Le Tombeau de Couperin
I – Prélude – A la mémoire du lieutenant Jacques Charlot
II – Fugue – A la mémoire de Jean Cruppi
III – Forlane – A la mémoire du lieutenant Gabriel Deluc
IV – Rigaudon – A la mémoire de Pierre et Pascal Gaudin
V – Menuet – A la mémoire de Jean Dreyfus
VI – Toccata – A la mémoire du capitaine Joseph de Marliave
* Jacques Charlot : compositeur, cousin de l’éditeur de musique Jacques Durand, transcripteur de plusieurs œuvres de Ravel, tué en mars 1915
* Jean-Louis Cruppi : fils de Louise Crémieux-Cruppi, dédicataire de L’Heure Espagnole, amie de Marguerite Long - et de Jean Cruppi, magistrat, député, 4 fois ministre entre 1907 et 1912
* Gabriel Deluc : peintre luzien, tué en septembre 1916 dans la Marne
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriel_Deluc
* Pierre et Pascal Gaudin : frères, amis d’enfance luziens de Ravel, tués par le même obus le 1° jour de leur présence au front en novembre 1914 dans l’Aisne - frères de Marie Gaudin et Jane Courteault avec qui Ravel correspondit toute sa vie.
* Jean Dreyfus : beau-fils de Mme Fernand Dreyfus, marraine de guerre de Ravel, et mère de Roland-Manuel, ami et élève de Ravel
* Joseph de Marliave : musicologue, époux de Marguerite Long, tué en août 1914 dans la Meuse
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Pour son War Requiem, Britten choisit des poèmes de Wilfred Owen. Le Requiem est postérieur à la 2° guerre mondiale, mais les poèmes sont ceux d’un jeune homme qui fut tué une semaine avant l’armistice du 11 novembre 1918.
Wilfred Owen
(18.03.93, Owestry, Shropshire – 4.11.18 sur le canal de la Sambre, inhumé à Ors, département du Nord)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Wilfred_Owen
https://en.wikipedia.org/wiki/Wilfred_Owen
[My subject is War, and the pity of War
The Poetry is in the pity ...
All a poet can do today is warn. »
(Siegfried Sassoon)
Mon sujet c’est la Guerre, et le malheur de la Guerre
La poésie est dans le Malheur
Tout ce que peut faire un poète est d’avertir]
[Requiem aeternam - ANTHEM FOR DOOMED YOUTH]
What passing-bells for these who die as cattle?
— Only the monstrous anger of the guns.
Only the stuttering rifles' rapid rattle
Can patter out their hasty orisons.
No mockeries now for them; no prayers nor bells;
Nor any voice of mourning save the choirs,—
The shrill, demented choirs of wailing shells;
And bugles calling for them from sad shires.
What candles may be held to speed them all?
Not in the hands of boys, but in their eyes
Shall shine the holy glimmers of goodbyes.
The pallor of girls' brows shall be their pall;
Their flowers the tenderness of patient minds,
And each slow dusk a drawing-down of blinds.
Quel glas pour ceux qui meurent comme du bétail ?
- Rien, que la monstrueuse colère des canons.
Seul le crépitement bégayant des fusils
Peut bredouiller leurs oraisons [funèbres].
Plus de moqueries pour eux à présent, ; plus de prières ni de cloches ;
Ni de voix pour les pleurer si ce n’est les chœurs,
Les chœurs perçants et déments des mugissements d’obus ;
Et les tristes clairons les appelant depuis de tristes comtés.
Quels cierges porter pour à tous souhaiter bon voyage ?
Ce n’est pas dans les mains des garçons, mais dans leurs yeux
Que brilleront les lueurs sacrées des au-revoir.
La pâleur du front des jeunes filles sera leur drap funéraire ;
Leurs fleurs, la tendresse de patients esprits,
Et à chaque lent crépuscule les stores qui se baissent.
[Dies irae - BUT I WAS LOOKING AT THE PERMANENT STARS]
Bugles sang, saddening the evening air,
And bugles answered, sorrowful to hear.
Voices of boys were by the river-side.
Sleep mothered them; and left the twilight sad.
The shadow of the morrow weighed on men.
Voices of old despondency resigned,
Bowed by the shadow of the morrow, slept.
( ) dying tone
Of receding voices that will not return.
The wailing of the high far-travelling shells
And the deep cursing of the provoking ( )
The monstrous anger of our taciturn guns.
The majesty of the insults of their mouths.
Des clairons sonnaient, attristant l’air du soir,
Et des clairons répondaient, douloureux à entendre.
Il y avait des voix de jeunes gens près de la rivière.
Le sommeil leur fut une mère ; et laissa le crépuscule dans la tristesse.
