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Discussion: Avant-garde soviétique

  1. #1
    Membre Avatar de Jacques
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    Avant-garde soviétique

    Je traduis librement ci-dessous une partie du texte (qui est uniquement en anglais et en russe) de la brochure jointe à l'une des dernières productions "choc" du label Melodiya : le concert, superbement exécuté et enregistré, donné le 15 avril 1982 au Grand Auditorium du Conservatoire de Moscou par l'Orchestre Symphonique du Ministère de la Culture de l'URSS sous la direction de Gennady Rozhdestvensky (incroyable, la virtuosité d'Oleg Kagan dans Offertorium, concerto pour violon et orchestre de Sofia Gubaidulina ! ).

    "Nous sommes heureux de présenter l'enregistrement d'un concert qui non seulement fut d'une grande portée artistique mais qui représenta aussi un événement historique important.

    C'était la première - et sans doute la dernière - fois dans l'histoire de la musique soviétique que trois grandes oeuvres de Schnittke, Denisov et Gubaidulina, les chefs de file non-officiels de l'avant-garde d'alors, les "Trois Russes" comme on les désignait en Occident, étaient exécutées au cours d'un seul et même concert.

    C'était en 1982, année marquée par un tournant dans la culture soviétique. C'était en effet la dernière année d'une période de stagnation et, en même temps, la première d'une autre période où commença à se relâcher considérablement le contrôle presque absolu qui s'était exercé jusqu'alors sur la culture, pour aboutir trois ou quatre ans plus tard à la levée totale de tout obstacle lié à la censure. Pas très longtemps auparavant, les compositeurs en question avaient tous les trois été mis au ban de l'Union des Compositeurs ainsi que des pages consacrées à la musique par la Pravda. Il fallait vraiment bénéficier de la réputation qu'avait acquise Gennady Rozhdestvensky pour oser mettre ensemble ces trois noms au programme (...). Et pour diriger leurs oeuvres aussi brillamment. (...)"

    Sacré Rozhdestvensky ! Sous Staline, pour une pareille audace, il en aurait pris pour au moins 10 ans de goulag (... )...


    Cela dit, voici cet album "choc" :




    Jacques

  2. #2
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    Une petite anecdote qui m'est un peu "restée en travers de la gorge" à propos de la bonne prononciation russe du nom Rozhdestvensky...

    Au mois de novembre dernier, j'apprends qu'un ami russe (ou plutôt estonien de l'importante minorité russe qui vit en Estonie) va séjourner deux semaines à Lausanne avec sa femme et sa petite fille (en plus du russe et de l'estonien, il parle couramment le français, l'anglais et l'allemand, tandis que sa femme ne comprend que le russe et l'anglais).

    Je me réjouis donc à l'avance de pouvoir éventuellement parler musique avec eux .

    À un certain moment d'une conversation que j'ai plus tard avec cet ami, j'en viens à évoquer Rozhdestvensky, tout fier de pouvoir prononcer son nom "de la bonne manière", apprise de la bouche de Chostakovitch en personne sur une vidéo qu'on trouve sur YouTube.

    - Première réaction dudit ami : "Comment ? Peux-tu répéter ?"
    - Deuxième réaction à mon louable effort de prononciation : "Quoi !?"
    - Troisième réaction (j'en étais à mon troisième essai) : " !!!"

    J'ai ensuite "fait la gueule" pendant dix minutes (), avant de retrouver une certaine bonne humeur devant une bière ().

    Jacques
    Dernière modification par Jacques ; 20/04/2011 à 21h46.

  3. #3
    - Avatar de mah70
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    Le russe est une langue traitresse: quand on lit on mot on ne sait pas comment il se prononce, quand on entend un mot on ne sait pas comment il s'écrit
    La seule certitude que j'ai, c'est d'être dans le doute. (Pierre Desproges)

  4. #4
    Membre Avatar de Amitiou
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    Et finalement, il a compris?
    Amicalement vôtre.

  5. #5
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    Bonjour Mah70 et Amitiou .

