J’ai passé mon dimanche à m’ennuyer. Je m’étais décidé à écouter, ce dimanche donc, toutes les symphonies de Mahler. Je les avais déjà écoutées autrefois et je me souvenais parfaitement qu’elles m’avaient ennuyé. Mais c’était autrefois, dans un autre siècle même, et il m’est déjà arrivé d’apprécier plusieurs années après un compositeur que je n’aimais pas dans le temps. Donc, sait-on jamais, Mahler…
Ben non.
Mahler m’ennuie. Je devrais avoir honte de proférer cela. Mahler est quand même un géant de la musique ! En tout cas, tout le monde en convient. Il n’y a même pas besoin de le dire, d’ailleurs, tant c’est une évidence. Mais il y a quand même des gens, et pas des moindres, qui le disent. François-René Tranchefort, dans le Guide de la musique symphonique, par exemple (ou si ce n’est lui c’est l’un des rédacteurs qui ont collaboré au guide sous sa direction) : « Il entreprit une double carrière de compositeur et de chef d’orchestre [et] devait très rapidement, dans l’une et l’autre, atteindre les plus hauts sommets. » Les plus hauts sommets, ça veut bien dire que c’est un géant. Dans l’article consacré à Sibelius, pour prendre un exemple parmi mes “géants” à moi, il ne parle pas comme ça. Il se permet même de dire qu’il est « encore contesté (notamment dans les pays latins) [et] a suscité des avis fort contradictoires : “Le plus mauvais compositeur du monde”, selon René Leibowitz ; “Le plus grand symphoniste depuis Beethoven”, pour son biographe anglais Cecil Gray. » Si vous ne le savez pas, René Leibowitz était un compositeur français (1913-1972), sans doute meilleur compositeur que Sibelius. Mais qui écoute ses oeuvres et qui est capable d’en citer une ?... Ne répondez pas tous en même temps.
Pour ma part, je me range sans hésitation à l’avis de Cecil Gray.
Dans leur Histoire de la musique occidentale, Jean et Brigitte Massin (ou l’un des rédacteurs qui... en fait, c’est Marc vignal) disent la même chose de Mahler. Dans le chapitre à lui consacré, le premier sous-titre est “Vers les plus hauts sommets”, encore ! Un autre est “L’Œuvre mahlérien”. Ce n’est pas, d’une manière plus simple, “L’Œuvre de Mahler”, non; l’adjectif s’impose, à l’image de “beethovénien”, ou “mosartien”. Je regarde à quelques autres pour vérifier, et ça confirme : pas d’adjectif “albenizien” par exemple, ni “granadosien”, “fallaien”, “turinien” ou “rodriguien”, ce qui veut bien dire que ceux-là ne sont pas des géants (d’ailleurs, à eux cinq, ils se partagent trois malheureuses pages de l’ouvrage, contre 11 et demi pour Mahler. Ça aussi, le nombre de pages, ça veut tout dire.
Et pourtant, c’est bien Mahler qui m’ennuie et pas Albeniz, ni Granados, ni Falla, ni Turina, ni Rodrigo. Alors pourquoi ? Je lance ce cri de détresse à la face du monde : suis-je le seul être sur Terre à m’ennuyer si péniblement à l’écoute d’un géant manifeste ? Hein ?... Eh !...Oh !...
Et pis pourquoi, d’abord ? Pourquoi, par exemple, quand je lis que le 3ème mouvement de sa symphonie n° 4 (« un des sommets — re-encore ! — incontestés de l’œuvre de Mahler » dit-il*) est composé de deux thèmes dont le second est « franchement douloureux », eh bien je ne ressens strictement rien, pas la moindre émotion ? Suis-je si insensible que ça au Mahleur humain ? (merci d’apprécier le jeu de mots). Pourquoi ses tuttis pleins de trompettes, cors, trombonnes, timbales et grosses caisses (et si j’en oublie, lui ne les oubliera pas) me donnent envie d’en profiter pour aller pisser — voire plus, tellement ça me fait... oui, bon — en espérant que ça sera fini quand je reviendrai ? Pourquoi ? Pourquoi ne suis-je pas normalement constitué ?
C’est peut-être pas spécialement Mahler mais plus généralement la musique romantique qui m’ennuie ? C’était bien un romantique, Mahler ? Dites-moi si je me trompe. Oui, oui, un des derniers même. Ou alors la musique allemande-autrichienne ? C’est vrai qu’il n’y en a pas beaucoup dans ma discothèque. M’en voulez pas, les Allemands, c’est juste une incompatibilité d’humeur entre vous et moi, et uniquement sur le plan musical, soyez-en certains.
Allez, auf wiederzehen !
* Ce coup-là c’est Henry-Louis de La Grange