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Discussion: Arthur Honegger

  1. #1
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    Arthur Honegger

    Mon pays n'a pas donné au monde beaucoup de grands compositeurs. Il y en a pourtant un ou deux sur lesquels il serait utile de consacrer un autre fil, en particulier Frank Martin (dont j'ai déjà mis la Ballade pour piano et orchestre sur Simplify Media). En ce qui concerne ce dernier, je le ferai peut-être un jour.

    Né au Havre de parents zurichois mais parisien d'adoption (il conserva cependant toute sa vie sa nationalité suisse, revenant très souvent dans son pays d'origine, surtout en Suisse romande), Arthur Honegger (1892-1955) fut membre du Groupe des Six et demeure quant à lui bien plus connu. Soucieuse d'honorer son patrimoine artistique, la Suisse a d'ailleurs même sorti il y a déjà pas mal d'années un billet de banque à son effigie (!), une coupure de 20 francs très répandue et qui est toujours en usage (bien que peu de Suisses sachent exactement de qui il s'agit).

    Mais à l'époque de l'Internet, de Google et de Wikipedia, il serait vain d'en dire ici des tonnes sur ce compositeur. Je signale juste que Marcel Landowski, pour la collection "Solfèges" (Seuil), a écrit sur Honegger un petit livre abondamment illustré et très intéressant à lire.

    Cela dit, venant de réécouter et de mettre sur Simplify Media la version la plus percutante (sinon la meilleure) de la Troisième Symphonie d'Arthur Honegger, dite "Liturgique", celle enregistrée en 1973 par von Karajan et le Berliner Philharmoniker pour DG (elle est ressortie dans leur collection "The Originals"), je me suis demandé ce que d'autres participants pensaient de l'oeuvre d'Honegger en général (assez variée et abondante) et de ses cinq symphonies en particulier.

    Malgré la concurrence écrasante de Münch pour certaines de ces symphonies, j'aime pour ma part encore assez l'intégrale qu'en a donné Charles Dutoit (en 1984 et 1986 pour Erato, avec le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks), en dépit du mal que certains pensent de cet autre compatriote, souvent jugé trop "superficiel".

    Jacques

  2. #2
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    Re : Arthur Honegger

    A propos d'Arthur Honegger, une petite anecdote mi-figue mi-raisin m'est revenue en mémoire. Elle m'avait beaucoup contrarié quand je l'ai apprise...

    L'un de mes oncles, décédé il y a cinq ans et qui n'appréciait guère la musique car les arts visuels lui étaient soi-disant "bien supérieurs" (ce qui ne l'a pas empêché de rencontrer Poulenc à Paris dans les années 50, quand il y étudiait), s'était paraît-il lié d'amitié avec Pascale Honegger, fille d'Arthur, qui vivait dans la région lausannoise. Vers la fin de sa vie, cet oncle écrivait des articles dans une petite revue locale. Or, il eut un jour la mauvaise idée d'insinuer dans l'un de ses articles qu'Arthur Honegger avait peut-être été collaborationniste pendant la guerre. De fait, le compositeur avait accepté d'écrire sous l'Occupation pour la revue "Comoedia", alors en mains de la presse collaborationniste, un ou plusieurs articles sur la musique, comme il l'avait fait déjà bien avant la guerre. Mais les articles écrits par Honegger étaient exclusivement consacrés à la musique, sans aucun contenu à caractère pétainiste, et encore moins fasciste (son "culte" de la jeunesse, du sport, de la vitesse, etc., bien réel dans les années 20 et 30, était une autre histoire, mais n'avait rien de très original et était partagé aussi bien par l'extrême droite que par les staliniens).

    Toujours est-il que Pascale Honegger a réagi avec véhémence et indignation à cet article de mon oncle, ce qui bien sûr a mis définitivement fin à leurs relations. Elle avait sans doute raison, car on voit mal le pauvre Arthur, grand ami de Darius Milhaud et de Francis Poulenc, partager les idées qu'avaient les patrons de "Comoedia" sous l'Occupation.