    Il avait compris dès le début (il éprouve d'ailleurs à l'égard de Rozhdestvensky beaucoup de respect et de fierté), mais il voulait juste me charrier .

    Cet ami espiègle a d'ailleurs fait bien pire, peu après...

    Sa femme étant à l'écart (elle s'occupait de leur fille, un bébé de 9 mois), voilà qu'il me dit : "Je vais t'apprendre une jolie petite phrase en russe, que tu pourras répéter à ma femme. Elle adore ça et sera charmée."

    Non sans peine, j'apprends à prononcer par coeur cette petite phrase à laquelle je ne comprends strictement rien, puis vais ensuite la redire à sa femme comme le plus naïf des gamins (), la faisant rougir jusqu'à la racine des cheveux, à ma plus totale confusion : c'était trois ou quatre des pires jurons qui existent dans la langue de Tolstoï ( ... ) !!!

    Inutile de dire qu'après cette aventure, j'ai fait très attention.

    Jacques

  6. #6
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    Revenant sur les oeuvres jouées lors de ce fameux concert d'avril 1982, je précise qu'elles sont d'une modernité radicale, susceptible de troubler les oreilles de pas mal d'auditeurs peu avertis. Et les applaudissements du public moscovite, certes "sympathiques", ne sont quand même pas aussi chaleureux que ceux qu'on aurait pu entendre, par exemple, après une Deuxième de Rachmaninov ou une Cinquième de Prokofiev.

    À vrai dire, j'avais déjà quelques "échantillons" de ce qu'avaient écrit lesdits "Trois Russes"...

    Mais seules les oeuvres de Sofia Gubaidulina (née en 1931) enregistrées sur le disque ci-dessous étaient dans la même veine radicale :



    D'Alfred Schnittke (1934-1998), j'avais sur ce DVD un enregistrement de la suite tirée par Rozhdestvensky de la musique de film composée pour Les Ames mortes, une musique sans doute "moderne" mais tout ce qu'il y a d'accessible à l'auditeur moyen :



    Contraste plus saisissant encore, j'avais en ce qui concerne Edison Denisov (1929-1996) le coffret ci-après, où figure une oeuvre assez inattendue dont il assura l'orchestration (cf. le bas de l'image, à gauche) :



    Voici, telles que les expose Claude Samuel dans la brochure, les circonstances dans lesquelles tout cela eut lieu :

