point de rendre évidente cette ressemblance. Malinconia (abattement, désespoir, mélancolie, forme de tristesse inconsolable qu’on aurait tendance à traduire par « Blues » en anglais) requiert l’usage de la sourdine, conduisant par une lente sicilienne vers une énonciation ad libitum du motif de plein chant sur une tenue de sol grave. La Danse des ombres présente le thème en pizzicati, dans une harmonisation majeure au caractère médiéval archaïsant avant que ne lui succède six courtes variations, la deuxième une Musette sur une pédale de sol amenant une variation en mineur, puis une suite haletante de traits en accélération conduisant à une récapitulation a l’arco. La virtuosité fulgurante du finale de caractère rageur, français et bohémien à la fois, évoque la longue introduction solo de Tzigane de Ravel, composé en 1924, année de publication des sonates. Dans le sombre portrait de virtuose diabolique à la Paganini en lequel Ysaÿe transforme Thibaut, n’aurait-il pas eu la prescience de la destinée tragique de cet autre phare de l’école française du violon, disparu, comme Ginette Neveu, avec l’un de ses Stradivarius, dans un accident d’avion ?




    Sonate n°3 en ré mineur « Ballade » (à Georges Enesco)

    Condisciple de Thibaud dans la classe de Marsick, mais aussi élève occasionnel d’Ysaÿe, Enesco est parvenu à faire oublier par la postérité son statut de virtuose d’exception au profit de celui de compositeur de premier plan. La sonate qui lui est dédiée est la plus courte de l’ensemble mais sans doute la plus originale. Premier sommet du cycle, elle s’éloigne de Bach pour épouser une forme en un mouvement unique au centre tonal relativement flou, qui fait référence par son sous-titre aux exemples illustrés par Brahms et Chopin. Sa structure n’épouse toutefois pas la forme ABA qu’adoptent les « Ballades » de ses prédécesseurs, mais elle évolue comme une sorte d’aria et cabalette précédée d’un récitatif sans barres de mesures qui flirte avec l’atonalité. Par son laconisme, son chromatisme extrême, son thème lyrique en rythme impair à 5/4 et sa technique de développement en variation continue, elle fait penser à la Sonate pour piano opus 1 d’Alban Berg, publiée dès 1910, mais dont la première parisienne attendit l’année 1922. « J’ai laissé mon imagination aller à sa guise » avouait Ysaÿe, retournant à cette forme diffuse post-lisztéenne, mais non narrative, dont il est le créateur, le Poème. Plus que toutes les autres cette sonate offre à l’interprète une occasion d’imprimer la marque de sa propre sensibilité, ce qui explique qu’on en entende des versions très différentes et justifie qu’elle ait peu à peu éclipsé en fréquence d’enregistrement la précédente. Le piège serait de n’y voir qu’une étude de virtuosité transcendante.

    A l’occasion du dernier cours d’interprétation qu’Ysaÿe prodigua à Georges Enesco, il fit cette déclaration en manière de testament : «La virtuosité sans musique est vaine. Toute note, tout son, doivent vivre, chanter, exprimer la douleur ou la joie. Soyez peintre, même dans les «traits» qui ne sont qu’une suite de notes qui chantent rapidement... De la musique avant toute chose ! Respirez à pleins poumons. N’enfermez point votre violon en vous, dégagez-vous en lui et parlez parfois pour lui et pour la musique».


    Sonate n°4 en mi mineur (à Fritz Kreisler)

    1- Allemande (Lento maestoso) 2- Sarabande (Quasi lento) 3- Finale (Presto ma non troppo)

    Conçue à l’origine comme la deuxième du groupe, cette sonate n’est baroque ou néo-classique que par les titres de ses premiers mouvements qui se réfèrent aux sections traditionnelles de la Partita en omettant certains passages tels Courante, Aria ou Gigue, observant dans sa structure le patron de la sonate romantique en trois mouvements, tout en imitant les suites dans le style ancien, très en vogue dans la musique française des années 1880, et que Kreisler pratiqua en rédigeant de nombreux « faux ». Parmi ses œuvres originales qu’il n’essaya jamais de faire passer pour des productions retrouvées de compositeurs anciens, son unique morceau destiné au violon seul, le Récitatif et Scherzo-Caprice opus 6, écrit en 1911, est justement dédié à Eugène Ysaye. On distingue de nettes ressemblances entre ce récitatif et l’introduction de l’Allemande de la sonate d’Ysaÿe, qui abandonne assez rapidement la mesure binaire pour adopter celle de 3/8 dès que le tempo s’anime. Ces similitudes se renforcent par le rapport que les deux pièces entretiennent avec la Chaconne en ré de Bach, ou du moins avec la vision qu’en avaient les virtuoses romantiques. Comme dans la sonate pour Thibaud, la Sarabande, construite sur un ostinato descendant de sol-fa-mi-ré répété à chaque mesure, s’énonce en pizzicati, mais la partition précise ici « avec vibrations » et il semble qu’Ysaÿe s’amuse à multiplier dans ce mouvement des traits caractéristiques du jeu de Kreisler, doubles cordes avec trilles, alternance d’harmoniques et de sons blancs sur la touche, comme il nourrit toute la sonate de citations qui confinent au collage. La Sarabande fait allusion au mouvement lent du Quatuor de d’Indy qui lui est dédié, le Finale s’éloigne vite de l’imitation de Gigue pour prendre une allure de Caprice viennois décalquant un motif du Scherzo-Caprice mais citant aussi textuellement le Prélude et Allegro de Kreisler (lui-même un pastiche de Pugnani).


