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Discussion: Moderne et ancien...

  1. #61
    Membre Avatar de alya
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    décembre 2007
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    Re : Moderne et ancien...

    Je suis désolée de ne pas pouvoir trouver plus de précision. Hélas je ne parle pas anglais, c'est une langue que je n'ai jamais aimée, et le peu que j'en ai appris au lycée s'est envolé depuis longtemps. J'ai un petit faible pour Ste Hilda.

  2. #62
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    Re : Moderne et ancien...

    Voilà qui fait plaisir de voir au moins deux personnes qui apprécient les vielles pierres et la musique renaissante !

    En faisant l’effort de reculer de 50 ans, on retrouve le Mozart du 15e siècle, le grand musicien itinérant, comète au milieu des étoiles, j'ai nommé Guillaume Dufay. Puisqu’on parle d’architecture, il ne me coûte pas grand-chose de placer ici un article que je sors des cendres numériques des fora d’AMB et que j’avais intitulé « Une cathédrale en mouvement… ». Je l’ai un peu remanié pour essayer d’exposer plus simplement les principes de construction*. Et puis surtout, sachant désormais comment mettre une vidéo sur le net, je peux mettre en ligne enfin la musique de ce fabuleux motet de Maistre Guillaume, O Sancte Sebastiane**, véritable cathédrale sonore dont la section finale fait crépiter un superbe feu d’artifice de diminutions. C’est un motet « isorythmique » (ce n’est pas une maladie !) dont voici les grandes lignes... (à écouter d’abord !) :

    « Il fut une époque où musique, géométrie, arithmétique et astronomie, ne faisaient qu’un ; il fut un temps où les hommes croyaient que l’œuvre d’art faisait œuvre universelle ; un temps où l’on pensait la musique comme une architecture en mouvement ; un temps où l’on concevait la géométrie comme le déploiement figuratif du nombre, le son comme la vibration du nombre, et où toutes les proportions se mariaient pour laisser entrapercevoir une petite partie de l’expression divine restant à jamais cachée aux hommes.

    L’esprit humain se laisse souvent fasciner par l’unité d’un tel univers où musique et architecture sont indissociables, par exemple sous les voûtes de cette cathédrale (Laon) :




    ...où l’on voit que sur une même largeur, alors que le déambulatoire compte une voûte, le triforium en compte deux, son étage supérieur en compte trois, et la galerie des fenêtres élevées à nouveau une... un peu comme ce motet de Guillaume Dufay (O Sancte Sebastiane) qui, après le canon initial à deux voix, fait entendre un système sesquialtère (3 pour 2) très proche. Pourtant, cette construction est difficilement audible sans la pratiquer. En voici une brève synthèse.

    Il faut d’abord imaginer une petite valeur temporelle qui servira de référence pour mesurer l’extraordinaire architecture de ce motet. Cette petite valeur temporelle s’appelle la Minime. Elle est en quelque sorte à la mesure du temps musical, aux 14e et 15e siècles, ce que le centimètre est aujourd’hui à la longueur.

    La première étape concerne l’agencement des minimes (figurées ci-dessous par des petits losanges avec une hampe vers le haut). Trois minimes sont regroupées pour faire une semi-brève (les petits losanges). On appelle ce regroupement la prolation majeure.

    Les semi-brèves sont quant à elles regroupées en brèves (les notes carrées). L’astuce de Dufay est d’utiliser simultanément des brèves valant 3 semi-brèves (dites brèves parfaites) et des brèves valant deux semi-brèves (brèves imparfaites).
    Si l’on mesure au sol ces trois premières valeurs et que l’on élève vers une voûte, cela donne ceci :




    La deuxième étape du maître d’œuvre est la superposition de ces brèves ternaires et binaires qui forment simultanément le temps parfait et le temps imparfait. Il faudra placer deux brèves ternaires (valant 3 temps ou 9 minimes) contre trois brèves binaires (valant 2 temps ou 6 minimes) pour obtenir la même distance. C’est ce qu’on appelle musicalement une hémiole, qui donne l’effet d’une proportion sesquilatère (3 pour 2) mais au sein même des mesures.




    Les brèves ternaires (parfaites), les plus lentes, sont musicalement confiées aux parties les plus graves de teneur et contre teneur. Les brèves imparfaites sont elles du ressort des voix aiguës, à savoir les deux cantus. Voilà en ce qui concerne le temps. C’est ici le schéma du haut.