    Mais peut-être aurait-il dû s'abstenir de continuer à alimenter cette revue à un pareil moment de l'Histoire.

    Jacques
    Dernière modification par Jacques ; 04/05/2008 à 20h08.

  3. #3

    Unhappy Re : Arthur Honegger

    Citation Envoyé par Jacques Voir le message

    Mais peut-être aurait-il dû s'abstenir de continuer à alimenter cette revue à un pareil moment de l'Histoire.

    Jacques
    Ah, ça -je sais c'est évident- c'est le genre de choses facile à dire avec plus de 50 ans de recul que dans le feu de l'action...

  4. #4

    Thumbs up Re : Arthur Honegger

    Bon sinon, Honegger...

    Alors les Symphonies, Munch c'est génial la plupart du temps, bien que ce soit un peu bordélique parfois... Sinon les Karajan déjà cités, et il FAUT se précipiter sur l'intégral Baudo avec la Philharmonie Tchèque chez Supraphon!! Ne pas oublier la 5ème par Markevitch.
    A noter, l'enregistrement de la 3ème par Honegger lui-même vient d'être réédité chez Alpha (pas encore écout&#233.

    Les mouvements symphoniques: rechercher les enregistrements de Scherchen et d'Ansermet, vraiment bons chacun de leur côté, en plus de ceux d'Honegger himself. En cherchant bien, on peut trouver le n°3 par Furtwängler (dédicataire de l'oeuvre).

    Pour le tout on se doit aussi d'approfondir avec les enregistrements de Georges Tzipine.

    Pour La Danse des Morts, Munch est sans contestation possible le plus important mais est fort daté. Corboz me semble fort recommandable, d'après mes souvenirs.

    La Cantate de Noël: Tzipine sans problème, Baudo excellent couplé avec Jeanne au bûcher, tout aussi excellent. Et Corboz, bien sûr, sans non plus oublier Martinon...

    Jeanne c'est déjà fait (cf plus haut). On peut tenter l'aventure avec Ozawa (mais prise de son basiliquesque et solistes fluctuants...).

    Je laisse à d'autres le soin de causer de la musique de chambre... et du Roi David.

    Voili
    Dernière modification par nico ; 04/05/2008 à 21h05. Motif: Oublis...

  5. #5
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    Re : Arthur Honegger

    Citation Envoyé par nico Voir le message
    Munch c'est génial la plupart du temps, bien que ce soit un peu bordélique parfois...
    Moi je dirai l'inverse, pour êre encore gentil.... Je vais me planquer.

    Bruno

  6. #6

    Cool Re : Arthur Honegger

    Citation Envoyé par brunoluong Voir le message
    Moi je dirai l'inverse, pour êre encore gentil.... Je vais me planquer.

    Bruno
    Pourquoi se planquer? Tout le monde a le droit de repérer le bordel avant le génie et réciproquement...

  7. #7
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    Re : Arthur Honegger

    Merci, Nico, pour toutes ces précisions et bons conseils. Je constate en outre que vous semblez connaître encore beaucoup plus d'enregistrements de la musique d'Honegger que je n'en connais moi-même. Et j'en ai pourtant déjà pas mal (en particulier l'intégrale de sa musique de chambre, un coffret de 4 CDs paru chez "timpani" en 1992) .

    S'agissant des symphonies, je vais donc me "précipiter" sur l'intégrale Baudo, qu'à ma grande honte je ne possède (et ne connais) pas encore .

    A ce propos, je voulais juste relever une chose en ce qui concerne l'extraordinaire et très sombre Symphonie No 2 pour orchestre à cordes et trompette, dont Paul Sacher dirigea la création en mai 1942 à Zurich. S'agissant de la trompette, qui intervient de manière "éclatante et libératrice" à la fin du troisième et dernier mouvement, je sais qu'elle est "ad libitum" (autrement dit, on peut faire sans). Mais ce que je n'aime pas du tout dans certaines versions de cette symphonie, c'est justement qu'elles se passent de cette trompette, à mon avis quasi indispensable. C'est hélas le cas de la belle version von Karajan (couplée avec la "Liturgique"), ainsi que de l'intégrale Michel Plasson enregistrée entre 1977 et 1979 pour EMI (une intégrale pas du tout recommandable, soit dit en passant, et que Plasson a d'ailleurs lui-même "désavouée"). Je pars donc de l'idée que l'intégrale Baudo inclut cette trompette dans la Deuxième Symphonie .

