Petit tour d’horizon de parutions mahlériennes récentes.
Je m’en voudrais presque d’initier un nouveau fil sur Mahler mais cette rentrée a été faste en nouveautés.
Je ne m’attarderai pas sur la 3° live d’Haitink à Chicago (CSO Resound), parue cet été : lecture patiente et creusée, sans effets de manche, d’une « intense sobriété ». Cette approche économe – sans être étale - est celle d’un sage parvenu au seuil de sa maturité. S’en détourneront les amateurs d’un naturalisme plus extérieur.
La « Titan » live de Jansons à Amsterdam (RCO Live) me semble la plus intéressante parue depuis celle de Boulez. Le geste n’y est jamais forcé, ce titan est, à l’instar de « l’Héroïque » de Giulini, un idéaliste, non un colosse qui défie les dieux. Le coloris est globalement sombre, on se délecte de ces moires, de ces velours, de ces acajoux. Là encore, l’extraversion, la précipitation, l’épidermique sont bannis au profit d’une décantation poétique.
La 5° live de Solti, enregistrée quelques semaines avant sa disparition à Zurich (DECCA), a suscité des avis partagés. Pour ma part, j’ai admiré cet exercice « cubiste », tout en muscle sec et en arrêtes, d’une incroyable verdeur rythmique. Lecture cursive, cérébrale, froide (mais pas glaçante comme pouvait l’être un Klemperer, dans la 9°, éclairée au "néon", dénuée de pathos comme de clinquant ; on devine le regard d’aigle de Solti, sa gestuelle anguleuse, son souci permanent de ne pas surimprimer une personnalité à un texte déjà chargé.
La 8° de Boulez (DG) est encore plus essentielle. On se méfiait car le maestro estimait plus prioritaire de réenregistrer les Gurrelieder et prétendait tenir cette 8° pour quantité négligeable. Quelle erreur ! Boulez prend son temps, lui qui n’est pas réputé chef « lent », il cisèle, il scrute le texte. Moins opératique que d’autres, il entend nous démontrer que cette 8° n’est pas une parenthèse, un faux pas, un creux d’inspiration. La seconde partie l’intéresse manifestement davantage que le Veni creator, qu’il dirige de manière moins spectaculaire que ses confrères, en refreinant toute expression par trop exaltée et voyante de cette foi naïve. Il cultive le mystère, le scepticisme, allège les textures, millimètre les équilibres. Cette 8° n’aura jamais « sonné » de manière aussi peu composite, aussi fluide. On regrette juste que Boulez n’ait pas disposé de grandes individualités vocales mais on subodore derrière cela une volonté bien arrêtée de ne pas singer un gala du Met.