    En bas, j’ai figuré un autre rapport sesquialère, celui du mode. Le mode, c’est le regroupement des brèves en une valeur de Longue (les notes carrées avec une hampe en bas) soit en groupes de 2 soit en 3. Ici, c’est un mode parfait (ternaire) que Dufay emploie, tant pour les cantus que pour les teneurs.
    Mais comme les brèves des cantus sont binaires, tandis que les brèves des parties inférieures sont ternaires, cela provoque un autre rapport sesquialtère. Et si on l’élève ces mesures jusqu’aux voûtes, nous avons déjà une belle travée de 54 minimes...

    La dernière étape est l’assemblage de cette travée en trois éléments de même dimension, offrant ainsi une « ternarité » à l’ensemble d’une section. Il faut donc trois travées de 54 minimes pour faire une section de ce motet (qui, en tout, en comporte cinq de longueur égale).
    Trois fois 54 minimes donnent 162 minimes, soit, à 0,002 minimes près, le nombre d’or (1,618034…) — était-ce un hasard d’avoir arrêté ici la mesure ?




    Poursuivant sur les traces de ses illustres prédécesseurs (P.de Vitry, G. de Machaut etc.), Dufay répète le déroulement rythmique de cette deuxième section (c’est-à-dire la succession exacte des rythmes durant ce laps de 162 minimes) dans les deux sections suivantes en variant seulement la mélodie. Ce procédé, que l’on appelle l’isorythmie, est toutefois utilisé dans chacune des quatre voix du motet. On parle alors de pan isorythmie —qui figure peut-être grâce à ces répétitions symétriques le côté d’une nef que l’on parcourt dans le temps, comme on le voit ci-dessous ?

    Mais Dufay semble encore aller plus loin avec les symboles puisque dans la troisième travée, il rompt au beau milieu d’une mesure l’agencement ternaire pour occuper les 33 dernières minimes par une proportion sesquitercia (4 minimes pour 3 précédentes). 33, double ternarité, âge du Christ, et surtout section d’or avec 54 ! Élever le constructivisme à ce point n’est plus seulement de l’ordre symbolique : c’est relier le son au nombre, la géométrie au temps. C’est conjuguer la symétrie de l’œil et de l’oreille, symétrie et proportions dans le style gothique qui aboutissent ici à une véritable cathédrale en mouvement… Sans doute était-ce également un des avantages d’être élevé au quadrivium.
    »


    ------------
    *Pardon pour la longueur excessive de ce message qui n’a pour but que de partager le génie de cette civilisation (enfin, de ce que j’en connais !). Je regrette ici beaucoup l’absence de celui qui avait stimulé cet échange à l’époque d’ABM, j’ai nommé mon ami Jean François que je salue avec beaucoup d’admiration.


    ** L’interprétation mise en ligne ci-dessus, plus que recommandable à mon avis est du Huelgas Ensemble dirigé par Paul van Nevel (Harmonia Mundi). Mais ce n’est ps de l’avis de tout le monde, comme de Mr Moody par ex...
    Ah quel métier ! Critique. . .



  3. #63
    Membre Avatar de alya
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    Re : Moderne et ancien...

    Bonjour Raphaël. Votre dernier message m'a plongée dans un abime de perplexité. Je ne suis pas une professionnelle. Je réagis d'instinct, j'aime ou je n'aime pas. C'est valable pour quantité d'autres choses, la peinture, l'architecture, la lecture (ma 2ème passion). Il m'est difficile de suivre vos explications. Etes-vous un pro? Je suppose que votre amour pour cette période ne vous interdit pas d'autres choix, que j'aimerais connaître.

  4. #64
    Membre Avatar de raphael
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    Re : Moderne et ancien...

    Oui, bonjour chère Alya, toutes ces petites constructions numérales ne sont certes pas si simples à comprendre ! Et ce n’est pas un problème car il reste l’écoute de ce miroitement sonore (et peut-être pourquoi ne pas tenter une deuxième lecture plus tard ?!).

    Rassurez-vous, il n’est pas nécessaire de comprendre l’imbrication de toutes ces mesures pour apprécier cette musique, pas plus qu’il n’est nécessaire de connaître les mesures de la travée et de la hauteur de croisée de la cathédrale de Reims pour en admirer l’espace. On peut en percevoir l’ordre intuitivement.

