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Discussion: 11 novembre

  1. #1
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    février 2008
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    11 novembre

    Le Tombeau de Couperin

    I – Prélude – A la mémoire du lieutenant Jacques Charlot
    II – Fugue – A la mémoire de Jean Cruppi
    III – Forlane – A la mémoire du lieutenant Gabriel Deluc
    IV – Rigaudon – A la mémoire de Pierre et Pascal Gaudin
    V – Menuet – A la mémoire de Jean Dreyfus
    VI – Toccata – A la mémoire du capitaine Joseph de Marliave

    * Jacques Charlot : compositeur, cousin de l’éditeur de musique Jacques Durand, transcripteur de plusieurs œuvres de Ravel, tué en mars 1915
    * Jean-Louis Cruppi : fils de Louise Crémieux-Cruppi, dédicataire de L’Heure Espagnole, amie de Marguerite Long - et de Jean Cruppi, magistrat, député, 4 fois ministre entre 1907 et 1912
    * Gabriel Deluc : peintre luzien, tué en septembre 1916 dans la Marne
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriel_Deluc
    * Pierre et Pascal Gaudin : frères, amis d’enfance luziens de Ravel, tués par le même obus le 1° jour de leur présence au front en novembre 1914 dans l’Aisne - frères de Marie Gaudin et Jane Courteault avec qui Ravel correspondit toute sa vie.
    * Jean Dreyfus : beau-fils de Mme Fernand Dreyfus, marraine de guerre de Ravel, et mère de Roland-Manuel, ami et élève de Ravel
    * Joseph de Marliave : musicologue, époux de Marguerite Long, tué en août 1914 dans la Meuse





    *********************************** ***************************

    Pour son War Requiem, Britten choisit des poèmes de Wilfred Owen. Le Requiem est postérieur à la 2° guerre mondiale, mais les poèmes sont ceux d’un jeune homme qui fut tué une semaine avant l’armistice du 11 novembre 1918.

    Wilfred Owen
    (18.03.93, Owestry, Shropshire – 4.11.18 sur le canal de la Sambre, inhumé à Ors, département du Nord)
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Wilfred_Owen
    https://en.wikipedia.org/wiki/Wilfred_Owen

    [My subject is War, and the pity of War
    The Poetry is in the pity ...
    All a poet can do today is warn. »
    (Siegfried Sassoon)

    Mon sujet c’est la Guerre, et le malheur de la Guerre
    La poésie est dans le Malheur
    Tout ce que peut faire un poète est d’avertir]

    [Requiem aeternam - ANTHEM FOR DOOMED YOUTH]

    What passing-bells for these who die as cattle?
    — Only the monstrous anger of the guns.
    Only the stuttering rifles' rapid rattle
    Can patter out their hasty orisons.
    No mockeries now for them; no prayers nor bells;
    Nor any voice of mourning save the choirs,—
    The shrill, demented choirs of wailing shells;
    And bugles calling for them from sad shires.

    What candles may be held to speed them all?
    Not in the hands of boys, but in their eyes
    Shall shine the holy glimmers of goodbyes.
    The pallor of girls' brows shall be their pall;
    Their flowers the tenderness of patient minds,
    And each slow dusk a drawing-down of blinds.

    Quel glas pour ceux qui meurent comme du bétail ?
    - Rien, que la monstrueuse colère des canons.
    Seul le crépitement bégayant des fusils
    Peut bredouiller leurs oraisons [funèbres].
    Plus de moqueries pour eux à présent, ; plus de prières ni de cloches ;
    Ni de voix pour les pleurer si ce n’est les chœurs,
    Les chœurs perçants et déments des mugissements d’obus ;
    Et les tristes clairons les appelant depuis de tristes comtés.

    Quels cierges porter pour à tous souhaiter bon voyage ?
    Ce n’est pas dans les mains des garçons, mais dans leurs yeux
    Que brilleront les lueurs sacrées des au-revoir.
    La pâleur du front des jeunes filles sera leur drap funéraire ;
    Leurs fleurs, la tendresse de patients esprits,
    Et à chaque lent crépuscule les stores qui se baissent.





    [Dies irae - BUT I WAS LOOKING AT THE PERMANENT STARS]

    Bugles sang, saddening the evening air,
    And bugles answered, sorrowful to hear.

