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Discussion: L'art et la défonce, "couple mythique" ?

  1. #1
    Administrateur Avatar de Philippe
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    L'art et la défonce, "couple mythique" ?

    Je viens de parcourir cet article (je "quote" avant qu'il ne disparaisse dans les tréfonds du web) :

    L’art et la défonce, couple mythique

    Envoyé spécial à Paris: Guy Duplat

    Mis en ligne le 02/03/2013

    A la Maison rouge, l’expo “Sous influences” ausculte l’influence des drogues.
    Philippe Geluck animait à ses débuts, une hilarante émission radio, "Le Docteur G vous répond". Il imagina la plainte d’un jeune Wallon, obsédé par les Beatles et qui essayait de faire aussi bien avec l’aide d’alcool et de haschich. Quand il se réveillait de sa défonce, il se souvenait d’avoir été génial et d’avoir gribouillé des chansons magnifiques mais hélas, disait-il au Docteur G, il ne parvenait plus à se relire.

    C’est bien là le problème des drogues et psychotropes quand les artistes en abusent. La drogue peut donner des visions, dit-on, splendides, lever les inhibitions et susciter la créativité (comme le rêve ou la folie), mais à l’atterrissage, on n’en trouve plus rien. Le génie de Verlaine et Toulouse-Lautrec n’est pas dû à leur consommation d’absinthe. Et Basquiat n’a pas dû sa fulgurante et courte carrière à sa consommation d’héroïne. Il en est mort, c’est tout.

    Pourtant, de nombreux artistes ont été attirés par la puissance magique des drogues. Les chamans des peuples primitifs avaient montré le chemin. Antonin Artaud découvre la puissance du champignon peyotl auprès des Indiens tarahumaras. Mais la foisonnante expo qui s’est ouverte à la Maison rouge à Paris ("Sous influences, artistes et psychotropes"), montre bien que les créations sous psychotropes, ne sont pas terribles.

    Quand Michaux dessine sous mescaline, ce ne sont pas ses meilleurs dessins. Quand Cocteau fait de même, embrumé par l’opium, il n’est pas convaincant. Et quand aujourd’hui, l’Américain Bryan Lewis Saunders dessine chaque jour un autoportrait sous les drogues les plus diverses, c’est plus surprenant ou rigolo, qu’autre chose. Il a absorbé des cocktails aussi divers que le valium mêlé à l’absinthe, le xanax, la cocaïne ou même des sels de bain !

    Les visions planantes sous LSD et compagnie ont bien de la peine à faire de l’art. Cocteau l’avait dit : "L’opium permet de donner forme à l’informe; il empêche hélas ! de communiquer ce privilège à autrui. Quitte à perdre le sommeil, je guetterai le moment unique d’une désintoxication où cette faculté fonctionnera encore un peu, par mégarde, avec le retour du pouvoir communicatif."

    Accro à la térébenthine

    Certes, on comprend la tentation d’utiliser des produits pour mieux lâcher prise, faire entrer la folie des choses et éliminer le filtre des conventions. Mais, de ce point de vue, la drogue la plus convaincante et excitante, reste la pensée et la parole.

    Dali le disait de manière joliment absurde : "Quand je buvais, je croyais que j’étais génial, maintenant que je ne bois plus, je sais que je suis génial."

    C’est Antoine Perpère, par ailleurs, actif dans un centre sur les assuétudes à Paris, qui a rassemblé 250 œuvres de 91 artistes et qui propose ce tour de la question.

    Une seconde partie de l’expo montre, par des œuvres très variées, que la vie des drogués n’est pas un paradis, même artificiel. Un film saisissant de Ben Russell décrit, en temps réel, la montée des effets du LSD sur le visage d’une jeune femme. Son "trip" a l’air heureux. Par contre, les photos de Larry Clark, d’Antoine d’Agata, de Luc Delahaye ou le "reliquaire" fait par l’artiste Aurèle pour la mort par overdose de son ami, nous ramènent à la triste réalité des camés. Le photographe Antoine d’Agata propose en même temps que cette expo, au centre photographique le Bal, à Paris, une plongée superbe et angoissante dans le monde des drogués et des prostituées.

    La suite du parcours propose d’intéressantes ou amusantes digressions sur ce thème. Les Beatles chantaient "Lucy in the sky with diamonds" dont les premières lettres du titre forment LSD. Carsten Höller affirme chercher le "moyen d’être complètement perdu", d’être désorienté tout en restant créatif. Il développe cette idée en faisant des variations autour du champignon amanite tue-mouches, aussi beau avec ses points que dangereux.

    La Japonaise Yaoi Kusama se devait d’être là, avec son installation en immersion totale de points blancs et rouges. Sa vie est une oscillation entre le centre psychiatrique où elle dort la nuit, et son atelier.

    Deux affiches de Michel François montrent l’ambiguïté des images : une petite fille respire dans une grande fleur. Idée charmante sauf que cette fleur, la "datura", est hallucinogène.