L’ombre du lendemain pesait sur les hommes.
Les voix de l’ancien accablement cédèrent,
Pliant devant l’ombre du lendemain, et s’endormirent.
(…) le son qui meurt
De voix qui s’éloignent qui ne reviendront jamais.
Le mugissement des obus traversant les hauteurs célestes
Et les profonds blasphèmes des (…) provocants.
La colère monstrueuse de nos canon taciturnes.
La majesté des insultes que profère leur bouche.
[Liber scriptus – THE NEXT WAR]
Out there, we’ve walked quite friendly up to Death
Sat down and eaten with him, cool and bland, --
Pardoned his spilling mess-tins in our hand.
We’ve sniffed the green thick odour of his breath, --
Our eyes wept, but our courage didn’t writhe.
He’s spat at us with bullets and he’s coughed
Shrapnel. We chorused when he sang aloft;
We whistled while he shaved us with his scythe.
Oh, Death was never enemy of ours!
We laughed at him, we leagued with him, old chum.
No soldier's paid to kick against his powers.
We laughed, knowing that better men would come,
And greater wars; when each proud fighter brags
He wars on Death - for lives; not men - for flags.
Là-bas, nous avons marché à la Mort très amicalement ;
Nous sommes assis et avons mangé avec elle, dans le calme et la douceur,
Lui avons pardonné de renverser nos gamelles dans nos mains.
Nous avons humé l’odeur épaisse et verte de son haleine,
Nos yeux ont pleuré, mais notre courage n’a pas faibli.
Elle nous a craché dessus ses balles, il a toussé
Des shrapnels. Nous avons repris en chœur quand elle chantait toutlà-haut.
Nous avons sifflé quand elle nous rasait de sa faux.
Oh, la Mort jamais ne fut jamais notre ennemie !
Nous l’avons raillée, nous nous y sommes ligués, vieille camarade.
Aucun soldat n’est payé pour regimber contre ses pouvoirs.
Nous avons ri, sachant que viendraient de meilleurs hommes,
Et de plus grandes guerres ; où chaque fier guerrier se targue
De guerroyer contre la Mort – pour des vies ; pas pour des hommes – pour des drapeaux.
[Confutatis – SONNET ON SEEING A PIECE OF OUR HEAVY ARTILLERY BROUGHT INTO ACTION
Sonnet écrit en voyant une pièce de notre artillerie lourde mise en action]
Be slowly lifted up, thou long black arm,
Great Gun towering towards Heaven, about to curse;
Sway steep against them, and for years rehearse
Huge imprecations like a blasting charm!
Reach at that Arrogance which needs thy harm,
And beat it down before its sins grow worse.
Spend our resentment, cannon,-yea, disburse
Our gold in shapes of flame, our breaths in storm.
Yet, for men's sakes whom thy vast malison
Must wither innocent of enmity,
Be not withdrawn, dark arm, the spoilure done,
Safe to the bosom of our prosperity.
But when thy spell be cast complete and whole,
May God curse thee, and cut thee from our soul!
Elève-toi lentement, long bras noir,
Grand Canon t’élevant vers les Cieux, prêt à blasphémer ;
Balaye large contre eux, et pendant des années répète
D’énormes imprécations tel un sortilège tonnant !
Tends vers cette Arrogance qu’il te faut blesser,
Ecrase-là avant que ses péchés ne deviennent pires encore.
Répends notre rancoeur, canon – oui, dépense
Notre or en formes enflammées, notre souffle en tempête.
Pourtant, pour le bien des hommes que ta grande malédiction
Doit foudroyer vierges de haine,
Qu’on ne te retire pas, sombre bras, une fois fait le pillage,
Tranquille, au sein de notre monde prospère.
Mais une fois lancés, pleins et entiers, tes maléfices,
Puisse Dieu te maudire, et t’arracher de nos âmes !
[Lacrimosa – FUTILITY]
Move him into the sun—
Gently its touch awoke him once,
At home, whispering of fields half-sown.
Always it woke him, even in France,
Until this morning and this snow.
If anything might rouse him now
The kind old sun will know.
Think how it wakes the seeds—
Woke once the clays of a cold star.
Are limbs, so dear-achieved, are sides
Full-nerved, still warm, too hard to stir?
Was it for this the clay grew tall?
—O what made fatuous sunbeams toil
To break earth's sleep at all?
Portez-le au soleil,
Doucement sa caresse l’éveilla autrefois,
Chez lui, lui parlant en un murmure de champs ensemencés à demi.
Toujours il l’éveilla, même en France,
Jusqu’à ce matin et cette neige.