    Sonate n°5 en sol majeur (à Mathieu Crickboom)

    1- L’Aurore (Lento assai) 2- Danse rustique (Allegro giocoso molto moderato)

    Mathieu Crickboom, natif de Verviers, l’un des proches de Lekeu, fut le disciple préféré d’Ysaye et longtemps le second violon de son quatuor. Dédicataire du Quatuor opus 35 de Chausson, il participa à la création de celui de Debussy. Il consacra l’essentiel de sa carrière à la musique de chambre, ce qui explique qu’on n’ait peu le souvenir de ses dons de soliste, sans doute exceptionnels, à en juger par la difficulté de l’œuvre qu’Ysaÿe choisit de lui dédier.

    Parfois surnommée “Pastorale” cette sonate est celle qui résiste le plus à l’analyse, et malgré une discrétion de surface, peut-être celle qui regarde le plus avant vers l’évolution des techniques d’interprétation et de composition. Surprenante par sa structure en diptyque, elle fonde son unité sur l’utilisation en guise de motif de la seul quinte vide sol-ré à laquelle se juxtapose la quarte mi-si, et du jeu que ces intervalles entretiennent avec l’accord de base des cordes du violon (sol ré la mi) d’où provient l’effet « d’aurore » qui gravite autour de l’idée d’un violon qui chercherait à se réaccorder constamment. Le premier mouvement est dominé par un élargissement progressif de l’échelle diatonique ascendante des mesures initiales, passant du motif ré-mi-si-fa à sa transformation en ré-sol-mi-si bémol pour s’éclaircir enfin en une série d’arpèges rayonnants. Parmi d’autres effets techniques innovants rendant une ambiance particulièrement « impressionniste », on trouve l’utilisation des pizzicati mains gauche, des glissandi et tremolos harmoniques, et de slaps percussifs dont on attribue en général la paternité à Bartok.. L’autre élément qui lie ces deux mouvements est la constante asymétrie des mesures. L’indication « mesure très libre » en tête de l’Aurore ne fait que souligner le double chiffrage 4/4 3/4 à l’armature, l’alternance demeurant des plus irrégulières. La Danse rustique (avec la marque Bien rythmé) fait alterner cinq mesures à 5/4 suivies d’une mesure à 7/4 et un système de mesures à 3/4 , 4/4 et 6/4 anticipant la technique des « mètres variables » telle qu’elle sera théorisée par Boris Blacher. La « rusticité » de cette danse qui ne cesse de boiter que dans sa section centrale curieusement évocatrice à nouveau des arpèges descendants de Tzigane de Ravel, est donc contrairement à ce que tente de faire croire son titre, d’une élaboration des plus savantes et raffinée.


    Sonate n°6 en mi majeur (à Manuel Quiroga)

    Si l’on tient pour véridique que la conception du corpus aurait occupé Ysaÿe l’espace de 24 heures, il n’est pas exclu qu’il ait envisagé l’ensemble comme un programme de concert auquel il aurait réservé un finale en feu d’artifice, d’un brio confinant au clinquant. Dans l’économie interne du cycle, la sixième sonate, un temps intitulée Fantaisie, répond symétriquement à la troisième dont elle est le pendant, par son mouvement unique de ballade rhapsodique et le caractère latin démonstratif qui la rend si singulière. Cette étude flamboyante en forme de habanera est à travers son dédicataire Manuel Quiroga, le plus célèbre virtuose espagnol de son temps, un hommage à la patrie de Sarasate et Falla, mais aussi à l’école française qui compléta leur formation (Quiroga, qui y côtoya Enesco, obtient son premier prix du Conservatoire de Paris en 1911, devant un jury composé pour partie de Fauré et Kreisler). Plus qu’au véritable caractère ibérique, la dernière sonate tire un coup de chapeau rétrospectif à l’Espagne de Bizet, Lalo, Saint-Saëns et Ravel, et aux années de jeunesse et de formation d’Ysaÿe. Comment, à l’évocation de cette Espagne de fantaisie, Ysaÿe pourrait-il oublier qu’il reçut de Sarasate, la dédicace de ses Airs écossais opus 34, et qu’Albeniz avec qui il ne joua qu’une fois en concert à Berlin, fut un de ses familiers et l’accompagnateur régulier du quatuor Crickboom ?