    "(...) Inachevée sans doute puisque non orchestrée, mais pourtant largement écrite, la partition de Rodrigue aurait dû disparaître, Debussy ayant déclaré que le manuscrit, tombé par mégarde dans une cheminée, avait été brûlé ! En vérité, il avait donné le premier acte à Gaby qui partageait alors sa vie et, miraculeusement, Alfred Cortot allait plus tard rassembler l'ensemble du manuscrit, lequel fut, à la mort du pianiste, acheté par le collectionneur américain Robert O. Lehman et déposé à la Pierpont Morgan Library de New York, où il fut enfin examiné par le musicologue Richard Langham Smith. Une partition piano-chant fut mise au point, dont quelques extraits furent joués en 1987 à Paris, Londres et Milan. Enfin, l'Opéra de Lyon décida, à l'occasion de l'ouverture de son nouveau théâtre ("l'Opéra Nouvel", inauguré le 14 mai 1993) d'offrir à son public un Rodrigue et Chimène complet, reconstitué par les soins d'un des musiciens russes les plus francophiles (et francophones) : Edison Denisov. Denisov a décrit le manuscrit «en mauvais état» dont il a disposé, comportant parfois (en particulier dans le deuxième acte) des variantes pour la ligne vocale, pratiquement sans indications de tempos et de dynamiques et avec de très rares informations à propos de l'instrumentation. Manuscrit incomplet, d'ailleurs : deux scènes manquantes au deuxième acte et dix mesures au troisième ! «Debussy a terminé la partition chant et piano, confiera Denisov. Certaines scènes sont perdues et, c'est très étrange, il y a des fragments où il a tout écrit, le moindre détail, les nuances, les liaisons, tout, vraiment tout, quand d'autres pages, tout à côté, ne sont qu'à l'état d'esquisses très peu compréhensibles. Il y a même des passages où il a noté quatre variantes pour la même ligne de chant. Et puis, comme dans tous les manuscrits de Debussy, il manque les signes d'altération, les dièses et les bémols. Debussy les avait dans la tête et ne les notait pas. Parfois, le texte de Rodrigue et Chimène était presque incompréhensible. J'ai passé plus de temps pour déchiffrer le manuscrit que pour l'orchestrer. Bien qu'un musicologue britannique ait effectué le travail préparatoire, j'ai dit que je ne commencerais pas à travailler tant que je n'aurais pas une copie du manuscrit entre les mains. Le duel entre Rodrigue et Don Gomez, le père de Chimène, était, par exemple, perdu. J'ai donc été obligé d'écrire cette scène, avec le matériel contenu dans le reste de l'opéra. Un fragment du troisième acte était également perdu et, dans le finale du premier acte, Debussy n'avait pas écrit de partie de chœur. Je connais très bien la partition de Pelléas, qu'il a commencé avant d'avoir achevé Rodrigue et Chimène, mais je n'ai pas voulu copier son orchestration, bien que j'aie choisi d'utiliser le même effectif orchestral. J'aimerais que le public ait l'impresssion que la musique qu'il va entendre a été pensée pour l'orchestre et non orchestrée par un autre». Ce Rodrigue et Chimène que Denisov a permis de ressusciter fut, à l'Opéra de Lyon, dirigé par Kent Nagano, mis en scène par Georges Lavaudant dans les décors de Jean-Pierre Vergier.

    Un siècle plut tôt, l'épisode Rodrigue de la carrière debussyste était refermé. Avec un Post-scriptum néanmoins : Debussy fit une dernière fleur à son librettiste, acceptant de tenir un des deux pianos (en compagnie de Raoul Pugno) à l'occasion de trois conférences sur Wagner que Catulle Mendès fit à l'Opéra en mai 1893. Confidence de Chausson à Ysaye : «C'est grotesque mais cela a un énorme succès. Et comme cela lui rapporte un peu d'argent, il ne peut pas lâcher ça». Quelques jours plus tard, le même Chausson recevait ce mot de son ami Claude-Achille : «Je suis débarrassé de l'Or du Rhin, ça me gêne un peu quant à l'Or, mais pour le Rhin ça me fait plaisir : la dernière audition fut sinistrement rasante».

    Nouvelle page tournée : Debussy attaquait donc son Pelléas et Mélisande, mettant vraiment en pratique cette superbe répartie : «La musique, c'est du rêve dont on écarte les voiles !». Le chef-d'œuvre achevé, et créé à l'Opéra-Comique, l'inévitable Catulle Mendès assista, bien entendu, à la première et, malgré les déboires de son Rodrigue, n'eut pas de scrupules à l'égard de celui qu'il avait considéré jadis comme le «maître de l'avenir»; il nota dans "Le Journal" du 1er mai 1902 : «Si notre espérance n'a pas toujours été déçue, elle a été trop rarement réalisée. Il y a eu souvent désaccord, quelquefois même divorce, lorsque nous aurions voulu l'unité parfaite...» Mais ceci était sans importance, Debussy était vraiment devenu entre-temps le «maître de l'avenir»."


    Jacques


  7. #7
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    La musique d'Edison Denisov ne se limite pas à l'orchestration de "wagnérerires quelconques" (le mot n'est pas de moi, c'est au choix de Satie ou Cocteau). Beaucoup de musique de chambre, une symphonie de chambre, deux symphonies pour grand orchestre (la première a été enregistrée par Barenboïm et Rozhdestvensky et c'est une partition magistrale), le concerto pour piano. Sa musique tardive, celle écrite en France en particulier est beaucoup moins "moderne" qu'on l'attendrait.
    Malheureusement beaucoup des partitions les plus importantes sont assez négligées (trouver un enregistrement de la 2ème symphonie est quasi impossible).
    A mon avis le chef d'oeuvre de Denisov est son opéra en français L'écume des jours d'après le roman de Vian dont la suite d'orchestre "Colin et Chloé" reflète peu la valeur.