    Jacques

  8. #8
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    Re : Arthur Honegger

    Je dois avoir en rayon la 3ème symphonie par Léningrad et Mravinsky! Je vais la mettre sur Simplify Média! bon je vous préviens : c'est pas la version la plus souriante de l'oeuvre!

    thierry

  9. #9
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    Re : Arthur Honegger

    Pardon pour cet enfantillage ... Mais ça m'aura au moins appris à me servir d'ImageShack (en tout cas partiellement, car il reste encore des tas de choses que je ne comprends pas très bien) .


    Voilà donc le portrait d'Arthur Honegger que d'innombrables personnes résidant en Suisse ont dans leur poche sans même s'en rendre compte. Ce billet de banque représente le compositeur quand il était jeune, et l'on devine en haut à gauche une image le montrant assis à son piano, écrivant des notes sur une partition .

    Jacques

  10. #10
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    Re : Arthur Honegger

    Si je comprends bien, le premier Mouvement Symphonique n'a rien à voir avec les locos, mais plutôt avec la Pacific National Bank! ( lamentable!)

    thierry

  11. #11
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    Re : Arthur Honegger


  12. #12
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    Re : Arthur Honegger

    Citation Envoyé par Jacques Voir le message
    S'agissant de la trompette, qui intervient de manière "éclatante et libératrice" à la fin du troisième et dernier mouvement, je sais qu'elle est "ad libitum" (autrement dit, on peut faire sans).dans la Deuxième Symphonie .

    Jacques
    Bonjour,

    Question pour les spécialistes de cette 2e symphonie, du cinéaste François Truffaut, ainsi que de Georges Delerue :

    Il me semble que pour la bande originale du film "La Nuit Américaine", Georges Delerue utilise également la trompette en s'inspirant (ça me semble évident pour les premières notes) de la mélodie jouée par celle-ci dans le dernier mouvement de l'oeuvre d'Honegger. Est-ce un pur hasard ? Delerue a-t-il été formé auprès d'Honegger ? Ou par un professeur de la même "mouvance" ?

    MH

  13. #13
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    Re : Arthur Honegger

    Thierry, il m'amuse tout autant que vous de constater que la Suisse, "pays des banques" (notamment), a mis Arthur Honegger sur l'un de ses billets . Mais cela a au moins le mérite de rendre populaire en Suisse le portrait du compositeur, à défaut de sa musique. Je crois qu'il y a eu aussi divers timbres imprimés par la Poste, mais je ne suis pas philatéliste et n'en possède aucun. Et merci d'avoir signalé ce site, en effet très intéressant et que je viens d'ajouter à mes "favoris" .

    MH, bien plus encore qu'Honegger (dont je signale en passant que la musique composée pour le film "La Roue", d'Abel Gance, sert toujours d'indicatif à une émission consacrée au cinéma sur France Culture par Michel Ciment), Georges Delerue a composé un très grand nombre de musiques de film. Et il a été l'élève de Darius Milhaud, autre membre célèbre du Groupe des Six. Un tel professeur appartenait donc au départ à la même "mouvance", même si dès la fin des années 20 des compositeurs aussi différents par nature que Milhaud, Honegger ou Poulenc (pour ne citer que ces trois) ont suivi des voies très divergentes. C'est pourquoi je ne serais guère étonné que Delerue se soit inspiré pour la trompette utilisée dans "La Nuit Américaine" (Truffaut) de la mélodie de choral jouée par ce même instrument à la fin de la Deuxième Symphonie d'Honegger . Mais il y a une éternité que j'ai vu ce film, dont je ne possède pas le DVD (s'il existe), de sorte que je serais bien en peine de me montrer catégorique à ce sujet.