S’il est quelque chose qui puisse l’éveiller maintenant,
Ce bon vieux soleil le saura.
Songez comme il éveille les semences,
Comme il éveilla autrefois l’argile d’une froide étoile.
Ces membres, si chèrement créés, ces flancs
Si musclés, chauds encore, sont-ils trop durs à mouvoir ?
Est-ce pour cela que l’argile se dressa ?
Ô qu’est-ce donc qui poussa d’imbéciles rayons à œuvrer
Pour rompre le sommeil de la terre ?
[Offertorium – THE PARABLE OF THE OLD MAN AND THE YOUNG]
So Abram rose, and clave the wood, and went,
And took the fire with him, and a knife.
And as they sojourned both of them together,
Isaac the first-born spake and said, My Father,
Behold the preparations, fire and iron,
But where the lamb for this burnt-offering?
Then Abram bound the youth with belts and straps,
and builded parapets and trenches there,
And stretchèd forth the knife to slay his son.
When lo! an angel called him out of heaven,
Saying, Lay not thy hand upon the lad,
Neither do anything to him. Behold,
A ram, caught in a thicket by its horns;
Offer the Ram of Pride instead of him.
But the old man would not so, but slew his son,
And half the seed of Europe, one by one.
Ainsi se leva Abraham, fendit le bois et s’en fut,
Prenant avec lui le feu et le couteau.
Et tandis qu’ils étaient tous deux ensemble Isaac le premier-né et dit : Mon Père,
Vois ces préparatifs, le feu et le fer,
Mais où est l’agneau pour cet holocauste ?
Alors Abraham lia l’adolescent de ceintures et de lanières,
Edifia parapets et tranchées,
Et brandit le couteau pour mettre à mort son fils.
Quand voyez ! un ange l’appela du haut des cieux
Disant : Ne porte pas la main sur le garçon,
Ni ne lui fais rien. Vois,
Un bélier, les cornes prises dans un buisson ;
Offre ce Bélier de l’Orgueil au lieu à sa plac.
Mais le vieillard ne l’entendit pas ainsi, et mit à mort son fils.
Et la moitié des jeunes pousses de l’Europe, une par une.
[Sanctus – THE END]
After the blast of lightning from the east,
The flourish of loud clouds, the Chariot throne,
After the drums of time have rolled and ceased
And from the bronze west long retreat is blown,
Shall Life renew these bodies? Of a truth
All death will he annul, all tears assuage?
Or fill these void veins full again with youth
And wash with an immortal water age?
When I do ask white Age, he saith not so, --
"My head hangs weighed with snow."
And when I hearken to the Earth she saith
My fiery heart sinks aching. It is death.
Mine ancient scars shall not be glorified
Nor my titanic tears the seas be dried."
Après les éclats de foudre venus de l’est,
Les fanfares asourdissantes venues des nuages, le Char du Trône,
Après qu’eurent roulé et se furent tus les tambours du temps
Et que depuis l’ouest de bronze on eut sonné la retraite,
La Vie restaurera-t-elle ces corps ? En vérité,
Va-t-elle annuler toute mort, essuyer toutes les larmes ?
Ou remplir à nouveau de jeunesse ces veines vides
Et laver d’une eau d’immortalité la vieillesse ?
Lorsque j’interroge la Vieillesse chenue, elle dit que non,
« Ma tête penche, chargée de neige. »
Et quand j’écoute la Terre, elle dit
« Le feu de mon cœur chancelle de douleur. C’est la mort.
Mes vieilles balafres ne seront point glorifiées
Ni ne seront asséchés mes océans de larmes. »
[[Agnus Dei – AT A CALVARY NEAR THE ANCRE
Près d’un calvaire près de la rivière Ancre*]
* Rivière de la Somme et du Pas-de-Calais
One ever hangs where shelled roads part.
In this war He too lost a limb,
But His disciples hide apart;
And now the Soldiers bear with Him.
Near Golgotha strolls many a priest,
And in their faces there is pride
That they were flesh-marked by the Beast
By whom the gentle Christ's denied.
The scribes on all the people shove
And bawl allegiance to the state,
But they who love the greater love
Lay down their life; they do not hate.
Il pend à jamais où se séparent les routes bombardées.
En cette guerre, Lui aussi a perdu un membre,
Mais Ses disciples se sont cachés loin ;
Et maintenant les Soldats L’accablent.
Près du Golgotha erre maints prêtres,
Et sur leur visage il y a la fierté
D’avoir été marqués en leur chair par la Bête
Par qui le doux Christ est renié.
A tout le monde les scribes imposent
En braillant l’allégeance à l’état,
Mais ceux qui aiment d’un amour ultime
Font sacrifice de leur vie, ils ne haïssent point.
