Paganini se rendit un jour chez le luthier français Vuillaume et lui confia son Guarnérius pour une réparation.
Le luthier, heureux de posséder pendant quelques jours le fameux violon de Paganini, conçut le projet de le copier.
Les Guarnerius se reconnaissent à deux veines qui courent sur la table d'harmonie parallèlement à la touche: Vuillaume trouva une table d'harmonie ayant ces deux veines parallèles.
Le violon de Paganini était d'une construction vigoureuse, les filets étaient encaissés, les bords massifs et la volute semblait grossièrement taillée: la collection de Tarisio que Vuillaume avait achetée à Milan et qui comprenait une quantitié considérables de pièces: dos, têtes, tables, etc., permit à l'artiste de fabriquer un violon aux filets encaissés, aux bords massifs, à la volute grossière. Rien n'y manqua, ni les éclisses, ni les tasseaux, ni le chevalet; tout fut absolument semblable, jusqu'au vernis présentant les mêmes dépressions d'usure.
Quand Paganini revint pour reprendre son violon, Vuillaume lui tendit le violon qu'il venait de fabriquer.
Le maître l'essaya, et s'en déclara très satisfait, et déjà il partait, quand le luthier lui avoua que ce violon n'était que la copie de celui qu'il avait apporté à réparer.
Émerveillé de tant d'habileté, le virtuose voulut faire l'acquisition de l'instrument fabriqué par Vuillaume; mais ce dernier le lui offrit gracieusement, s'estimant assez payé de ce que le maître eût trouvé son oeuvre digne de lui.
Paganini, ultérieurement, fit don de cet instrument à son élève Sivori qui s'en servait presque toujours dans ses concerts.
Un jour, ce violon lui sauva la vie.
Traversant en voiture je ne sais quelle partie de l'Amérique, Sivori, attaqué par des sauvages, allait périr infailliblement quand une idée lumineuse traversa son esprit.
Saisissant son violon, il se mit à en jouer de telle façon que les barbares se prosternèrent devant lui comme devant une divinité, et il put continuer sa route sans encombre. Cette anecdote, sans doute agrémentée, appelait sur les lèvres de Sivori, qui la racontait volontiers, la comparaison avec Orphée domptant les fauves à l'aide de sa lyre.
Peut-être laissait-il entendre par là qu'il avait reçu en partage le don d'émouvoir et de charmer les âmes.
A son décès, le violon de Sivori est allé rejoindre au musée de Gênes, celui de Paganini qui s'y trouvait déjà. Mais si l'instrument de Paganini porte toujours cette inscription: Guarnerius del Gesù, Crémone (1683-1745), le violon de Sivori a cette mention flatteuse pour la lutherie française: J,-B. Vuillaume, Paris (1798-1875)