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Discussion: Gaspard de la Nuit

  1. #1
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    février 2008
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    Gaspard de la Nuit

    Poèmes d'Aloysius (Louis) Bertrand (1807-1841), tirés du recueil Les Fantaisies de Gaspard de la Nuit (1842, publication posthume)

    Musique de Maurice Ravel (1875-1937)
    Création en 1909 par Ricardo Viñes

    **********

    1 – Ondine


    [ ................................Je croyais entendre
    Une vague harmonie enchanter mon sommeil,
    Et près de moi s'épandre un murmure pareil
    Aux chants entrecoupés d'une voix triste et tendre.

    Ch. Brugnot - Les deux Génies ]

    " Écoute ! - Écoute ! - C'est moi, c'est Ondine qui frôle de ces gouttes d'eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune; et voici, en robe de moire, la dame châtelaine qui contemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau lac endormi.

    Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l'air.

    Écoute ! - Écoute ! - Mon père bat l'eau coassante d'une branche d'aulne verte, et mes soeurs caressent de leurs bras d'écume les fraîches îles d'herbes, de nénuphars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduc et barbu qui pêche à la ligne."

    Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon doigt, pour être l'époux d'une Ondine, et de visiter avec elle son palais, pour être le roi des lacs.

    Et comme je lui répondais que j'aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et s'évanouit en giboulées qui ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus.



    **********

    2 – Le Gibet


    [ Que vois-je remuer autour de ce gibet ?
    Faust ]

    Ah ! ce que j'entends, serait-ce la bise nocturne qui glapit, ou le pendu qui pousse un soupir sur la fourche patibulaire ?

    Serait-ce quelque grillon qui chante tapi dans la mousse et le lierre stérile dont par pitié se chausse le bois ?

    Serait-ce quelque mouche en chasse sonnant du cor autour de ces oreilles sourdes à la fanfare des hallalis ?

    Serait-ce quelque escarbot qui cueille en son vol inégal un cheveu sanglant à son crâne chauve ?

    Ou bien serait-ce quelque araignée qui brode une demi-aune de mousseline pour cravate à ce col étranglé ?

    C'est la cloche qui tinte aux murs d'une ville, sous l'horizon, et la carcasse d'un pendu que rougit le soleil couchant.




    **********

    3 – Scarbo

    PIECES DETACHEES XII : SCARBO


    [ Il regarda sous le lit, dans la cheminée, dans le bahut; - personne. Il ne put comprendre par où il s'était introduit, par où il s'était évadé.
    E.T.A. Hoffmann. - Contes nocturnes ]

    Oh ! que de fois je l'ai entendu et vu, Scarbo, lorsqu'à minuit la lune brille dans le ciel comme un écu d'argent sur une bannière d'azur semée d'abeilles d'or !

    Que de fois j'ai entendu bourdonner son rire dans l'ombre de mon alcôve, et grincer son ongle sur la soie des courtines de mon lit !

    Que de fois je l'ai vu descendre du plancher, pirouetter sur un pied et rouler par la chambre comme le fuseau tombé de la quenouille d'une sorcière.

    Le croyais-je alors évanoui ? le nain grandissait entre la lune et moi, comme le clocher d'une cathédrale gothique, un grelot d'or en branle à son bonnet pointu !

    Mais bientôt son corps bleuissait, diaphane comme la cire d'une bougie, son visage blémissait comme la cire d'un lumignon, - et soudain il s'éteignait.


    (Le nain Scarbo apparaît dans les 3 premiers poèmes du 3° livre du recueil, La Nuit et ses Prestiges - oir après la vidéo))




    LA NUIT ET SES PRESTIGES

    I - LA CHAMBRE GOTHIQUE

    [ Nox et solitudo plenae sunt diabolo.
    (La nuit et la solitude sont remplies du diable)

    Les Pères de l'Église ]

    « Oh ! la terre, - murmurai-je à la nuit, est un calice embaumé dont le pistil et les étamines sont la lune et les étoiles ! »

    Et, les yeux lourds de sommeil, je fermai la fenêtre qu'incrusta la croix du calvaire, noire dans la jaune auréole des vitraux.

    Encore, - si ce n'était à minuit, - l'heure blasonnée de dragons et de diables ! - que le gnome qui se soûle de l'huile de ma lampe !

    Si ce n'était que la nourrice qui berce avec un chant monotone, dans la cuirasse de mon père, un petit enfant mort-né !

    Si ce n'était que le squelette du lansquenet emprisonné dans la boiserie, et heurtant du front, du coude et du genou !

    Si ce n'était que mon aïeul qui descend en pied de son cadre vermoulu, et trempe son gantelet dans l'eau bénite du bénitier !

    2 - SCARBO

    [ Mon Dieu, accordez-moi, à l’heure de ma mort, les prières d’un prêtre, un linceul de toile, une bière de sapin et un lieu sec.
    Les patenôtres de Monsieur le Maréchal. ]

    "Que tu meures absous ou damné, marmottait Scarbo cette nuit à mon oreille, tu auras pour linceul une toile d’araignée, et j’ensevelirai l’araignée avec toi !"

    Oh ! que du moins j’aie pour linceul, lui répondais-je, les yeux rouges d’avoir tant pleuré, — une feuille du tremble dans laquelle me bercera l’haleine du lac.

    "Non !" — ricanait le nain railleur, — "tu serais la pâture de l’escarbot qui chasse, le soir, aux moucherons aveuglés par le soleil couchant !"

    Aimes-tu donc mieux, lui répliquai-je, larmoyant toujours, — aimes-tu donc mieux que je sois sucé d’une tarentule à trompe d’éléphant ?

    "Eh bien," — ajouta-t-il — "console-toi, tu auras pour linceul les bandelettes tachetées d’or d’une peau de serpent, dont je t’emmailloterai comme une momie.

    Et de la crypte ténébreuse de Saint-Bénigne *, où je te coucherai debout contre la muraille, tu entendras à loisir les petits enfants pleurer dans les limbes."

    (Crypte de la cathédrale St-Bénigne de Dijon, ville où A. Bertrand vécut de 1816-1833)

    3 - LE FOU

    [ Un carolus, ou bien encor,
    Si l'aimez mieux, un agneau d'or.

    Manuscrits de la Bibliothèque du roi. ]

    La lune peignait ses cheveux avec un démêloir d'ébène qui argentait d'une pluie de vers luisants les collines, les prés et les bois.

    Scarbo, gnome dont les trésors foisonnent, vannait sur mon toit, au cri de la girouette, ducats et florins qui sautaient en cadence, les pièces fausses jonchant la rue.

    Comme ricana le fou qui vague, chaque nuit, par la cité déserte, un oeil à la lune et l'autre - crevé !

    "Foin de la lune ! grommela-t-il, ramassant les jetons du diable, j'achèterai le pilori pour m'y chauffer au soleil !"

    Mais c'était toujours la lune, la lune qui se couchait, - et Scarbo monnayait sourdement dans ma cave ducats et florins à coups de balancier.

    Tandis que, les deux cornes en avant, un limaçon qu'avait égaré la nuit cherchait sa route sur mes vitraux lumineux.

  2. #2
    Modérateur Avatar de lebewohl
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    octobre 2007
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    Paris
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    9 772
    Excellente idée, de mettre les poèmes. ET quelle musique!
    Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance.

    Montaigne

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