    Voices of boys were by the river-side.
    Sleep mothered them; and left the twilight sad.
    The shadow of the morrow weighed on men.

    Voices of old despondency resigned,
    Bowed by the shadow of the morrow, slept.

    ( ) dying tone
    Of receding voices that will not return.
    The wailing of the high far-travelling shells
    And the deep cursing of the provoking ( )

    The monstrous anger of our taciturn guns.
    The majesty of the insults of their mouths.

    Des clairons sonnaient, attristant l’air du soir,
    Et des clairons répondaient, douloureux à entendre.

    Il y avait des voix de jeunes gens près de la rivière.
    Le sommeil leur fut une mère ; et laissa le crépuscule dans la tristesse.
    L’ombre du lendemain pesait sur les hommes.

    Les voix de l’ancien accablement cédèrent,
    Pliant devant l’ombre du lendemain, et s’endormirent.

    (…) le son qui meurt
    De voix qui s’éloignent qui ne reviendront jamais.
    Le mugissement des obus traversant les hauteurs célestes
    Et les profonds blasphèmes des (…) provocants.

    La colère monstrueuse de nos canon taciturnes.
    La majesté des insultes que profère leur bouche.



    [Liber scriptus – THE NEXT WAR]

    Out there, we’ve walked quite friendly up to Death
    Sat down and eaten with him, cool and bland, --
    Pardoned his spilling mess-tins in our hand.
    We’ve sniffed the green thick odour of his breath, --
    Our eyes wept, but our courage didn’t writhe.
    He’s spat at us with bullets and he’s coughed
    Shrapnel. We chorused when he sang aloft;
    We whistled while he shaved us with his scythe.
    Oh, Death was never enemy of ours!
    We laughed at him, we leagued with him, old chum.
    No soldier's paid to kick against his powers.
    We laughed, knowing that better men would come,
    And greater wars; when each proud fighter brags
    He wars on Death - for lives; not men - for flags.

    Là-bas, nous avons marché à la Mort très amicalement ;
    Nous sommes assis et avons mangé avec elle, dans le calme et la douceur,
    Lui avons pardonné de renverser nos gamelles dans nos mains.
    Nous avons humé l’odeur épaisse et verte de son haleine,
    Nos yeux ont pleuré, mais notre courage n’a pas faibli.
    Elle nous a craché dessus ses balles, il a toussé
    Des shrapnels. Nous avons repris en chœur quand elle chantait toutlà-haut.
    Nous avons sifflé quand elle nous rasait de sa faux.
    Oh, la Mort jamais ne fut jamais notre ennemie !
    Nous l’avons raillée, nous nous y sommes ligués, vieille camarade.
    Aucun soldat n’est payé pour regimber contre ses pouvoirs.
    Nous avons ri, sachant que viendraient de meilleurs hommes,
    Et de plus grandes guerres ; où chaque fier guerrier se targue
    De guerroyer contre la Mort – pour des vies ; pas pour des hommes – pour des drapeaux.



    [Confutatis – SONNET ON SEEING A PIECE OF OUR HEAVY ARTILLERY BROUGHT INTO ACTION
    Sonnet écrit en voyant une pièce de notre artillerie lourde mise en action]

    Be slowly lifted up, thou long black arm,
    Great Gun towering towards Heaven, about to curse;
    Sway steep against them, and for years rehearse
    Huge imprecations like a blasting charm!
    Reach at that Arrogance which needs thy harm,
    And beat it down before its sins grow worse.
    Spend our resentment, cannon,-yea, disburse
    Our gold in shapes of flame, our breaths in storm.
    Yet, for men's sakes whom thy vast malison
    Must wither innocent of enmity,
    Be not withdrawn, dark arm, the spoilure done,
    Safe to the bosom of our prosperity.
    But when thy spell be cast complete and whole,
    May God curse thee, and cut thee from our soul!

    Elève-toi lentement, long bras noir,
    Grand Canon t’élevant vers les Cieux, prêt à blasphémer ;
    Balaye large contre eux, et pendant des années répète
    D’énormes imprécations tel un sortilège tonnant !

    Tends vers cette Arrogance qu’il te faut blesser,
    Ecrase-là avant que ses péchés ne deviennent pires encore.
    Répends notre rancoeur, canon – oui, dépense
    Notre or en formes enflammées, notre souffle en tempête.