    Cependant, lorsqu’on arrive à pénétrer ses secrets par l’analyse (qui n’est jamais qu’une forme de mise au point du regard), l’œuvre en est encore plus fascinante de beauté et d’intelligence. C’est précisément l’articulation ou la convergence entre l’esprit (la musique des sphères) et le corps (la musique des hommes) qui est troublante dans cette civilisation médiévale. Passé 1480, c’est la décadence ! De la belle décadence certes, magnifique, à pleurer de beauté suavissime (et comme je l'aime!), tout ce qu’on voudra, mais de la décadence. . .

    À bientôt avec quelque chose de plus simple et plus mystique à la fois !


  5. #65
    Membre Avatar de alya
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    Re : Moderne et ancien...

    Bonsoir Raphaël. Votre réponse me rassure. J'avais peur de ne plus rien comprendre, quoique je me fie à ce que j'entends. Je ne crois pas que la musique, pour un profane comme moi, ait besoin de dissection. Cela gâche les plaisirs sensoriel et intellectuel. Je suis curieuse de toutes les musiques à l'exception de la musique contemporaine à quelques exceptions près. Il faut entrer dans un monde qui m'est tout à fait étranger. Vous pouvez me parler de la musique médiévale, renaissance et tous les courants qui ont suivi, je m'arrête à R.Strauss, Stravinsky. Ne me parlez pas de Boulez, Dutilleux, Beriot et tous ceux que j'oublie.

  6. #66
    Membre Avatar de JYDUC
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    Re : Moderne et ancien...

    Salut les duettistes :o)

    Ce fil est passionnant. Mais il serait faux de croire, Raphaël, qu'il n'intéresse qu'Alya. Le mutisme de certains peut cacher un réel émerveillement. Et quand on est bouche bée, difficile d'émettre un son, haha

    Au plaisir

  7. #67
    Membre Avatar de raphael
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    Re : Moderne et ancien...

    Citation Envoyé par JYDUC Voir le message
    Salut les duettistes :o)

    Ce fil est passionnant. Mais il serait faux de croire, Raphaël, qu'il n'intéresse qu'Alya. Le mutisme de certains peut cacher un réel émerveillement. Et quand on est bouche bée, difficile d'émettre un son, haha

    Au plaisir

    Vraiment ? J'en suis ravi, JYDUC. La grâce vous aurait-elle touché ?
    Mais à présent que vous m'avez si gentiment informé plus haut de ma "psychorigidité", répétant la sentence (en y associant Alya de surcroît) au sujet de "ma musique" (!) et sans excuse depuis (la bouche bée probablement), vous me permettrez de douter sincèrement de votre "réel émerveillement".

    Mais ces mauvaises manières n'ont pas d'importance au regard de si belles musiques, je vous le concède, JYDUC.

  8. #68
    Membre Avatar de JYDUC
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    Re : Moderne et ancien...

    Citation Envoyé par raphael Voir le message
    Vraiment ? J'en suis ravi, JYDUC. La grâce vous aurait-elle touché ?
    Mais à présent que vous m'avez si gentiment informé plus haut de ma "psychorigidité", répétant la sentence (en y associant Alya de surcroît) au sujet de "ma musique" (!) et sans excuse depuis (la bouche bée probablement), vous me permettrez de douter sincèrement de votre "réel émerveillement".

    Mais ces mauvaises manières n'ont pas d'importance au regard de si belles musiques, je vous le concède, JYDUC.
    Alya connaît mon pedigree ; de plus, elle sait que je suis taquin. Elle n'ignore pas non plus que je me rends tous les ans dans un village lozérien réputé pour être l'un des plus anciens de France. Plus médiéval que lui, tu meurs. A une trentaine de kilomètres, un autre village n'a pratiquement pas été retouché depuis dix siècles.
    http://la.garde48.free.fr/
    Bref, vous croyez ce que vous voulez sur ma personne, c'est le dernier de mes soucis. En fait, cela ne me gêne pas le moins du monde de passer pour ce que je ne suis pas puisque je le cultive.
    Vous êtes très fort si vous pouvez juger les gens sans les voir, leur parler, les connaître, etc...
    Psychorigide, oui, parce qu'un message anodin, sans arrière-pensée, vous a déstabilisé dans l'étalage (positif) de votre passion.
    Cela dit, je suis plutôt un amoureux de la musique... décadente. Vous m'en voyez désolé.

