...jouait hier jeudi 06 mars 2008 pour un récital parisien salle Gaveau, en duo avec le claveciniste Riccardo Doni.
Une salle enthousiaste aux deux tiers remplis fit excellent accueil au trop rare violoniste italien, le rappelant chaleureusement pour trois bis.
Qu’a t-il joué ?
- Vivaldi, la sonate en Ut mineur RV6
- Albinoni, la sonate en Sib op 6 n°3
- Locatelli, la sonate en ré mineur op 6 n° 12
- Tartini, Sonate « le trille du diable »
- J.S. Bach, la partita n°3 en Mi Majeur (pour violon seul)
- La 2e sonate pour clavecin et violon en La Majeur.
(et trois bis de Corelli et Albinoni).
Fan de ce musicien exceptionnel dont je collectionne toute la discographie (j’avoue), c’était pour moi la première occasion de le découvrir en concert et de voir de près (j’étais à 5 mètres de lui) si l’extraordinaire perfection de ses enregistrements allait être confirmée sur scène.
Et bien c’est mieux qu’une confirmation, c’est bien plus beau en direct !! Car le cd, même dans les meilleures prises de son, et tout en en magnifiant certains aspects, durcit et caricature la réalité. J’ai été surpris par la rondeur de son jeu, toujours incisif, rude parfois, mais sans jamais de dureté comme on peut l’entendre parfois au cd.
Le maître de l’archet est aussi élégant à voir qu’à entendre. Il joue très près de son duettiste qui remplaçait le claveciniste Andrea Marcon, initialement annoncé pour cette soirée. Le corps fin et élancé du violoniste est entièrement tourné vers et pour le geste musical, ses jambes très souples restent toujours alertes, mobilisées et fermement connectées au sol, prêtes à bondir pour s’emparer de la mélopée.
Techniquement et musicalement, il est à mon avis l’un des meilleurs violonistes de ce début de siècle. D’abord pour la justesse de son jeu. Il joue mieux qu’en système tempéré, il joue « juste ». Et le plaisir et la détente que cela procure est immense. Les tierces majeures sont plus hautes lorsqu’elles montent conjointement, plus basses lorsqu’elles sont résonances, les quintes et les quartes sont justes, bref, c’est comme si d’un seul coup les aliments quotidiens recouvraient subitement leur SAVEUR...
Ensuite, et je ne m’en lasserai jamais, il fait mieux que jouer du violon : il chante avec son archet.
C’est tellement mieux...
Son sens du phrasé est tout simplement pour moi génial. Il structure chaque phrase en modelant ses formes internes, ses sommets, ses désinences, ses appogiatures qu’il fait à nul autre pareil. Tout fait sens et devient aisément mémorisable. Et quoi d’intéressant chez un musicien si ce n’est le sens de son phrasé ?
C’est un chanteur. Un chanteur qui brosse les quatre cordes vocales prolongeant sa gorge le long du bras jusqu’à pointe de ses doigts. Fines cordes qu’il soigne en les pressant de son pinceau en soie d’Orient. Car il a mille caresses dans son archet, les plus douces et les plus vigoureuses se côtoient et se succèdent frénétiquement comme les nuages un jour de giboulée, il y a mille couleurs sur sa palette.
Je ne connais pas d’autres violonistes possédant une telle imagination et un tel artisanat.
Il faut dire pour expliquer (tout de même) un peu cela, que Carmignola fait figure de vilain petit canard aux yeux des puristes : il a un pied dans le violon baroque de par l’archet qu’il joue, et un pied dans le violon moderne de par le violon et la technique qu’il emploie. Sa technique est largement inspirée du violon moderne, sa position aussi : mentonnière, grosse babarre sur la clavicule, et je subodore fortement des cordes métalliques sur son Stradivarius bien que sa sonorité n'ait rien de métallique.
En d’autres termes, il fait ce que personne n’ose faire aujourd’hui en ce domaine. Il prend ce qu’il considère être le meilleur dans deux univers que le « clergé musical » contemporain oppose farouchement : l’Histoire (Sa Vérité, Sa Quête) face au rôle d’un interprète... qui est de vivre dans son temps en tenant compte de son époque et de l’histoire qui est passée depuis l’œuvre.
C’est cette transgression qui lui permet de dé-passer ce qu’on pouvait faire à l’époque (de par la facture instrumentale et la technique d’archet plus limitée alors). Et d’autre part il dépasse également ce que fera un violoniste moderne sans archet baroque élevée au 100% pur romantico-vibrato. Tout se passe comme s’il s’agissait d’exprimer ce qu’il a compris du style de phrasé baroque avec les outils disponibles aujourd'hui.
Il posera donc des problèmes aux spécialistes de musiques anciennes qui rejetteront sa démarche sur un plan musicologique et technique (par ex. il joue très souvent à la pointe, des sons quasiment en apesanteur). Il met également mal à l’aise les violonistes modernes par le même archet baroque lui offrant la capacité d’obtenir une qualité de phrasé jamais réalisée avant lui, et aussi par son parti pris stylistique. Bref, dans son genre, il innove...
Pour ma part, sans cacher mon admiration (je crois que ça se sent, non ? ), je ne peux que m’incliner devant ce poète et merveilleux musicien...