    Chaque artiste, chacun, a finalement ses propres assuétudes. "L’aspirine c’est le champagne du matin", affirme sur un grand néon, Jeanne Suspuglas. L’art lui-même étant une suprême assuétude, une drogue dure comme l’affirmait déjà ironiquement Marcel Duchamp qui avait tout compris : "Chaque matin, le peintre qui se réveille a besoin, en dehors de son petit-déjeuner, d’un peu d’odeur de térébenthine. il va dans son atelier parce qu’il a besoin de cette odeur. Si ce n’est pas la térébenthine, c’est l’huile."
    On connaît bien le cas de nombreux écrivains ayant écrit "sous influence", Nerval, Baudelaire, pour se limiter à la litt. française et à qqs exemples bien connus, - et sans compter ceux qui comme Michaux ou Artaud, précisément, Huxley ou Quincey en faisaient un sujet d'expérimentation.

    Y a-t-il des exemples similaires en musique classique ou contemporaine ? je parle de compositeurs qui eux aussi auraient composé "sous influence" ou qui auraient utilisé cet adjuvant au service de leur art ? je dois dire que la question ne m'a jamais effleuré, alors qu'en litt. c'est un phénomène assez récurrent ...

    Merci des vos réponses à venir

  2. #2
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    Sujet intéressant, mais biaisé je pense, l'introduction de l'article cité le montre bien, les drogues sont un starter, mais ce starter enraye la machine. Je ne suis pas convaincu qu'il y ait tellement d'exemples de textes écrits sous l'influence directe de l'alcool, car effectivement, la difficulté à se relire... même au second degré, ce qui est écrit sous influence se révèle assez peu efficace lorsqu'on se relit dans un état normal. En littérature, je ne vois guère que The Pleasure Dome of Kubla Khan qui ait été produit directement dans un état hallucinatoire, et Coleridge n'a jamais pu retrouver l'état nécessaire pour poursuivre. C'est aussi que la vision, si elle intervient est supérieure à sa description et que la "rêverie" se suffit à elle-même. Tout tentative de la communiquer la détruit.

    Sans doute n'est-ce pas exactement la même chose pour la peinture et les arts graphiques, la perte de contrôle pouvant entraîner une spécificité du trait qui reste valide, même si l'on découvre que c'est celui d'un autre. En ce qui concerne l'exemple de Cocteau, les dessins d'Opium correspondent à des périodes de désintoxication, donc de manque, et le dessin vient combler ce manque, mais il n'est pas le produit de l'intoxication.

    L'écriture musicale est une chose si longue et si précise que je ne pense pas que l'usage de quelque drogue que ce soit puisse aider. On imagine évidemment de merveilleuses choses dont on a l'impression d'avoir une vision très nette et très vaste. Mais de là à les transcrire, il y a un grand pas, c'est comme les musiques entendues en rêve, il n'en reste qu'un souvenir vague.

    Weber dit-on buvait beaucoup. Il imprimait lui-même ses partitions dans sa cave, à l'eau forte: on raconte qu'il serait mort d'avoir confondu la bouteille de vin blanc et d'avoir éclusé une rasade d'acide...

    On a beaucoup prêté ce travers à nombre de musiciens russes, et soviétiques. En ce qui concerne Glazounov il semble que ç'ait été une réalité, mais précisément Glazounov a écrit très peu de choses entre 1917 et 1930. On attribue souvent l'échec de la 1ère symphonie de Rachmaninov au fait que Glazounov l'aurait dirigée dans un état d'alccolisation avancée... On a dit que c'était la raison principale du déclin de Moussorgsky, mais le caractère velléitaire et les atteintes du haut-mal sont peut-être plus directement responsables de son impuissance. On lit encore que Popov était alcoolique au dernier degré et que cela s'entend dans sa musique tardive; pure calomnie du régime, à mon avis il n'écrivait pas quand il buvait et ses oeuvres des années 70 témoignent d'une grande clarté de conception qui me paraît incompatible avec un état second prononcé. Idem pour Chostakovitch. Qu'on ait un souvenir de ce que les drogues nous ont inspiré au moment de passer à table pour les coucher sur le papier, sans doute, le produit finit sera de toute façon inférieure à ce qu'il était dans notre tête avant de se matérialiser.

    La création a besoin de la transe et d'une illusion de la projection de soi en démiurge, mais les meilleurs résultats sont obtenus sans tremplin quand l'inconscient sait imiter la désinhibition induite par les drogues sans la perte de contrôle qu'elles procurent. Il faut donc se regarder perdre les pédales, sans les perdre vraiment et ne lâcher la rampe que par intermittences.