    Bonjour chez vous

  9. #69
    Membre Avatar de raphael
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    Re : Moderne et ancien...

    Encore plus ancien, plus loin de nous dans l’image du temps musical tel que nous nous le représentons de nos jours, avant l’invention de l’horloge, avant la normalisation des heures de la journée en 60 minutes égales, avant l’invention de la notation musicale mensurale qui numérise le temps en pulsations égales (pratique devenue si chère à toute la musique occidentale depuis la fin du XIIIe siècle) et tandis que s’élevaient vers le ciel les fines voûtes gothiques sur le sol de l’Île de France, s’assemblant en d’immenses vaisseaux de pierre (et ascendit in celum...), des chantres inventèrent une musique à la hauteur des édifices nouveaux, une musique aux mélismes démesurés, faisant reculer toutes les limites vocales envisagées jusqu’alors. On crut comprendre plus tard que se formait alors la première expérience occidentale de « musique répétitive » (sans être toutefois ce qu’on nomme de nos jours par cela), une musique à mi-chemin entre l’hypnose et la transe, sous l’œil attentif de damoiseaux figés, derniers arrivés au 13e siècle :



    Cette musique tout à fait extraordinaire est celle des organa de l’École Notre Dame. C’est une musique fonctionnelle, liée à la Messe et à quelques offices. Léonin et Pérotin, les deux noms de compositeurs qui circulent à cette époque, cependant jamais associés à un manuscrit de musique, sont rapportés par un voyageur anglais alors de passage à Paris, qu’il consigna dans un traité musical devenu très célèbre pour les connaisseurs de cette période (traité dont le nom fut repris par un ensemble vocal féminin récemment dissous) : Anonyme IV.

    Mais cette fabuleuse musique tenait-elle l’ego et « l’et moi » en respect ? C’est possible car toutes les œuvres qui nous sont restées sont du fameux Mr. Anonyme... Aucun compositeur n’a alors signé quoi que ce soit. Elles nous sont parvenues par quatre copies partielles d’un manuscrit originel qui a disparu depuis, mais dont on connaît le nom : le Magnus Liber Organi (Le grand livre d’organum). Ce manuscrit devait probablement compiler toutes les musiques promues par de ce grand courant intellectuel qui se développa dès 1150 autour de la construction de la Cathédrale Nostre Dame à Paris (1163 à 1250 env.). On y trouve essentiellement trois formes musicales : l’organum, le conduit et le motet.

    Aussi, je propose aux plus téméraires de tenter cette expérience radicale qu’est le grand organum pour la messe du jour de la Nativité, le graduel Viderunt Omnes. L’Ecole Notre Dame a produit moult organa à 2, à 3 et même à 4 voix que l’on chantait selon le lieu où l’on se trouve, ou la fête.

    Mais avant de l’entendre, et afin de mieux comprendre le travail d’embellissement et d’agrandissement auquel les chantres de cette fameuse école se sont livrés, il faut d’abord écouter la version originelle de la pièce en plain chant. En voici la version chantée par les moines de Solesmes, pour une durée de 3’42’’ : Viderunt omnes – gregorien. Pour agrémenter, je place ci-dessous la mélodie grégorienne qui commence à la fin de la première ligne par la lettrine rouge (sur un FA). C’est extrait du beau graduel de Dixson (les lecteurs entendront quelques variantes mélodiques entre la version enregistrée au XXe siècle à Solesmes et ce manuscrit originaire de l’abbaye San Stephano al Corno copié au 13e siècle :



    Après la douce ferveur et tenue solesmiennes, je propose ensuite d’écouter l’organum quadruplum (à 4 voix donc) attribué à Magister Perotinus : Viderunt Omnes par le Hilliard Ensemble. Il s'agit bien de la même pièce, mais à laquelle ont été ajoutées des parties organales formant cette polyphonie comme on la concevait vers 1200. Comme on peut l'entendre, seules les parties solistes ont été mises en polyphonies (c'est-à-dire le début de chaque partie). Le chœur reprend quant à lui à l'unisson les derniers paroles du répons et du verset, ce qui explique le changement de manuscrit dans la vidéo... (j'ai mis des flèches pour se repérer).