    Jacques

  14. #14
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    Re : Arthur Honegger

    Pour saluer l'arrivée officielle de l'été, demain, j'aurais bien voulu mettre sur ce fil depuis longtemps oublié une video d'un orchestre jouant, d'Arthur Honegger, sa charmante et encore très impressionniste petite Pastorale d'été . Mais il n'y a encore rien de tel sur Youtube...

    Je me rabats donc sur une chose toute différente, une video un peu esthétisante où l'on entend, troublé par quelques crachottements, le poème symphonique beaucoup moins bucolique intitulé Pacific 231 .

    Elle pourrait capter l'attention de certains amateurs de belles locomotives et de "musique moderne rétro", s'il y en a ici .



    Jacques

  15. #15
    - Avatar de mah70
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    Re : Arthur Honegger

    Bonsoir.

    Voici la version filmée par Jean Mitry en 1949. L'orchestre est dirigé par Honegger lui-même.



    Le film Soviétique de 1931 (orchestre dirigé par Gaouk, je crois) ne semble pas être en ligne. C'est assez dommage.


    mah
    La seule certitude que j'ai, c'est d'être dans le doute. (Pierre Desproges)

  16. #16
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    Re : Arthur Honegger

    Encore mieux ! Merci, Mah . Je vais télécharger ça "vite fait" avec TubeMaster...

    Pour rester dans la même veine (modernité années 20 / 30, machinisme, constructivisme soviétique, etc.) j'ai trouvé cette courte video, malheureusement pas historique quant à elle, où les images sont agrémentées d'un extrait de "Fonderies d'acier", d'Alexandre Mosolov.

    Toute une époque ...



    Jacques

  17. #17
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    Re : Arthur Honegger

    Situé à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Lausanne, dans le village de Mézières, le Théâtre du Jorat (parfois surnommé "la grange sublime" car il est tout en bois et ressemble à une grange) a célébré cette année le 100e anniversaire de sa fondation. C'est toutefois en 1921 qu'il a acquis un renom allant bien au-delà des limites locales, puisqu'on eut cette année-là l'idée étonnante d'y créer Le Roi David, psaume symphonique en trois parties sur un texte (simple et accessible) de René Morax et une musique (bien plus audacieuse) d'Arthur Honegger. Tout cela, s'agissant des instrumentistes, du choeur et des solistes, avec les moyens locaux. Ce qui n'a pas manqué d'être, pour ces gens habitués à de gentilles productions bien consonantes et un peu campagnardes, une expérience inoubliable.



    Je viens de réécouter la version originale de cette oeuvre par Michel Piquemal, publiée chez Naxos en 1997, et je me permets de la recommander . En dépit du fait que c'est Jacques Martin (celui de "L'Ecole des fans" , mais il faisait d'autres choses avec talent) qui tient le rôle du récitant, et que c'est une fillette qui interprète (d'ailleurs fort bien) David enfant.



    Je reproduis également ci-dessous, à toutes fins utiles, un large passage du livret joint à ce disque. Il est intéressant, en particulier, de constater qu'Ernest Ansermet et Igor Stravinsky (toujours eux !) ont joué un rôle déterminant dans cette affaire...

    Jacques

    --------------------

    "En 1908, le poète vaudois René Morax avait installé un théâtre dans le village de Mézières. La scène, assez profonde, pouvait accueillir des spectacles de grandes dimensions : l'Orphée de Gluck avait été représenté avant 1914. La première guerre mondiale marqua une pause dans l'activité du théâtre jusqu'en 1921, lorsque René Morax songea au sujet biblique du Roi David pour la réouverture. C'est en février, alors que les répétitions devaient commencer le mois suivant, que le poète s'inquiéta de la musique. Les compositeurs helvétiques sollicités s'étant récusés, il prit conseil auprès du chef d'orchestre Ernest Ansermet, qui avança le nom d'Honegger, alors peu connu dans son propre pays. Morax hésita, mais fut confirmé dans ce choix par Stravinsky lui-même.