    Il ne s’agit pas de minimiser l’importance historique de Manuel Quiroga, attestée par le disque, et qui reçut d’autres témoignages d’admiration de ses contemporains, parmi lesquels les dédicaces des sonates de Granados et de Paul Paray : les difficultés techniques déployées montrent assez le respect du vieux maître pour les qualités techniques du jeune homme, mais n’y a-t-il pas une attitude de défi à vouloir afficher une virtuosité si patente, comme à prendre in extremis pareille distance avec Bach, alors que Quiroga préférait à tout autre le répertoire pré-beethovenien ? La présence des harmonies modales risquées qui donnent à l’introduction un léger aspect de caprice russe expliquent-elles que Quiroga, dont la carrière se poursuivit encore six ans après la mort d’Ysaÿe, ne jouât jamais sa sonate ? Il fut également frappé par le destin : le 8 juin 1937 à New York, alors qu’il venait de quitter le pianiste José Iturbi à Time Square, un camion le renversa. Il ne put jamais retrouver le plein usage de son bras droit, et consacra les vingt-cinq dernières années de sa vie à la composition de pièces brèves (danses espagnoles, argentines et cubaines) et à la peinture, exploitant un don de dessinateur et de caricaturiste qu’il possédait depuis son plus jeune âge.

    Les enregistrements, autrefois rares, des Six sonates opus 27 d’Eugène Ysaÿe par le même violoniste, se sont multipliés ces dernières années (outre les précurseurs, Ruggiero Ricci et Gidon Kremer au milieu des années 70, et pour n’évoquer que ceux qui ont eu le plus important écho critique, on peut citer parmi les enregistrements intégraux, dans l’ordre de publication, les versions d’ Oscar Shumsky, Lydia Mordkovitch, Yuval Yaron, Frank Peter Zimmermann, Philippe Graffin, Leonidas Kavakos, et Thomas Zehetmair), mais le concert auquel vous allez assister demeure une expérience unique et qui a valeur de création. Conformément à l’intention d’origine, six des plus grands virtuoses de notre temps vont se succéder, chacun s’appropriant « sa » sonate et incarnant, en plus du fragment kaléidoscopique du portrait géant de ce compositeur qui fut le dernier représentant de l’artiste romantique, le rôle du grand interprète pour qui chaque section fut taillée sur mesure.
    Peut-être par la variété de leurs dons complémentaires, parviendront-il ensemble à vous faire entrevoir cet idéal approché dans la douleur et l’étude, conformément à la description qu’en fit Eugène Ysaÿe dans cette confidence introspective rédigée à Moscou en 1907 : « Plus je joue, plus on m’aime, plus on m’acclame, plus je pense, plus je souffre, plus je voudrais atteindre cette perfection dont le sourire tend vers l’artiste ses charmes, qui s’évanouit aussitôt à l’instant même où l’on croit la tenir, la posséder, comme une amante longuement désirée et qu’on ne vit jamais face à face». Songez-y au moment d’applaudir !

  3. #3
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    Le 28 janvier, à Liège, ça peut se faire
    (quoique je bosse en principe le vendredi soir ... va falloir négocier)


    Ça intéresse qqun d'autre ?
    Un meeting MQCD à Liège, c'est tentant

    (Fred, un petit effort, c'est pas si loin que ça de chez toi )

  4. #4
    Membre Avatar de Amitiou
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    D'ailleurs, à quand la première IRL MQCD?
    Amicalement vôtre.

  5. #5
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    ben c'est à dire... quand Papvrami est passé à St Jean Cap Ferrat, je n'ai même pas trouvé la force de m'y rendre, alors Liège!!! c'est comme si on me proposait d'aller alunir sur la Mer de la Tranquillité...
    Visiter la Belgique reste évidemment un vieux fantasme, je suis certain que c'est le pays de ce bas-monde où je me sentirais le moins décalé, mais voilà, c'est à jamais trop tard.

  6. #6
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    C'est qd même le seul pays où on met parfois des trémas sur les y ; faut pas manquer ça

    Sur St Jean Cap Ferrat, je peux comprendre mais ça veut rien dire, j'ai vécu 6 ans à El Jadida sans jamais visiter la citerne portugaise que des milliers de touristes viennent voir chaque mois, et pourtant je suis allé à Laayoune. Donc, aucune excuse

  7. #7
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    Citation Envoyé par Amitiou Voir le message
    D'ailleurs, à quand la première IRL MQCD?
    ça se discute



    (on peut encore dire ça, où bien c'est censuré aussi ? )

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