    Techniquement, l’organum consiste à ajouter une ou plusieurs voix sur un chant grégorien. Dans l’organum de l’Ecole Notre Dame, la mélodie grégorienne est faite par une partie appelée « teneur », c-à-d qui tient chaque note (d’où le terme tenor) en latin qui donna la voix de ténor par la suite) pendant que les autres voix évoluent dans un mode rythmique. Un mode rythmique est une manière de rythmer les mélismes ajoutés à la voix principale, en prenant pour modèle un mètre poétique utilisant des longues et/ou des brèves. Ici, ce sont des mélismes ‘trochaïques’ que l’on entend, c-à-d commençant par la cellule rythmique Longue-Brève. On l’appelle alors le Premier mode. Sans entrer dans les détails, il faut savoir qu’il n’existe alors que six modes rythmiques pour tout faire en musique !
    Mais point d’explication technique supplémentaire embarrassante ! Oyez cette alchimie sonore qui remonte des voûtes...

    Alors, quelles impressions autour de ces miroitements ?? Cela reflète t-il les navires minéraux ajourés de nombreuses fenêtres qui distribuaient la lumière au cœur de l’écrin catholique —vaisseaux terrestre où l’on s’incline parfois encore de nos jours ? Ou tout autre chose ?


    Dernière modification par raphael ; 03/03/2008 à 16h59. Motif: petites précisions techniques...

  10. #70
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    Re : Moderne et ancien...

    Bonsoir JYD et Raphaël. J'étais absente toute la journée et vous m"avez laissé de quoi réfléchir au moins une demi-journée, ne serait-ce que pour savoir jusqu'où va l'érudition de Raphaël et le degré de taquinerie de JYD. J'ai une tendresse particulière pour les diables qui ornent Notre-Dame.

  11. #71
    Membre Avatar de JYDUC
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    Citation Envoyé par alya Voir le message
    Bonsoir JYD et Raphaël. J'étais absente toute la journée et vous m"avez laissé de quoi réfléchir au moins une demi-journée, ne serait-ce que pour savoir jusqu'où va l'érudition de Raphaël et le degré de taquinerie de JYD. J'ai une tendresse particulière pour les diables qui ornent Notre-Dame.
    J'avais à choisir entre érudition et taquinerie ; j'ai coché la mauvaise case.
    Vous m'en voyez navré, chère Alya

    Jadis, j'ai orné Notre-Dame (de la Garde) mais une mauvaise fée a brandi sa baguette magique devant mon nez, qui est devenu rouge, et j'ai été transformé en clown

    Diaboliquementhe vôtre

    Pour le plaisir des yeux... et de l'imaginaire :o)

    Dernière modification par Dellys ; 04/03/2008 à 10h15. Motif: Fusion de messages

  12. #72
    Membre Avatar de Dellys
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    Re : Moderne et ancien...

    Merci d'utiliser la fonction "editer"

  13. #73
    Membre Avatar de raphael
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    Re : Moderne et ancien...

    Que de réactions si nombreuses (et positives) à ce chef d’œuvre de L’école Notre Dame !

    Aussi, peut-être que l’étirement démesuré des voyelles de l’organum « Viderunt » (chaque voyelle constituant ici une base couleur, comme une sorte une mini planète), pourra sembler bien long (voire rasant ?) à certaines oreilles contemporaines...?

    Alors essayez ce Conductus plus court (7’29’’ seulement ), Veni Creator Spiritus, par les mêmes interprètes de ce disque (ECM).

    Voilà qui est très bien chanté... (et l’acoustique est superbe...). La fin est particulièrement abandonnée. Tout paraît si naturel avec eux.... La registration des timbres est parfaitement homogène. Et dans le double déambulatoire de Notre Dame, les voix résonnent, serpentent et se perdent dans la symétrie des sombres croisées d’ogives. . . La lumière est en haut. De quoi fragiliser les plus matérialistes d’entre nous !!




    Le conduit est un chant processionnel qui n’appartient pas à la liturgie. Contrairement à l’organum qui est une pièce du répertoire grégorien mise en polyphonie, le conduit est une composition inventée de toutes pièces. En fait, c’est la première « composition » à proprement parler dans l’histoire de la musique écrite. On le chante pour se déplacer dans l’église, par exemple pour entrer ou sortir, ou pour aller du chœur à une chapelle latérale (où l’on tiendra un office particulier). Celui-ci loue ici l’Esprit Créateur, comme l’Hymne bien connue, mais ne donne pas le même texte.
    Francon de Cologne (un théoricien important de la deuxième moitié du 13e s.) dit ceci au sujet de la manière de s’y prendre : « Qui veut composer un conduit doit trouver un premier chant, le plus beau possible, et ensuite l’utiliser afin de faire un déchant à partir de la teneur…. » (la teneur étant alors ce premier chant inventé. Cet étagement de la composition des voix, procédant par ajout de couche successive, est à la base du contrepoint médiéval.

