Le même poème de Baudelaire, mort il y a cent cinquante et un ans aujourd'hui, a inspiré deux fois Debussy, et une fois quelques autres :
Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.
Montaigne
Les Djinns, Victor Hugo
Les Djinns
Murs, ville,
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.
Dans la plaine
Naît un bruit.
C'est l'haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu'une flamme
Toujours suit !
La voix plus haute
Semble un grelot.
D'un nain qui saute
C'est le galop.
Il fuit, s'élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d'un flot.
La rumeur approche.
L'écho la redit.
C'est comme la cloche
D'un couvent maudit ;
Comme un bruit de foule,
Qui tonne et qui roule,
Et tantôt s'écroule,
Et tantôt grandit,
Dieu ! la voix sépulcrale
Des Djinns !... Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond.
Déjà s'éteint ma lampe,
Et l'ombre de la rampe,
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu'au plafond.
C'est l'essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant !
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau, lourd et rapide,
Volant dans l'espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.
Ils sont tout près ! - Tenons fermée
Cette salle, où nous les narguons.
Quel bruit dehors ! Hideuse armée
De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée
Tremble, à déraciner ses gonds !
Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure !
L'horrible essaim, poussé par l'aquilon,
Sans doute, ô ciel ! s'abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l'on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu'il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon !
Prophète ! si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J'irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs !
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d'étincelles,
Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs !
Ils sont passés ! - Leur cohorte
S'envole, et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L'air est plein d'un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés !
De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l'on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d'une voix grêle,
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d'un vieux toit.
D'étranges syllabes
Nous viennent encor ;
Ainsi, des arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s'élève,
Et l'enfant qui rêve
Fait des rêves d'or.
Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leurs pas ;
Leur essaim gronde :
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas.
Ce bruit vague
Qui s'endort,
C'est la vague
Sur le bord ;
C'est la plainte,
Presque éteinte,
D'une sainte
Pour un mort.
On doute
La nuit...
J'écoute : -
Tout fuit,
Tout passe
L'espace
Efface
Le bruit.
Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.
Montaigne
Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie :
Dormez, tout espoir,
Dormez, toute envie !
Je ne vois plus rien,
Je perds la mémoire
Du mal et du bien...
O la triste histoire !
Je suis un berceau
Qu'une main balance
Au creux d'un caveau :
Silence, silence !
Paul Verlaine
avec mes remerciements à Jean-François Zygel
Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.
Montaigne
Il y a plus haut, enfin ci-avant, "Green", d'après Verlaine, par Debussy, Fauré, Hahn ; en voici un 4e, André Caplet, que je découvre (j'ai fini par trouver quelqu'un d'autre que Jarroussky, que je trouve totalement fourvoyé dans la mélodie française, déjà que je n'aime pas sa voix)
Dernière modification par lebewohl ; 20/06/2020 à 15h10.
Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.
Montaigne
Je ne crois pas que ce texte ait déjà été proposé ; multiples mises en musique! je commence par ma préférée, je pense.
Dans l'ordre, Ralph Vaughan Williams, Richard Rodney Bennett, Frank Martin, Robert Johnson, Henry Purcell, Michael Tippett, John Ireland, Michael Nyman, Igor Stravinsky
Full fathom five thy father lies;
Of his bones are coral made;
Those are pearls that were his eyes:
Nothing of him that doth fade,
But doth suffer a sea-change
Into something rich and strange.
Sea-nymphs hourly ring his knell:
Ding-dong.
Hark! now I hear them,—ding-dong, bell.
Dernière modification par lebewohl ; 20/06/2020 à 15h17.
Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.
Montaigne
Being Beauteous, tiré des Illuminations de Rimbaud, d'abord mis en musique par Britten, et chanté par Pears sous la direction de Britten, puis mis en musique par Henze, chanté par Edda Moser, sous la direction de Henze
Being beauteous
Devant une neige un Être de Beauté de haute taille. Des sifflements de mort et des cercles de musique sourde font monter, s’élargir et trembler comme un spectre ce corps adoré ; des blessures écarlates et noires éclatent dans les chairs superbes. Les couleurs propres de la vie se foncent, dansent, et se dégagent autour de la Vision, sur le chantier. Et les frissons s’élèvent et grondent et la saveur forcenée de ces effets se chargeant avec les sifflements mortels et les rauques musiques que le monde, loin derrière nous, lance sur notre mère de beauté, — elle recule, elle se dresse. Oh ! nos os sont revêtus d’un nouveau corps amoureux.
Ô la face cendrée, l’écusson de crin, les bras de cristal ! le canon sur lequel je dois m’abattre à travers la mêlée des arbres et de l’air léger !
Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.
Montaigne
Et j'ajoute à la page consacrée à "Un grand sommeil noir" la mise en musique qu'a réalisée Nadia Boulanger (Nadia, oui).
Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.
Montaigne
Le poème d'Eichendorff "Waldesgespräch" a été mis en musique par Zemlinsky après l'avoir été par Schumann dans un de ses cycles de lieder (ici par Anna Lucia Richter, présentée naguère par Innocent Paradis, et qui fait son chemin depuis ; Anna Lucia Richter, hein)
Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.
Montaigne
Je crois que la v.o., si j'ose dire, du Sibelius est le suédois, mais par Marian Anderson on se rend mieux compte que c'est le même texte. Et elle ne chante pas mal...
Dernière modification par lebewohl ; 06/10/2021 à 16h44.
Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.
Montaigne
Durey et Poulenc ont mis en musique le Bestiaire d'Apollinaire (Poulenc seulement six des poèmes). Contemporains et sinon proches du moins pas éloignés, mais pas la même musique!
Je n'ai pas trouvé le Durey au piano, la comparaison serait plus facile.
Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.
Montaigne
A rajouter aux multiples mises en musique de Full Fathom Five déjà proposées, celle-ci, de Frank Martin (mort il y a quarante-sept ans aujourd'hui, par parenthèse), que je trouve très réussie.
Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.
Montaigne
A propos de Full fathom five ... je ne sais pas si ceci a déjà été posté, et j'ai la flemme de chercher (shame, shame)
En attente de confirmation
Je découvre cette version par un interprète inattendu du texte de Brech "und was bekam des Soldate Weib", mis en musique plus haut par Weill et Eisler
Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.
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