    Pourtant, pour le bien des hommes que ta grande malédiction
    Doit foudroyer vierges de haine,
    Qu’on ne te retire pas, sombre bras, une fois fait le pillage,
    Tranquille, au sein de notre monde prospère.
    Mais une fois lancés, pleins et entiers, tes maléfices,
    Puisse Dieu te maudire, et t’arracher de nos âmes !



    [Lacrimosa – FUTILITY]

    Move him into the sun—
    Gently its touch awoke him once,
    At home, whispering of fields half-sown.
    Always it woke him, even in France,
    Until this morning and this snow.
    If anything might rouse him now
    The kind old sun will know.

    Think how it wakes the seeds—
    Woke once the clays of a cold star.
    Are limbs, so dear-achieved, are sides
    Full-nerved, still warm, too hard to stir?
    Was it for this the clay grew tall?
    —O what made fatuous sunbeams toil
    To break earth's sleep at all?

    Portez-le au soleil,
    Doucement sa caresse l’éveilla autrefois,
    Chez lui, lui parlant en un murmure de champs ensemencés à demi.
    Toujours il l’éveilla, même en France,
    Jusqu’à ce matin et cette neige.
    S’il est quelque chose qui puisse l’éveiller maintenant,
    Ce bon vieux soleil le saura.

    Songez comme il éveille les semences,
    Comme il éveilla autrefois l’argile d’une froide étoile.
    Ces membres, si chèrement créés, ces flancs
    Si musclés, chauds encore, sont-ils trop durs à mouvoir ?
    Est-ce pour cela que l’argile se dressa ?
    Ô qu’est-ce donc qui poussa d’imbéciles rayons à œuvrer
    Pour rompre le sommeil de la terre ?




    [Offertorium – THE PARABLE OF THE OLD MAN AND THE YOUNG]

    So Abram rose, and clave the wood, and went,
    And took the fire with him, and a knife.
    And as they sojourned both of them together,
    Isaac the first-born spake and said, My Father,
    Behold the preparations, fire and iron,
    But where the lamb for this burnt-offering?
    Then Abram bound the youth with belts and straps,
    and builded parapets and trenches there,
    And stretchèd forth the knife to slay his son.
    When lo! an angel called him out of heaven,
    Saying, Lay not thy hand upon the lad,
    Neither do anything to him. Behold,
    A ram, caught in a thicket by its horns;
    Offer the Ram of Pride instead of him.

    But the old man would not so, but slew his son,
    And half the seed of Europe, one by one.

    Ainsi se leva Abraham, fendit le bois et s’en fut,
    Prenant avec lui le feu et le couteau.
    Et tandis qu’ils étaient tous deux ensemble Isaac le premier-né et dit : Mon Père,
    Vois ces préparatifs, le feu et le fer,
    Mais où est l’agneau pour cet holocauste ?
    Alors Abraham lia l’adolescent de ceintures et de lanières,
    Edifia parapets et tranchées,
    Et brandit le couteau pour mettre à mort son fils.
    Quand voyez ! un ange l’appela du haut des cieux
    Disant : Ne porte pas la main sur le garçon,
    Ni ne lui fais rien. Vois,
    Un bélier, les cornes prises dans un buisson ;
    Offre ce Bélier de l’Orgueil au lieu à sa plac.

    Mais le vieillard ne l’entendit pas ainsi, et mit à mort son fils.
    Et la moitié des jeunes pousses de l’Europe, une par une.



    [Sanctus – THE END]

    After the blast of lightning from the east,
    The flourish of loud clouds, the Chariot throne,
    After the drums of time have rolled and ceased
    And from the bronze west long retreat is blown,

    Shall Life renew these bodies? Of a truth
    All death will he annul, all tears assuage?
    Or fill these void veins full again with youth
    And wash with an immortal water age?

    When I do ask white Age, he saith not so, --
    "My head hangs weighed with snow."
    And when I hearken to the Earth she saith
    My fiery heart sinks aching. It is death.
    Mine ancient scars shall not be glorified
    Nor my titanic tears the seas be dried."