    Pour les curieux de notation ancienne, voyez la première page de ce conduit dans la copie du manuscrit de Florence. La vidéo proposée, quoique synchronisée avec la musique, ne s’affiche pas dans un format lisible.

    Et si par hasard dans ce labyrinthe de pierre, de lumière et de sons vous rencontriez une gargouille, chuuut !... de lui demandez pas l’heure... non, chantez plutôt avec elle...



  14. #74
    Membre Avatar de thierry h
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    Re : Moderne et ancien...

    Pardon pour cette intrusion dans ce fil fort savant, mais si votre ventre gargouille vous pouvez écouter le Festin de l'Araignée de Roussel sur mon compte simplify média!

    Et pour en rester au Moyen Age et à l'entomologie je vous rappelle que Louis XI était surnommé l'Universelle Aragne...

    thierry

  15. #75
    Membre Avatar de Nicolas TOUSSAINT
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    Re : Moderne et ancien...

    Citation Envoyé par JYDUC Voir le message
    Salut les duettistes :o)

    Ce fil est passionnant. Mais il serait faux de croire, Raphaël, qu'il n'intéresse qu'Alya. Le mutisme de certains peut cacher un réel émerveillement. Et quand on est bouche bée, difficile d'émettre un son, haha

    Au plaisir
    Ou tout simplement parce que l'on est absent de la toile ( eh oui il n'y a pas que la toile du net dans la vie et internet n'est même pas la dernière roue de mon carosse ) car il y a une vie réelle plus interessante que celle-ci virtuelle et donc encore plus limitée, sans compter qu'elle peut être soumise aux aléas et humeurs des uns des autres ...

    Le Grand JOSQUIN est un de mes musiciens préférés. Tout comme Guillaume DUFAY, Johann OCKEGHEM et Roland de LASSUS entre autres ...

    Capilla Flamenca est un des meilleurs ensembles, mais je déteste tout ce qui a trait au culte marial. Donc je pratique l'exérèse dans mon choix des oeuvres.

    Mais je préfère dorénavant me tenir en retrait et n'intervenir que très très rarement.
    Dernière modification par Nicolas TOUSSAINT ; 04/03/2008 à 12h31.

  16. #76
    Membre Avatar de raphael
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    Re : Moderne et ancien...

    Citation Envoyé par alya Voir le message
    Bonsoir JYD et Raphaël. J'étais absente toute la journée et vous m’avez laissé de quoi réfléchir au moins une demi-journée, ne serait-ce que pour savoir jusqu'où va l'érudition de Raphaël et le degré de taquinerie de JYD. J'ai une tendresse particulière pour les diables qui ornent Notre-Dame.

    Ces « diables » de pierre, oui, mais qui semblent si humains...

    Alya, que les choses soient claires : je ne suis qu’un musicien, non un universitaire à « l’érudition » (terme-séparation) doctorale ! Je n’ai jamais mis les pieds à l’université et n’ai ici aucune prétention hormis celle de partager un peu de ce qui a de la valeur à mon sens, c-à-d égoïstement, pour moi. Mais ce moi me dépasse !

    Je pourrais contracter une grave maladie, perdre mon travail ou que sais-je encore, le conduit « Veni Creator Spiritus », la déploration « Nymphe des bois » mis en lien plus haut demeureraient un lien inaltérable à ce qui me tient en vie et me relie à l’humanité. Je serai navré que les quelques pistes que je propose ici pour découvrir cette autre musique embaumée si pleine de beauté soient perçues comme nécessitant une érudition particulière. Et vu le peu de réactions je dois très mal m’y prendre car c’est le contraire que je voudrais faire passer !!

    Aussi, qu’il n’y ait point de méprise sur ma démarche ; je m’aperçois en parcourant ces forums que peu de mélomanes « classiques » connaissent la musique de notre temps et la musique avant 1600. J’ai essayé un peu sur l’ancien forum abm d’inviter à la musique d’aujourd’hui (ça a fait très mal car le pire voisine avec le meilleur et je ne me suis pas privé d’émettre mon avis).