  8. #8
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    Merci, Fred Audin , pour ces précieuses informations relatives à Denisov.

    Je vais tâcher d'en apprendre encore davantage sur ce compositeur, en écoutant d'autres oeuvres que Peinture pour orchestre symphonique (cf. le récent album Melodiya).

    Cela étant, comme le présent fil a été intitulé "avant-garde soviétique", je ne sors pas du sujet en évoquant une époque plus ancienne par le biais de ce récital d'oeuvres pour piano composées par Alexander Mossolov entre 1925 et 1935 :



    Leur interprète, le pianiste italien Daniele Lombardi, décrit la musique de Mossolov comme il suit :

    "(...) Seuls les compositeurs et quelques critiques très ouverts apprécièrent Alexander Mossolov (1900-1973), le créateur de Zavod ("Fonderies d'acier"), ce rare exemple de composition orchestrale futuriste dans laquelle Mossolov imite, à l'aide d'instruments, les bruits de tôle que l'on entend dans une usine. Lorsque Beljaev et Asafiev, deux critiques de renom contemporains de Mossolov, écrivirent que sa musique était «d'une importance artistique considérable» et qu'il avait «le don de pénétrer dans des dimensions nocturnes, dans la musique des ténèbres, dans les ténèbres de la ville et de sa tragédie contemporaine, la tragédie de la solitude et la tragédie de l'imaginaire et de la réalité (...)», parut dans le magazine Musique et Révolution (1927) une violente critique de ce jugement. On se demanda ce que «tragédie de la solitude» de Mossolov pouvait bien signifier d'autre, seulement quelques années après la Révolution, que l'incapacité de vivre dans la réalité et de s'intégrer à la communauté.

    La vie de Mossolov, sous Staline, fut marquée d'hostilités et de nombreuses difficultés, jusqu'à ce qu'il fût arreté le 23 septembre 1937 et condamné à huit ans de camp de travail. Sa littérature pianistique est très complexe et, en ce qui concerne les difficultés techniques, au moins comparable aux sonates de Prokofiev : une sonorité impressionnante et les prémices d'expériences tonales. (...)"

    Jacques
    Dernière modification par Jacques ; 21/04/2011 à 15h09.

  9. #9
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    Citation Envoyé par Jacques Voir le message
    Sacré Rozhdestvensky ! Sous Staline, pour une pareille audace, il en aurait pris pour au moins 10 ans de goulag (... )...
    Remarquez que pour un "sacrilège" du même ordre, les risques encourus en France à la "glorieuse" époque stalinienne du PCF étaient quand même beaucoup moins grands ().

    Je crois me souvenir d'une anecdote rapportée par Dominique Desanti à propos non pas de musique, mais de peinture...

    Une exposition avait été organisée à Paris où étaient exposés de magnifiques fleurons du réalisme socialiste. Et parmi eux, un tableau intitulé : "Le vieux travailleur - Vingt ans de fidélité au Parti". Or, trouvant que l'artiste avait représenté le personnage avec un nez un peu trop rouge, quelqu'un avait eu l'audace de suggérer que le mot "Parti", dans le titre de ce tableau, aurait très bien pu être remplacé par... "pastis" (... ).

    Résultat : colère indignée de Jacques Duclos et de Jeannette Vermeersch-Thorez, notamment, mais pas grand chose d'autre.

    Jacques
    Dernière modification par Jacques ; 25/04/2011 à 12h12.

  10. #10
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    Il y a bien une deuxième symphonie opus posthume de Denisov (qui n'est pas la symphonie de chambre n°2). Je me disais que je l'avais rêvée, mais j'ai fini par trouver un enregistrement de 1997 par l'orchestre de Dresde. Des textures assez transparentes, et plutôt douces malgré de grands solos de batterie.

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