    Après les éclats de foudre venus de l’est,
    Les fanfares asourdissantes venues des nuages, le Char du Trône,
    Après qu’eurent roulé et se furent tus les tambours du temps
    Et que depuis l’ouest de bronze on eut sonné la retraite,

    La Vie restaurera-t-elle ces corps ? En vérité,
    Va-t-elle annuler toute mort, essuyer toutes les larmes ?
    Ou remplir à nouveau de jeunesse ces veines vides
    Et laver d’une eau d’immortalité la vieillesse ?

    Lorsque j’interroge la Vieillesse chenue, elle dit que non,
    « Ma tête penche, chargée de neige. »
    Et quand j’écoute la Terre, elle dit
    « Le feu de mon cœur chancelle de douleur. C’est la mort.
    Mes vieilles balafres ne seront point glorifiées
    Ni ne seront asséchés mes océans de larmes. »



    [[Agnus Dei – AT A CALVARY NEAR THE ANCRE
    Près d’un calvaire près de la rivière Ancre*]

    * Rivière de la Somme et du Pas-de-Calais

    One ever hangs where shelled roads part.
    In this war He too lost a limb,
    But His disciples hide apart;
    And now the Soldiers bear with Him.
    Near Golgotha strolls many a priest,
    And in their faces there is pride
    That they were flesh-marked by the Beast
    By whom the gentle Christ's denied.
    The scribes on all the people shove
    And bawl allegiance to the state,
    But they who love the greater love
    Lay down their life; they do not hate.

    Il pend à jamais où se séparent les routes bombardées.
    En cette guerre, Lui aussi a perdu un membre,
    Mais Ses disciples se sont cachés loin ;
    Et maintenant les Soldats L’accablent.

    Près du Golgotha erre maints prêtres,
    Et sur leur visage il y a la fierté
    D’avoir été marqués en leur chair par la Bête
    Par qui le doux Christ est renié.

    A tout le monde les scribes imposent
    En braillant l’allégeance à l’état,
    Mais ceux qui aiment d’un amour ultime
    Font sacrifice de leur vie, ils ne haïssent point.



    [[Libera me – STRANGE MEETING]
    Etrange rencontre]

    It seemed that out of battle I escaped
    Down some profound dull tunnel, long since scooped
    Through granites which titanic wars had groined.

    Yet also there encumbered sleepers groaned,
    Too fast in thought or death to be bestirred.
    Then, as I probed them, one sprang up, and stared
    With piteous recognition in fixed eyes,
    Lifting distressful hands, as if to bless.
    And by his smile, I knew that sullen hall,—
    By his dead smile I knew we stood in Hell.

    With a thousand fears that vision's face was grained;
    Yet no blood reached there from the upper ground,
    And no guns thumped, or down the flues made moan.
    “Strange friend,” I said, “here is no cause to mourn.”
    “None,” said that other, “save the undone years,
    The hopelessness. Whatever hope is yours,
    Was my life also; I went hunting wild
    After the wildest beauty in the world,
    Which lies not calm in eyes, or braided hair,
    But mocks the steady running of the hour,
    And if it grieves, grieves richlier than here.
    For by my glee might many men have laughed,



    And of my weeping something had been left,
    Which must die now. I mean the truth untold,
    The pity of war, the pity war distilled.
    Now men will go content with what we spoiled.
    Or, discontent, boil bloody, and be spilled.
    They will be swift with swiftness of the tigress.
    None will break ranks, though nations trek from progress.
    Courage was mine, and I had mystery;
    Wisdom was mine, and I had mastery:
    To miss the march of this retreating world
    Into vain citadels that are not walled.
    Then, when much blood had clogged their chariot-wheels,
    I would go up and wash them from sweet wells,
    Even with truths that lie too deep for taint.
    I would have poured my spirit without stint
    But not through wounds; not on the cess of war.
    Foreheads of men have bled where no wounds were.

    “I am the enemy you killed, my friend.
    I knew you in this dark: for so you frowned
    Yesterday through me as you jabbed and killed.
    I parried; but my hands were loath and cold.
    Let us sleep now. . . .”

    Il me sembla que j’avais échappé à la bataille
    Descendant un profond tunnel morne, depuis longtemps
    Creusé dans des granits voûtés par des guerres titanesques.