    J’ai plaisir ici à inviter à entendre des trésors ancien qui, pour moi, n’ont pas pris une ride en proposant quelques commentaires minuscules, quelques images, lesquels, éventuellement, permettent à ceux que cela intéresse d’attirer l’attention ou d’orienter l’imagination dans l’écoute sur quelque chose de significatif dans l’œuvre. Un petit repère, c’est parfois mieux que les limbes du grand nirvana cosmique.

    Car c’est bien beau de dire que « la musique se meurt », mais même si c'est faux, il faut bien faire quelque chose pour celle qui n'est pas encore morte !

    Et il me semble que la possibilité de pouvoir mettre en ligne gratuitement de petites images avec un son de bonne qualité peut inviter à aimer ces trésors, à les faire sien, et à vivre un peu avec. J’ai trouvé quant à moi très positive la « doulce jouvencelle » du premier message lorsque j'en ai pris connaissance !

    Si chacun de ceux qui pensent fréquenter un trésor offrait ainsi ne serait-ce que deux ou trois exemples accompagnés de leur regard positif sur la chose, et bien les choses seraient différentes. Voilà une utopie que je préfère à l’utopie libérale !

    Ce qui n’est pas mal dans ce monde du quant-à-soi...


  17. #77
    Membre Avatar de alya
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    Re : Moderne et ancien...

    Bonjour Raphaël. J'ai employé ce mot par rapport à mes connaissances, fort minces, pour ne pas dire inexistantes. Ce qui ne m'empêche pas d'apprécier.

  18. #78
    Membre Avatar de Nicolas TOUSSAINT
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    Re : Moderne et ancien...

    Pour en revenir au grand JOSQUIN DESPREZ je voudrais citer son très magnifique et resplendissant motet "Qui habitat" à vingt-quatre (24) voix qui magnifie pleinement cet art du canon puisqu'on y trouve quatre canons à six voix, chaque choeur de six voix ayant son propre canon.
    Une construction sidérante, un contrepoint frisant la perfection.
    De JOSQUIN il a été dit qu'"Il est l'égal de Michelange" ( C. BARTALI ) !

    De plus JOSQUIN est le musicien préféré de François RABELAIS, mon littérateur et philosophe, médicin et théologien préféré !

    Nicolas

  19. #79
    Membre Avatar de raphael
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    Re : Moderne et ancien...

    Nicolas, puisque la règle vous chante, connaissez-vous la messe des prolations de Jean Ockeghem ? (Missa prolationum)

    Voilà une œuvre de conception et d’une complexité difficiles à imaginer de nos jours, reléguant le constructivisme musical savant de notre époque à de simples jeux de collégien ! Et pourtant, tout y semble transparent, personne n’entend les ficelles et à l’écoute elle paraît une œuvre simple, harmonieuse, presque ordinaire, et tout au moins facile à écouter et agréable à l’oreille.

    Comment un cerveau humain a pu imaginer et surtout savoir réaliser pareil prodige ? C’est toute la quintessence quadriviale qui s’exprime ici. Avant d’ écouter son Kyrie grâce au lien qui suit, je vous propose d’en résumer les fondements. Je vais m'efforcer de faire simple.

    D’abord il s’agit d’une œuvre à 4 voix, mais seulement 2 sont écrites sur la partition.

    Chacune de ces deux voix écrites est chantée « en canon » à un intervalle différent selon les mouvements. C’est donc un « double canon », c-à-d deux paires de chanteurs qui liront à l’unisson puis à la tierce pour le Kyrie, à la quarte pour le Gloria, à la quinte pour le Credo, à la sixte pour le Sanctus, puis à nouveau à la quarte et à la quinte pour l’Agnus.

    Mais il ne s’agit pas d’un « canon » ordinaire, où la deuxième voix (le conséquent) répète la première voix (l’antécédent) ; et donc point de simple canon où le ‘conséquent’ répète le même air (comme dans Frère Jacques par ex.), ou même une quinte au-dessous, ou une tierce au-dessus. Non. Trop facile ! Trop banal ! Il faut se souvenir que « canon » en latin signifie règle, la règle d’exécution.