    "Efficace, Honegger commence par composer les parties chorales, qui mobilisaient de nombreux amateurs. Cependant - mystère de l'inspiration- ce n'est qu'après une visite impromptue au chevet de sa mère, gravement malade, qu'il entrevoit le déroulement des deux plus importants numéros : la Danse devant l'Arche et La mort de David. L'oeuvre est terminée le 28 avril, en deux mois, hormis l'orchestration pour une formation réduite : six bois, quatre cuivres, un harmonium, un piano, deux timbales, une contrebasse, un gong et un tam-tam.

    "L'oeuvre est un succès, à la fois d'ordre musical et populaire. Un peu plus tard, un mécène enthousiaste donne à Honegger la possibilité de faire entendre sa musique à Paris, étrangement associée au Requiem de Fauré. L'orchestre atteint la dimension symphonique, sans que la présence des cordes n'enlève rien aux sonorités particulières de la première version. Le passage au concert d'une oeuvre conçue pour la scène pose cependant le problème de l'action, problème résolu, sur les conseils de Morax, par l'introduction d'un récitant. Cette transposition aura un effet inattendu : Honegger redonne vie, presque incidemment, au genre de l'oratorio, lui conférant une vigueur nouvelle par l'emploi du récitant parlé. Le genre sera fécond et donnera quelques années plus tard, avec la collaboration de Claudel, Jeanne au Bûcher, autre chef d'oeuvre.

    "La musique d'Honegger n'a pas peur de suggérer, d'accompagner l'action dans ce qu'elle a de plus descriptif : les diverses fanfares (n° 3 bis, entrée de Goliath), les marches militaires victorieuses du Cortège et de la Marche des Hébreux ou ridicule de la Marche des Philistins. Parfois, la musique brosse le décor, comme l'atmosphère nocturne troublée par les appels de trompette du Camp de Saùl, ou le courroux divin du Psaume Dans cet effroi. Mais surtout, la musique souligne les divers sentiments du texte, comme une mosaïque. Le Psaume Pitié de moi, mon Dieu en est le meilleur exemple : au langage chromatique et torturé de la première partie succèdent les accords rayonnants des cuivres, qui soulignent la confiance retrouvée.

    "Souvent présent en France dans la musique de scène, mais rare dans l'oratorio, le mélodrame allie subtilement la musique au texte. L'atmosphère lugubre de l'incantation naît principalement de cette alliance inhabituelle, qui renforce la douleur poignante de la Lamentation de Guilboa ou solennise le Couronnement de Salomon. Mais au delà, Honegger, pour qui "l'unité d'une oeuvre provient de l'ensemble de ses parentés mélodiques et rythmiques" fond ainsi texte parlé et musique pour renforcer l'architecture sonore de l'oratorio. L'oeuvre bénéficie énormément de cette recherche d'unité, réalisée par certains éléments (les accords de quartes superposées, la seconde augmentée de consonance orientale, sensibles dès le prélude, les nombreux numéros construits sur la répétition : Lamentation de Guilboa, Le Chant de la servante), mais aussi de la volonté d'un équilibre, d'ordre dramatique et structurel, entre les différents caractères présents dans l'oeuvre. Synthèse de cet art de la combinaison, la science contrapuntique d'Honegger donne toute sa puissance dans le final, en superposant habilement l'Alléluia et le thème des basses "Dieu te dit".

    "Le propre avis d'Honegger sur le Roi David avait évolué avec le temps, mais il continuait d'apprécier les deux principaux numéros, La Danse devant l'Arche et le Final, ainsi que le choeur de pénitence. Nul doute que le succès de l'oeuvre l'exaspérait, comme celui de Pacific 231, car il s'effectuait au détriment de compositions d'aussi grande qualité. Mais la profonde dualité d'Honegger s'exprime avec force au coeur du Roi David : un pessimisme envahissant, engendré par l'impression de vivre la fin d'une civilisation, accompagne le lyrisme délicat et confiant des dernières oeuvres, comme la Mort de David porte en germe l'avenir : "un jour viendra où une fleur fleurira de ta souche reverdie..."

    - Mathieu Ferey, 1997 -
    Dernière modification par Jacques ; 21/06/2008 à 14h50.

  18. #18
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    Re : Arthur Honegger

    Diverses choses encore ...