    Pourtant là aussi gémissaient des dormeurs entassés,
    Trop profondément plongés dans leurs pensées ou dans la mort pour être dérangés.
    Alors, tandis que je les secouais, l’un se dressa et me dévisagea
    Me reconnaissant, son regard fixe plein de compassion,
    Levant ses mains en signe de détresse, comme pour une bénédictio.
    Et à son sourire, je reconnus cette lugubre galerie :
    A son sourire mort, je sus que nous étions en Enfer.

    Le visage de cette vision était grêlé de mille peurs ;
    Pourtant nul sang venir d’en-haut n’atteignait ce lieu,
    Les canons ne tonnaient pas, ni ne gémissaient dans les conduits d’air.
    « Etrange ami », dis-je, « il n’y a pas ici de raison de s’affliger ».
    « Aucune » dit l’autre, « sauf les années gâchées,
    Le désespoir. Quel que soit ton espoir
    Ce fut aussi ma vie ; j’ai mené une folle quête
    De la plus ravageuse beauté du monde,
    Qui n’est ni dans un calme regard, ni dans des cheveux en tresse,
    Mais qui se moque de l’heure qui s’écoule régulière,
    Et qui si elle blesse, blesse plus richement qu’ici.
    Car de ma joie bien des hommes auraient pu se gausser
    Et de mes pleurs quelque chose est resté
    Qui maintenant doit mourir. Je veux dire la vérité non dite,
    Le malheur de la guerre, le malheur que la guerre a distillé.
    Maintenant les hommes se satisferont de ce que nous avons abîmé,
    Ou insatisfaits, se mettront en colère et se répandront.
    Ils seront agiles comme est agile la tigresse,
    Aucun ne rompra les rangs, bien que les nations s’éloignent du progrès.
    Le courage était mien, et j’avais du mystère.
    La sagesse était mienne, et j’avais le savoir.
    Pour éviter la marche de ce monde en retraite
    Vers de vaines citadelles sans murailles.
    Alors, quand bien du sang se serait figé aux roues de leurs chariots,
    Je remonterais et les laverais à de douces fontaines,
    Même de vérités enfouies trop profond pour être souillées.
    J’aurais répandu mon esprit sans limite
    Mais pas par des blessures ; pas par le biais de la guerre.
    Le front des hommes a saigné où n’était nulle blessure.

    Je suis l’ennemi que tu as tué, mon ami.
    Je t’ai reconnu dans ces ténèbres ; car tu fronçais ainsi le sourcil
    Hier, sans me voir, tandis que tu transperçais et tuais.
    J’ai paré ; mais j’avais froid aux mains, et elles renâclèrent.
    Laisse-nous dormir maintenant »


  2. #2
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    Merci!

    Je pense qu'il n'est pas absurde d'ajouter le Concerto pour la main gauche de Ravel, écrit pour Paul Wittgenstein qui avait perdu le bras droit à la guerre



    Bien sûr il y a d'autres oeuvres écrites pour lui, à suivre ; mais elles me semblent bien moins bien, dans l'ensemble.
    Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.

    Montaigne

  3. #3
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    Lettre d'un poilu à sa femme

    Lettre d'un poilu à sa femme : "La sentence est tombée : je vais être fusillé pour l'exemple, demain, avec six de mes camarades, pour refus d'obtempérer."

    *****
    Le 30 mai 1917
    Léonie chérie

    J'ai confié cette dernière lettre à des mains amies en espérant qu'elle t'arrive un jour afin que tu saches la vérité et parce que je veux aujourd'hui témoigner de l'horreur de cette guerre.

    Quand nous sommes arrivés ici, la plaine était magnifique. Aujourd'hui, les rives de l'Aisne ressemblent au pays de la mort. La terre est bouleversée, brûlée. Le paysage n'est plus que champ de ruines. Nous sommes dans les tranchées de première ligne. En plus des balles, des bombes, des barbelés, c'est la guerre des mines avec la perspective de sauter à tout moment. Nous sommes sales, nos frusques sont en lambeaux. Nous pataugeons dans la boue, une boue de glaise, épaisse, collante dont il est impossible de se débarrasser. Les tranchées s'écroulent sous les obus et mettent à jour des corps, des ossements et des crânes, l'odeur est pestilentielle.

    Tout manque : l'eau, les latrines, la soupe. Nous sommes mal ravitaillés, la galetouse est bien vide ! Un seul repas de nuit et qui arrive froid à cause de la longueur des boyaux à parcourir. Nous n'avons même plus de sèches pour nous réconforter parfois encore un peu de jus et une rasade de casse-pattes pour nous réchauffer.