    Ce canon est un canon « mensural » (c-à-d qui concerne la mesure). Cela veut dire que la deuxième voix « répète », ou plutôt lit la même musique écrite mais en changeant la mesure. La mesure s’appelle alors prolation » (d’où le titre « Missa Prolationum »). À l’époque médiévale, il existait quatre mesures ou prolations. Et ici, le compositeur utilise simultanément ces quatre mesures ! C’est le monsieur sur la droite en soutane (à lunette) qui a fomenté tout ça :




    Concrètement, on peut dire que deux personnes lisent la même partie mais pas à la même vitesse pour les deux voix du dessous. Et deux personnes lisent une autre partie mais pas à la même vitesse pour les voix du dessus ! Ce qui est fort, c'est que chaque voix lit dans l’une des quatre prolations en usage. On a donc la totalité de l'univers mensural en même temps.

    Pour faire un raccourci rapide (et réducteur) à l’attention de ceux qui savent lire la musique plus récente (celle de Mozart par ex.), une paire de chanteurs lit en 6/8 et en 9/8 la même partie, l’autre paire de chanteurs lit en 2/4 et en 3/4 une autre partie... (en commençant soit à l’unisson, soit à la tierce, quarte etc.)

    Fallait y penser. . .

    Mais la prouesse ne s’arrête pas là. C’est encore plus fort que ça. Et sans ordinateur...

    Car dans le solfège de l’époque, certaines valeurs sont « mobiles », c-à-d n’ont pas toujours la même durée selon le contexte où elles sont employées. Sans m’appesantir dans les détails trop techniques ici, on retiendra simplement que dans une mesure ternaire, certaines valeurs de notes peuvent doubler de durée, ou être diminuées d’un tiers, selon la valeur de note qui suit ou précède.

    En d’autres termes, on ne fait pas que décaler la vitesse de lecture au départ entre deux voix, (trop facile !) ; mais une voix peut subitement ralentir parce que sa mesure propre lui impose de modifier une durée, tandis que l’autre voix n’est pas affectée par ce changement dans sa propre mesure. C’est un peu comme si deux voiture partent ensemble, l’une va plus un peu plus vite que l’autre, mais de temps en temps, selon le paysage rencontré, elle ralentit et se fait rattraper par la seconde. . .

    Il y a encore plein d’autres subtilités à décrire dans ce phare d’Alexandrie de l’intelligence, mais sans doute vaut-il mieux mettre la main à la pâte pour mieux les comprendre et éprouver.

    Cette messe nous est parvenue dans un superbe manuscrit magnifiquement enluminé, le Codex Chigiana dont voici une page :



    Et ICI en grand format.

    Alors, c’est complexe, oui, certes, mais est-ce que c’est beau ?
    Est-ce que la beauté est à la hauteur de la complexité ?
    Est-ce qu’il faut avoir fait 10 ans de contrepoint médiéval et de quadrivium pour apprécier pareil raffinement ?
    N’y a t-il pas un sacrifice trop important concédé à la technique de composition au détriment de la séduction sonore pure ? C’est une œuvre redoutable d’exécution, et tout comme l’on se demande avec certaines esthétiques de la musique contemporaine : « le jeu en vaut-il la chandelle ? »

    Pour Ockeghem, l’histoire a jugé.

    Mais vous, mélomanes exigeants, passionnés ou simplement de passage, écoutez ce Kyrie de la missa prolationum, 3’49’’ pour se faire une idée. Il s’agit de cette version de l’ensemble Musica Ficta, dirigé par Bo Holten (Naxos).

    Alors ?. . .


    -----------------
    Ps. Eventuellement, ce forum peut servir à donner un avis sur ces musiques (entre deux éjections et fermetures de fil. )

  20. #80
    Membre Avatar de Nicolas TOUSSAINT
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    octobre 2007
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    Re : Moderne et ancien...

    Bonjour et merci Raphael ,

    nous sommes en pleine étude des pièces pour clavier ( orgue ) de Thomas TOMKINS et Williams BYRD et nous avons une répétition ce soir, alors notre esprit est très occupé ( à notre âge la tendance est de devenir monotâche ) mais nous collationnons vos infos et dès que nous le pourrons nous mettrons à profit le temps pour l 'écoute de cette oeuvre que nous vous avouons humblement ne pas connaître.
    Du grand OCKEGHEM nous avons bien sur quelque pratique mais de cette "messe" non !

    Votre démonstration est fort interessante et illustre bien le propos que vous voulez que nous suivions.

    Nus vous remercions et saluons !


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