    Tout d'abord, deux disques et un DVD que je viens d'acheter à la FNAC (les deux premières images montrent le recto et le verso de la même pochette, celle de droite étant plus grande pour être mieux lisible) :






    Ensuite quelques photos relativement peu connues :






    Enfin deux témoignages, le premier de Darius Milhaud (1962), le second de Pascale Honegger, fille d'Arthur (2006) :

    1) "En 1911, j’étais auditeur à la classe de contrepoint d’André Gédalge. L’attention de tous les élèves était attirée par la présence d’un jeune homme […]. C’était Arthur Honegger que nous appelions aussi « le petit Suisse ». Sa gentillesse à l’égard de tous lui attira une sympathie générale et ses travaux de contrepoint, comme ses premières compositions, ne pouvaient que le faire remarquer davantage. Je devins tout de suite son ami, de cette amitié solide que seule la mort interrompt […]. Nous assistions, assis à côté l’un de l’autre, aux cours d’histoire de la musique de Maurice Emmanuel et la jeune fille qui devait devenir sa femme, Andrée Vaurabourg, s’asseyait toujours avec nous. Nous avions, Arthur et moi, de grandes conversations sur la musique qui nous enrichissaient réciproquement, car si Arthur avait souvent sous le bras La Femme sans ombrede Richard Strauss, les Variations de Reger, j’emportais volontiers dans ma serviette les partitions de Boris et de Pelléas. […]"

    "Après mon séjour à la Légation de France à Rio, auprès de Paul Claudel, j’appris en passant par New York, qu’une œuvre importante d’Honegger venait de faire un véritable éclat au Vieux-Colombier, que Jane Bathori administrait en l’absence de Jacques Copeau. Il s’agissait du Dit des jeux du monde, spectacle très discuté, qui fit même scandale, mais qui attira l’attention de tous les mélomanes sur la forte partition d’Honegger. Dès mon retour, nous reprîmes nos conversations, nos rencontres fréquentes et nos noms se trouvèrent souvent sur les programmes de ces concerts de 1919, d’où sortit le Groupe des Six. Je pense avec mélancolie à cette jeunesse qui me laisse de si précieux souvenirs. […]"

    Darius Milhaud, mai 1962


    2) "Dans l'atelier où mon père travaillait il y avait un magnifique « tourne-disque » La Voix de son Maître, coffre de bois précieux, et lorsque je venais dans ce lieu réservé à la composition, invitée par mon père, il me faisait écouter l'un ou l'autre des rares disques disponibles en cette période d'immédiat après-guerre. Je me souviens particulièrement de Fonderie d'acier qui m'impressionnait beaucoup, ce qui paraissait à la fois l'amuser et l'intéresser ! Bien plus tard, en tant que président, avec Colette, de l'Académie du disque français, il recevait beaucoup de « long playing » que je l'aidais à ranger dans un meuble spécial que nous avions monté ensemble avec moult difficultés et pincements de doigts ! A cette époque il était en très mauvaise santé et ne travaillait pour ainsi dire plus. Il trouvait alors refuge dans sa discothèque et je me souviens de l'avoir entendu parler avec une grande émotion d'un superbe coffret des quatuors de Beethoven par le Quatuor Vegh."

    Pascale Honegger, septembre 2006
    Dernière modification par Jacques ; 21/06/2008 à 21h14.

  19. #19
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    Re : Arthur Honegger

    très intéressant ce témoignage de Pascale Honegger, en cela qu'il évoque Zavod de Mosolov. On comprend l'amusement du compositeur puisque Pacific 231 date de 1923 et reste donc, dix ans après Le Sacre et les expériences des futuristes italien, la pièce-phare et fondatrice du "machinisme" en musique. La 2ème symphonie de Prokofiev, de 1924, a sans doute eu aussi son rôle dans la conception des Fonderies d'acier (un 78t a circulé très tôt en France enregistré par l'orchestre de Paris, avec Fonderies d'acier et sur l'autre face un extrait du ballet de Meytius Barrage sur le Dniepr")

    Puisque vous avez acheté le disque Timpani des mélodies, je serai curieux de savoir quels poèmes d'Alcools Honneger a mis en musique (je vois sur l'autre disque trois extraits évoqués mais sans les titres) s'il fihurent dessus. Est-ce une intégrale des mélodies?
    Dernière modification par sud273 ; 23/06/2008 à 12h30.