    Nous partons au combat l'épingle à chapeau au fusil. Il est difficile de se mouvoir, coiffés d'un casque en tôle d'acier lourd et incommode mais qui protège des ricochets et encombrés de tout l'attirail contre les gaz asphyxiants. Nous avons participé à des offensives à outrance qui ont toutes échoué sur des montagnes de cadavres. Ces incessants combats nous ont laissé exténués et désespérés. Les malheureux estropiés que le monde va regarder d'un air dédaigneux à leur retour, auront-ils seulement droit à la petite croix de guerre pour les dédommager d'un bras, d'une jambe en moins ? Cette guerre nous apparaît à tous comme une infâme et inutile boucherie.

    Le 16 avril, le général Nivelle a lancé une nouvelle attaque au Chemin des Dames. Ce fut un échec, un désastre ! Partout des morts ! Lorsque j'avançais les sentiments n'existaient plus, la peur, l'amour, plus rien n'avait de sens. Il importait juste d'aller de l'avant, de courir, de tirer et partout les soldats tombaient en hurlant de douleur. Les pentes d'accès boisées, étaient rudes. Perdu dans le brouillard, le fusil à l'épaule j'errais, la sueur dégoulinant dans mon dos. Le champ de bataille me donnait la nausée. Un vrai charnier s'étendait à mes pieds. J'ai descendu la butte en enjambant les corps désarticulés, une haine terrible s'emparant de moi.

    Cet assaut a semé le trouble chez tous les poilus et forcé notre désillusion. Depuis, on ne supporte plus les sacrifices inutiles, les mensonges de l'état major. Tous les combattants désespèrent de l'existence, beaucoup ont déserté et personne ne veut plus marcher. Des tracts circulent pour nous inciter à déposer les armes. La semaine dernière, le régiment entier n'a pas voulu sortir une nouvelle fois de la tranchée, nous avons refusé de continuer à attaquer mais pas de défendre.

    Alors, nos officiers ont été chargés de nous juger. J'ai été condamné à passer en conseil de guerre exceptionnel, sans aucun recours possible. La sentence est tombée : je vais être fusillé pour l'exemple, demain, avec six de mes camarades, pour refus d'obtempérer. En nous exécutant, nos supérieurs ont pour objectif d'aider les combattants à retrouver le goût de l'obéissance, je ne crois pas qu'ils y parviendront.

    Comprendras-tu Léonie chérie que je ne suis pas coupable mais victime d'une justice expéditive ? Je vais finir dans la fosse commune des morts honteux, oubliés de l'histoire. Je ne mourrai pas au front mais les yeux bandés, à l'aube, agenouillé devant le peloton d'exécution. Je regrette tant ma Léonie la douleur et la honte que ma triste fin va t'infliger.

    C'est si difficile de savoir que je ne te reverrai plus et que ma fille grandira sans moi. Concevoir cette enfant avant mon départ au combat était une si douce et si jolie folie mais aujourd'hui, vous laisser seules toutes les deux me brise le cœur. Je vous demande pardon mes anges de vous abandonner.

    Promets-moi mon amour de taire à ma petite Jeanne les circonstances exactes de ma disparition. Dis-lui que son père est tombé en héros sur le champ de bataille, parle-lui de la bravoure et la vaillance des soldats et si un jour, la mémoire des poilus fusillés pour l'exemple est réhabilitée, mais je n'y crois guère, alors seulement, et si tu le juges nécessaire, montre-lui cette lettre.

    Ne doutez jamais toutes les deux de mon honneur et de mon courage car la France nous a trahis et la France va nous sacrifier.

    Promets-moi aussi ma douce Léonie, lorsque le temps aura lissé ta douleur, de ne pas renoncer à être heureuse, de continuer à sourire à la vie, ma mort sera ainsi moins cruelle. Je vous souhaite à toutes les deux, mes petites femmes, tout le bonheur que vous méritez et que je ne pourrai pas vous donner. Je vous embrasse, le coeur au bord des larmes. Vos merveilleux visages, gravés dans ma mémoire, seront mon dernier réconfort avant la fin.

    Eugène ton mari qui t'aime tant

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