  3. #3
    Administrateur Avatar de Philippe
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    Merci pour cette réponse nuancée ! il est vrai que les exemples cités généralement lorsqu'on aborde ce sujet sont pris chez les peintres, les écrivains ... beaucoup plus rarement chez les compositeurs classiques

    Citation Envoyé par sud273 Voir le message
    (...)
    Sans doute n'est-ce pas exactement la même chose pour la peinture et les arts graphiques, la perte de contrôle pouvant entraîner une spécificité du trait qui reste valide, même si l'on découvre que c'est celui d'un autre.
    (...)
    L'écriture musicale est une chose si longue et si précise que je ne pense pas que l'usage de quelque drogue que ce soit puisse aider.
    mais comment expliquer dans ce cas le succès des drogues chez les musiciens "non-classiques" ? je ne parle pas seulement de musique "rock" pure et dure (Doors, Rolling Stones etc) - mais l'utilisation de psychédéliques était aussi monnaie courante chez certains groupes de "progressive music" (Pink Floyd, Soft Machine, King Crimson, Tangerine Dream, Genesis ...) qui ont quand même écrit de la musique très élaborée ; bon évidemment je ne prétends pas qu'ils étaient tout le temps bourrés et qu'ils écrivaient leurs morceaux en étant sous l'influence de drogues mais bon ... évidemment l'écriture ne s'est peut-être pas faite de la même manière. Je ne sais ; mais ça m'intrigue ...

  4. #4
    Membre Avatar de Fou des chutes
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    Citation Envoyé par sud273 Voir le message

    La création a besoin de la transe et d'une illusion de la projection de soi en démiurge, mais les meilleurs résultats sont obtenus sans tremplin quand l'inconscient sait imiter la désinhibition induite par les drogues sans la perte de contrôle qu'elles procurent. Il faut donc se regarder perdre les pédales, sans les perdre vraiment et ne lâcher la rampe que par intermittences.
    N'est-ce pas là l'idéal romantique, tel que résumé dans la célèbre formule de Novalis : le chaos doit briller sous le voile de l'ordre ?

  5. #5
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    merci pour cette référence que j'ignorais...
    On m'a souvent taxé de romantisme -ce que je nie avec la dernière énergie...

    en ce qui concerne l'usage des drogues en rapport avec la musique populaire, il faut considérer aussi que les réactions individuelles varient d'un individu à l'autre. Il y en a à qui ça n'a pas trop réussi, Sid Barrett, Amy Winehouse...
    Inspiration, aspiration, expiration

  6. #6
    Modérateur Avatar de lebewohl
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    Il y en a plus que quelques-uns, je crains... dans les années 60 et 70, c'était un peu l'hécatombe.

    les jazzeux des années 40 à 70 connaissaient ça aussi, de Billie Holliday à Chet Baker. Les cantaores de flamenco ont souvent l'air peu à jeun, aussi, je trouve.

    En musique "classique", je ne sais pas trop ; quelques alcooliques, plusieurs déjà cités ; mais des drogues dures, au sens usuel? En effet, c'est sans doute incompatible. Quoique peut-être on peut trouver une mélodie en étant shooté - mais pas écrire 32 variations et une fugue dessus.

    Il y a eu aussi un certain nombre d'interprètes qui buvaient sec, non?
    .
    Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.

    Montaigne

  7. #7
    - Avatar de mah70
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    Mon oncle (mais il avait une dent contre ce chef) prétendait que la fougue de Munch était due à certaines piqures de stimulants.

    En ce qui me concerne, j'ai assisté, lors de ma seule visite à Aix, à un concert où Kurt Masur avait visiblement forcé sur le rosé local. Au programme: concerto pour violon et 1ère symphonie de Beethoven. Le résultat était excellent (surtout la 1ère)
    La seule certitude que j'ai, c'est d'être dans le doute. (Pierre Desproges)

  8. #8
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    Inspiration ou désinhibition?

    Il me semble que l'intérêt de l'alcool, c'est la levée des inhibitions, la limite étant la défonce, telle qu'on n'a plus la maîtrise de son instrument
    Si je comprends ce que je lis et entends ici et là, on attribue aux stupéfiants le pouvoir d'apporter une inspiration inaccessible autrement. La question que je me pose est: sachant que les drogues sont réputées abolir le jugement, que vaut l'appréciation des hallucinations visuelles et auditives qui surviennent lorsqu'on est sous l'emprise d'un stupéfiant?

  9. #9
    - Avatar de mah70
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    C'était la théorie du cinéaste américain d'avant-garde (et pas franchement cul pincé) Kenneth Anger pour expliquer la mauvaise qualité des films hollywoodiens dans les années '70: comme tout le monde était plus ou moins shooté sur le tournage, disait-il, tout le monde trouvait génial des idées parfaitement nulles. Une anecdote va dans le sens de Anger: le film qui a été surnommé "le tournage le plus cocaïné de l'histoire" (une production Disney, pourtant ) était le Popeye de Robert Altman, et c'est une belle bouse.
    La seule certitude que j'ai, c'est d'être dans le doute. (Pierre Desproges)

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