  20. #20
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    Re : Arthur Honegger

    Merci, Sud, pour cet intéressant rappel.

    En ce qui concerne les six poèmes d'Apollinaire mis en musique par Honegger, je me borne à reproduire ci-après ce qu'en dit Harry Halbreich :

    "Le célèbre recueil Alcools de Guillaume Apollinaire inspira au jeune compositeur un authentique chef-d'oeuvre. Aussi ces six pages brèves, nées entre août 1915 et mars 1917, ont-elles toujours connu un vif succès, et demeurent-elles à ce jour les mélodies les plus connues d'Honegger. Les trois premières furent créées dès le 11 juillet 1916 par Rosé Almandie, mais le cycle complet fut chanté pour la première fois au Théâtre du Vieux-Colombier à Paris le 15 janvier 1918 par Jane Bathori, avec au piano Andrée Vaurabourg, la future épouse du compositeur. A la Santé (c'est le nom d'une célèbre prison parisienne, où le poète lui-même dut séjourner brièvement) tire sa puissance d'atmosphère de la présence obsédante de la dominante de ré mineur, dont la gravité tonale est cependant suspendue par de fréquentes apparitions de la quinte augmentée. La pièce date de mai 1916. Avec sa tonalité ondoyante et indécise et les quintolets agiles de sa partie de piano, Clotilde (mars 1916) est la page la plus fauréenne d'Honegger. Au sujet d' Automne (août 1915), le compositeur déclara par la suite : « J'ai vu ce que je dis, j'ai été ce paysan aux jambes cagneuses d'Apollinaire, à l'époque où, sans gloire, sinon sans ennui, je faisais mon service militaire en Suisse ». Le musicien de vingt-trois ans réussit ici un parfait chef-d'œuvre d'atmosphère, une rêverie envoûtante au balancement modal et syncopé. La nostalgie d'un amour perdu s'y intègre idéalement dans l'ambiance automnale. Toute différente, mais non moins prenante est l'atmosphère évoquée dans Saltimbanques (mars 1917), défilé placide et doucement grotesque de ces baladins perdus dans leurs rêves, où l'on sent en arrière-fond la présence discrète des musiques nègres déjà évoquées par Debussy. L'Adieu (janvier 1917) se déroule dans un climat doucement lancinant de deuil et de mélancolie, dans le demi-jour de sa ligne mélodique hésitant entre mineur dorien et majeur lydien. Mais le cycle se termine dans le jour le plus éclatant et dans la joie débordante de Les Cloches (mars 1917), peut-être l'adieu à Debussy du jeune Honegger, du moins dans le domaine de la mélodie, avec son carillon sonnant à toute volée au rythme d'une valse rapide, interrompue une fois seulement au bref et quelque peu ironique alanguissement du «Tu seras loin, je pleurerai »; couronnement d'un des cycles mélodiques les plus parfaits de ce siècle."

    En passant, car on ne l'associe guère à Gabriel Fauré, je montre cette image (qui figure sur deux pages du livre de Marcel Landowski) où l'on voit Arthur Honegger assis sur un banc en compagnie du vieux compositeur vénéré :




    Je saisis cette occasion pour montrer, s'agissant des nombreux disques consacrés aux oeuvres symphoniques d'Honegger, quelques enregistrements qui me paraissent importants (sans oublier, bien sûr, ceux de Charles Münch, mais je ne peux pas tout montrer). La dernière image est celle d'un modeste disque Naxos, par un chef et une formation très peu attendus dans ce répertoire, mais son excellence (saluée par la critique, en particulier en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis) justifie qu'il soit montré (et même recommandé à ceux qui ne voudraient pas trop dépenser dans ce domaine).







    Jacques
    Dernière modification par Jacques ; 23/06/2008 à 16h00.

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