[[Libera me – STRANGE MEETING]
Etrange rencontre]
It seemed that out of battle I escaped
Down some profound dull tunnel, long since scooped
Through granites which titanic wars had groined.
Yet also there encumbered sleepers groaned,
Too fast in thought or death to be bestirred.
Then, as I probed them, one sprang up, and stared
With piteous recognition in fixed eyes,
Lifting distressful hands, as if to bless.
And by his smile, I knew that sullen hall,—
By his dead smile I knew we stood in Hell.
With a thousand fears that vision's face was grained;
Yet no blood reached there from the upper ground,
And no guns thumped, or down the flues made moan.
“Strange friend,” I said, “here is no cause to mourn.”
“None,” said that other, “save the undone years,
The hopelessness. Whatever hope is yours,
Was my life also; I went hunting wild
After the wildest beauty in the world,
Which lies not calm in eyes, or braided hair,
But mocks the steady running of the hour,
And if it grieves, grieves richlier than here.
For by my glee might many men have laughed,
And of my weeping something had been left,
Which must die now. I mean the truth untold,
The pity of war, the pity war distilled.
Now men will go content with what we spoiled.
Or, discontent, boil bloody, and be spilled.
They will be swift with swiftness of the tigress.
None will break ranks, though nations trek from progress.
Courage was mine, and I had mystery;
Wisdom was mine, and I had mastery:
To miss the march of this retreating world
Into vain citadels that are not walled.
Then, when much blood had clogged their chariot-wheels,
I would go up and wash them from sweet wells,
Even with truths that lie too deep for taint.
I would have poured my spirit without stint
But not through wounds; not on the cess of war.
Foreheads of men have bled where no wounds were.
“I am the enemy you killed, my friend.
I knew you in this dark: for so you frowned
Yesterday through me as you jabbed and killed.
I parried; but my hands were loath and cold.
Let us sleep now. . . .”
Il me sembla que j’avais échappé à la bataille
Descendant un profond tunnel morne, depuis longtemps
Creusé dans des granits voûtés par des guerres titanesques.
Pourtant là aussi gémissaient des dormeurs entassés,
Trop profondément plongés dans leurs pensées ou dans la mort pour être dérangés.
Alors, tandis que je les secouais, l’un se dressa et me dévisagea
Me reconnaissant, son regard fixe plein de compassion,
Levant ses mains en signe de détresse, comme pour une bénédictio.
Et à son sourire, je reconnus cette lugubre galerie :
A son sourire mort, je sus que nous étions en Enfer.
Le visage de cette vision était grêlé de mille peurs ;
Pourtant nul sang venir d’en-haut n’atteignait ce lieu,
Les canons ne tonnaient pas, ni ne gémissaient dans les conduits d’air.
« Etrange ami », dis-je, « il n’y a pas ici de raison de s’affliger ».
« Aucune » dit l’autre, « sauf les années gâchées,
Le désespoir. Quel que soit ton espoir
Ce fut aussi ma vie ; j’ai mené une folle quête
De la plus ravageuse beauté du monde,
Qui n’est ni dans un calme regard, ni dans des cheveux en tresse,
Mais qui se moque de l’heure qui s’écoule régulière,
Et qui si elle blesse, blesse plus richement qu’ici.
Car de ma joie bien des hommes auraient pu se gausser
Et de mes pleurs quelque chose est resté
Qui maintenant doit mourir. Je veux dire la vérité non dite,
Le malheur de la guerre, le malheur que la guerre a distillé.
Maintenant les hommes se satisferont de ce que nous avons abîmé,
Ou insatisfaits, se mettront en colère et se répandront.
Ils seront agiles comme est agile la tigresse,
Aucun ne rompra les rangs, bien que les nations s’éloignent du progrès.
Le courage était mien, et j’avais du mystère.
La sagesse était mienne, et j’avais le savoir.
Pour éviter la marche de ce monde en retraite
Vers de vaines citadelles sans murailles.
Alors, quand bien du sang se serait figé aux roues de leurs chariots,
Je remonterais et les laverais à de douces fontaines,
Même de vérités enfouies trop profond pour être souillées.
J’aurais répandu mon esprit sans limite
Mais pas par des blessures ; pas par le biais de la guerre.
Le front des hommes a saigné où n’était nulle blessure.
Je suis l’ennemi que tu as tué, mon ami.
Je t’ai reconnu dans ces ténèbres ; car tu fronçais ainsi le sourcil
Hier, sans me voir, tandis que tu transperçais et tuais.
J’ai paré ; mais j’avais froid aux mains, et elles renâclèrent.
Laisse-nous dormir maintenant »